«Vous parlez de lui comme vous parliez de moi il y a douze ans»: comment Paul Magnette a imposé Thomas Dermine aux socialistes carolos
Paul Magnette et Thomas Dermine ont dû convaincre des socialistes carolos plutôt sceptiques de placer Thomas Dermine en tête de liste pour les communales, plutôt que l’échevine Julie Patte. Ou que Paul Magnette lui-même.
Jeudi 29 août en début de soirée, Thomas Dermine n’était pas encore bourgmestre de Charleroi. Il ne l’est toujours pas, il devrait le devenir en décembre, sauf si le PS carolo subit le 13 octobre une catastrophe industrielle comparable à deux ou trois Caterpillar.
Ce jour-là, il est dans sa maison de Mont-sur-Marchienne quand se réunit le comité des sages de l’Union socialiste communale de Charleroi –22 personnes (seize représentants des sections, et quelques autres) chargées de boucler la liste socialiste– convoqué à 18 heures. C’est l’anniversaire de son épouse, et le secrétaire d’Etat en affaires courantes débouche une bouteille pour ses beaux-parents, pour l’occase, mais il sait qu’il ne restera pas. Dans une autre maison de Mont-sur-Marchienne –les jeunes propres sur eux disent «Montsur»–, une autre socialiste carolorégienne attend aussi. C’est Julie Patte, première échevine depuis des années, et dauphine, pas formellement déclarée non plus: il n’y a pas eu d’appel à candidatures pour la succession de Paul Magnette, un autre socialiste de Montsur, comme bourgmestre. Les deux savent que le comité des sages devra formellement décider qui sera le premier des 51 candidats PS, et l’ordre des 50 suivants. Ils savent que Paul Magnette ne sera pas tête de liste. Ils se doutent que Thomas Dermine le sera à sa place. Un l’espère, l’autre le redoute. Car Paul Magnette a donné sa parole à l’un, quelques semaines plus tôt, après la défaite du 9 juin, lorsqu’il est apparu que Thomas Dermine ne serait plus ministre. Et car il n’a rien promis à l’autre, quelques semaines durant lorsqu’il est apparu que parce que Thomas Dermine ne serait plus ministre, Julie Patte ne serait pas bourgmestre.
Un G8 révélateur
En attendant, dans les seize sections carolorégiennes de l’Union socialiste communale (USC), on s’était énervé un peu. Le directeur de la campagne socialiste, Bernard Van Dyck, ami de Julie Patte, a démissionné une dizaine de jours avant ce comité des sages du 29 août. Un comité directeur de l’USC de Charleroi avait été convoqué en urgence par quatre sections inquiètes, et réuni le 27 août. Paul Magnette, en visioconférence depuis Bruxelles, y a annoncé qu’un de ses collaborateurs le remplacerait. Et que Laurent Pham, secrétaire général du parti, un de ses deux plus proches conseillers, y siégerait en vérificateur de la légalité socialiste. Mais il n’a rien annoncé d’autre, pas sa place sur la liste, et pas non plus celle des 50 autres. Pourtant, à ce moment, il sait déjà que ça sera Thomas Dermine. Il le pense sans le dire depuis longtemps. Son maïorat n’a jamais été sa passion, et il s’en est sérieusement lassé. Et il pense que Thomas Dermine, qu’il a introduit en politique, qu’il a transformé en socialiste, qu’il a imposé en directeur de l’Institut Emile Vandervelde, puis en secrétaire d’Etat fédéral, puis en président de la fédération socialiste de Charleroi, devrait lui succéder.
lls se sont un peu disputés pendant la campagne, pourtant. Thomas Dermine était tête de liste régionale (9.000 voix de préférence sur le territoire communal de Charleroi) et Paul Magnette tête de liste fédérale (19.000 voix de préférence sur la même zone), Thomas Dermine a pris beaucoup de place, et Paul Magnette a perdu un peu d’espace et ça l’avait un peu énervé. Et puis, après la défaite, Thomas Dermine a été surpris d’apprendre, en lisant Le Vif, qu’un G8 révélateur des nouveaux équilibres internes avait été constitué par le président Magnette, et ça l’avait un peu énervé, tellement qu’il laissait penser sans le dire qu’il pourrait quitter la politique et retourner dans le privé.
Mais Paul Magnette lui a quand même dit qu’il le voyait bien lui succéder à l’hôtel de ville de Charleroi, les deux fois où ils se sont vus pour en parler, une fois au restaurant, on ne dira pas dans lequel, et une fois à Montsur, entre intellectuels. Alors Thomas Dermine a dit à Paul Magnette qu’il devait réfléchir. Il a consulté un peu partout, des gens de la Ville et des intercommunales, du parti aussi et c’est parfois la même chose à Charleroi, pour avoir une idée précise de la situation municipale, et puis Thomas Dermine a dit oui, et surtout il a dit que ça serait tête de liste ou rien.
Histoire d’être sûr de faire plus de voix que les autres, en particulier que Philippe Van Cauwenberghe, fils de Jean-Claude et président du CPAS, mais ça, ça ne l’inquiétait pas, parce qu’il avait souhaité bon rétablissement à Jean-Claude Van Cauwenberghe, et qu’ils se parlent beaucoup depuis bien avant –l’ancien patron carolo est sorti miraculeusement d’un accident de voiture il y a quelques mois, et que comme les alliances sont très patrilinéaires au PS carolorégien, Philippe «Van Cau» n’a pas vu d’inconvénient à rétrograder de la troisième à la cinquième place. On n’exclut pas qu’il s’en sorte avec une intercommunale à présider en plus du CPAS, après les élections.
