Port obligatoire du masque: que dit la loi?
Sébastien Van Drooghenbroeck est professeur en droit constitutionnel à l’Université Saint Louis-Bruxelles. Pour LeVif.be, il répond à une série de questions sur l’obligation de porter un masque à certains endroits de Belgique pour lutter contre le coronavirus.
Quelle autorité est compétente en la matière ?
L’autorité fédérale aurait pu imposer le port du masque. Les compétences du ministre de l’Intérieur en matière de protection civile, je fais référence ici à la loi de 63, sont très larges. D’ailleurs, c’est sur base de cette loi que les mesures de confinements successifs ont été prises pour l’instant. On aurait pu imaginer que l’autorité fédérale décide d’aller plus loin que la recommandation du port du masque, qu’elle aille jusqu’à l’obligation, ce qui a d’ailleurs été promulgué dans les transports en commun.
En matière de maintien de l’ordre, les communes ont des compétences très générales qu’elles exercent au nom de l’intérêt communal. Je fais référence ici à l’article 41,162 de la Constitution belge. A ce titre, le bourgmestre d’Etterbeek, Vincent De Wolf (MR) s’est basé sur la nouvelle loi communale (art.135/134) qui prévaut, en cas d’urgence, pour imposer le port du masque dans les artères commerçantes de sa commune. Cette loi autorise les bourgmestres à prendre des mesures guidées par le souci d’assurer la tranquillité et la salubrité publique… sans devoir attendre de réunir les conseils communaux. Elle est un énorme réservoir de compétences qui touche de manière générale l’ordre public. Ce fondement qui remonte aux premières années de la Belgique permet aux communes d’adopter de manière autonome des mesures supplémentaires en matière de maintien de l’ordre par rapport aux mesures dictées au niveau fédéral. Ces décisions ne doivent pas dépasser ce qui touche à l’intérêt communal ni être en contradiction avec la politique fédérale.
L’obligation du port du masque dans l’espace public ne touche-t-elle pas aussi aux libertés individuelles ?
Indépendamment de la question du respect des compétences de l’autorité fédérale, il y a en effet dans ce contexte de crise sanitaire et d’obligation du port du masque une limitation des libertés. La Cour européenne des droits de l’homme dit que le droit de se donner l’apparence que l’on veut est garanti au titre du respect à la vie privée. La Cour européenne estime, par exemple dans le cadre de la loi anti-burqa, qu’il est possible de l’interdire. Elle estime toutefois qu’interdire à quelqu’un de se présenter avec l’apparence de son choix dans l’espace public, c’est limiter sa liberté individuelle. Partant de là, l’obligation de porter le masque est donc une restriction – légère, mais une restriction quand même – au droit au respect de la vie privée. C’est la même logique si on oblige une personne à enlever une boucle d’oreille ou à se couper les cheveux. L’obligation n’est admissible que si elle poursuit un but légitime – c’est incontestablement le cas – et que si elle est appropriée et nécessaire par rapport à ce but.
Nous vivons dans une société où présenter son visage est une condition du vivre ensemble. On doit admettre que dans une société qui a fait ce choix, imposer à tout le monde de se masquer, ce n’est pas si évident.
Qu’une commune oblige le port du masque et une autre non est discutable…
Oui, pourquoi une commune pourrait-elle dire qu’il était vraiment nécessaire d’imposer le masque sur son territoire, alors que sa voisine ne l’impose pas ? Cela ne signifie pas que toutes les communes sont obligées d’agir de concert, mais cela les oblige à se tremper la chemise pour justifier leurs décisions. Est-ce que la commune qui ne décide rien est alors kamikaze par rapport à ses habitants ?
Présenter son visage est une condition du vivre ensemble. On doit admettre que dans une société qui a fait ce choix, imposer à tout le monde de se masquer, ce n’est pas si évident.
Quelles sont les sanctions lors du non respect du port du masque?
L’ordonnance d’Etterbeek que j’ai pu consulter n’est pas tout à fait explicite, mais si le citoyen ne se plie pas à l’injonction d’un agent d’utiliser son masque en rue, il encourt une sanction administrative communale. Il y a un système de recours. Par ailleurs, l’ordonnance de police comme telle pourrait déjà être attaquée. Ce sera difficile aussi de sanctionner de façon nette un citoyen. S’il a fait, imaginons, 20 mètres de trop et qu’il se retrouve à cheval entre une commune qui impose le port du masque et une autre qui ne l’impose pas. On peut espérer que les autorités feront preuve de bon sens.
Une école peut-elle aussi décider d’imposer le port du masque aux parents ?
Tout à fait, les écoles peuvent rédiger leur propre règlement d’ordre intérieur. Les contextes sont différents d’une école à l’autre. Dans une toute petite école où il n’y aurait pas moyen de respecter la distanciation sociale, il faudra peut-être mettre en place des mesures plus drastiques que dans un autre établissement, plus grand, où les couloirs font 6 mètres de large. Chaque école pourra faire jouer son autonomie pour s’adapter à la situation.
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