Mais aussi plus de voix que Julie Patte, à qui le maïorat était pourtant promis. Le PS avait fait tester les cotes de popularité par un institut de sondage, et Julie Patte et Philippe Van Cauwenberghe se trouvaient dans un mouchoir de poche, suivis par l’échevin des sports Karim Chaïbaï, et Thomas Dermine n’avait aucune assurance de faire le meilleur résultat de la liste socialiste s’il ne la menait pas le 13 octobre.
Parce que Thomas Dermine ne serait plus ministre, Julie Patte ne serait pas bourgmestre.
Présenter un message nouveau
Alors, après avoir convaincu les Van Cau, bien assis sur les sections de Charleroi-ville et de Montignies-sur-Sambre; après avoir convaincu la section de Ransart du secrétaire fédéral Thomas Parmentier, devenu proche de Thomas Dermine, fils de Marc Parmentier, lui-même garant de la légitimité patrilinéaire du socialisme carolo et représentant ransartois au comité des sages; après avoir convaincu l’échevine sortante Babette Jandrain, de la section de Couillet; et avant de s’imposer à Julie Patte, inscrite à la section de Gosselies, comme un fait établi, Thomas Dermine et Paul Magnette ont tenté de convaincre l’ancien bourgmestre Jacques Van Gompel, émissaire au comité des sages de la grosse section de Gilly. Celui-ci, comme une majorité de socialistes carolorégiens, considérait plus rationnel que Paul Magnette y aille à la première place, et que ses successeurs putatifs se battent à la loyale pour récolter le plus de voix de préférence.
Le Gillicien l’avait encore répété à Paul Magnette, l’après-midi du 29 août, avant le comité des sages, quand Paul Magnette l’a appelé. Et puis, il l’a redit, vers 18h30, après que Paul Magnette a expliqué, devant les représentants des seize sections de l’USC qu’il ne voulait plus être bourgmestre, parce qu’il fallait présenter un message de renouveau à l’électeur le 13 octobre, et que comme il ne voulait plus être bourgmestre, il ne voulait plus être tête de liste.
Alors Van Gompel a répondu qu’il regrettait ce choix personnel, mais que d’accord, et il a dit qu’il fallait donc décider d’une tête de liste, et a déploré que comme il n’y avait pas eu d’appel à candidatures pour le maïorat, il supposait qu’il fallait ici choisir entre Thomas Dermine et Julie Patte, qu’il soutenait. Et Eric Massin, député provincial et tête de liste provinciale, a dit qu’il était d’accord avec lui.
Puis plusieurs représentants des sections ont pris la parole, comme Line Manouvrier, une des seules femmes de l’assemblée, avec la présidente de l’USC Isabelle Minsier. Pour la section de Charleroi-ville, elle s’est dite favorable à Thomas Dermine, tout en signalant qu’elle serait heureuse, en féministe, que Julie Patte devienne la première bourgmestre carolorégienne, et c’était la rare intervention favorable au jeune Mont-sur-Marchiennois, il y en a même plusieurs qui ont rappelé que Thomas Dermine n’était pas socialiste depuis longtemps et que c’était potentiellement un problème, et qu’en plus il avait plus des manières d’intellectuel de Montsur que de gamin des corons. Pour la section de Couillet, François Lemaire a expliqué que s’il fallait présenter un message de renouveau à l’électeur le 13 octobre, et que si Thomas Dermine n’était pas socialiste depuis longtemps, Julie Patte était échevine depuis dix ans.
Plusieurs ont rappelé que Thomas Dermine n’était pas socialiste depuis longtemps et que c’était potentiellement un problème.
Plutôt 80 pour Patte, 20 pour Dermine
Si bien qu’après une dizaine de ces interventions, Paul Magnette a dit que ça ne valait pas la peine que chacun répète ce qui avait déjà été dit, que c’était à peu près du 50-50, et qu’il ne fallait pas voter sinon on allait se disputer. En fait, ça aurait plutôt été 80 pour Patte, 20 pour Dermine, et c’est pour ça qu’il ne fallait pas voter. Puis il a rappelé qu’il y a une douzaine d’années, les anciens avaient déjà dit de lui qu’il avait plus des manières d’intellectuel de Montsur que de môme des corons.
Il a aussi dit qu’il avait eu un contact avec Philippe Van Cauwenberghe, qui était d’accord avec lui. Marc Parmentier a dit qu’il était d’accord aussi, et puis les autres se sont tus, parce que s’il y avait une majorité pour penser que ça devait être Julie Patte mais il n’y avait que Jacques Van Gompel pour oser le dire, parce que les deux intellectuels de Montsur, les Van Cau et les Parmentier, les sections de Charleroi et de Couillet, s’étaient coalisés.
Alors Jacques Van Gompel a pris la parole pour dire que bon, d’accord, mais qu’alors il fallait faire venir les deux concernés, Thomas Dermine comme tête de liste et Julie Patte comme deuxième. Il est 19h45 et c’est fait, Paul Magnette écrit à Dermine, on appelle Patte, on décide de faire une pause pour les attendre. A 20h20, quand ils arrivent, Laurent Zecchini, un des deux plus proches conseillers de Paul Magnette, est déjà revenu d’une station-service où il a pu trouver deux bacs de Jupiler fraîche, et un autre collaborateur a ramené des pizzas de chez P3, au coin de la rue du Parc et de la rue Willy Ernst. Et quelqu’un découvre quatre Orval dans le frigo de la kitchenette. C’est un collaborateur de Thomas Dermine qui les y avait déposés. Il comptait les siffler plus tard avec quelques copains, mais ce sont Paul Magnette, Jacques Van Gompel, Eric Massin et un employé de la «Fédé» qui les boiront, même si à Charleroi on dit plus souvent «buvront». Sauf quand on est un intellectuel de Montsur.
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