Georges-Louis Bouchez, un des grands gagnants de le bataille du 9 juin. © BELGA

Voici les gagnants et les perdants des élections (analyse)

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Georges-Louis Bouchez qui sera dans tous les gouvernements, Maxime Prévot aussi, et Bart De Wever qui décidera de tout ou presque en Flandre et en Belgique: les grands vainqueurs de ce scrutin sont tous présidents. Et souvent de droite.

Georges-Louis Bouchez, un des grands gagnants de le bataille du 9 juin. © BELGA

Pourquoi Georges-Louis Bouchez est gagnant

Né le 23 mars 1986 à Frameries. Président du Mouvement réformateur depuis 2019. Il est monté d’une division, la saison dernière, avec des Francs Borains très performants sur les deux flancs. Un an plus tard, il a fait faire la campagne parfaite à son parti, pas complètement aligné sur sa partition, mais cet alignement différentiel a fait de ce 9 juin 2024 le grand jour du président borain. Sa ligne droitière a rassemblé les droitistes, les plus centristes se sont retrouvés dans les mots plus doux de Sophie Wimès. Il a réuni beaucoup de Wallons autour d’un discours plutôt dur sur l’Islam par exemple, tandis que son ami Leisterh a convaincu de nombreux bruxellois avec une campagne très ancrée dans les quartiers populaires, et donc avec un message bien différent de celui de son président. Aidé de ces subtiles alternances de registres et ces fines inflexions de discours, le président réformateur est premier en Wallonie, premier à Bruxelles, et il sera dans tous les gouvernements possibles et imaginables. Il a tout gagné.

Pourquoi les instituts de sondage sont perdants

Inventés par George Gallup en 1936. Prédicteurs erronés encore longtemps après. C’est une espèce de loi scientifique, qui se confirme d’élection en élection. Les sondages avaient prévu presque tout et c’est son contraire ou presque qui s’est réalisé. Les sondages les plus proches du scrutin ont orienté la campagne, comme toujours, ils ont orienté les récits et pesé sur les esprits, et le Vlaams Belang était déjà premier en Flandre, la N-VA reléguée en Flandre, le PS effondré à Bruxelles mais encore premier en Wallonie, et il n’y avait même pas à voter. On dira que les derniers jours de campagne ont permis aux perdants anticipés d’inverser la tendance, et de moins perdre ou de gagner plus que prévu, et c’est peut-être vrai mais c’est peut-être faux, le problème fondamental c’est que l’on ne pourra jamais rien prouver, et c’est pourquoi les sondages sont des perdants de ce scrutin, tout autant que ceux qui s’y sont trop fiés.

Pourquoi Alexander De Croo est un perdant

Né le 3 novembre 1975 à Vilvorde. Premier ministre depuis 2020. Il devait sauver la Belgique et sauver son parti, mais dans son pays désormais les deux premiers partis sont séparatistes et son parti qui était le plus grand parti flamand il y a 20 ans, y est aujourd’hui dépassé par les deux séparatistes en question, ainsi que par Vooruit et par le CD&V. Le bilan d’Alexander De Croo n’est pas incorrect, mais son bulletin électoral est catastrophique. Il était au 16, il est à moins de 8, et c’est beaucoup à cause des autres, et énormément à cause de lui. La faute des autres, c’est de l’avoir canonné depuis l’opposition, et parfois depuis les bancs de la majorité, en le faisant passer pour un traître à la Flandre et un traître à la droite. Sa faute à lui, c’est de n’avoir rien fait pour les contredire, au point de se montrer, au Grote Debat de VTM, officiellement hostile à la reconduction de sa propre coalition. Autant dire qu’il demandait à la Flandre de ne pas voter pour lui. Elle l’a écouté.

Pourquoi François De Smet est un perdant

Né le 3 mai 1977 à Bruxelles. Président de DéFI depuis 2019. Successeur d’Olivier Maingain, qui l’avait recruté et qui avait fort fait campagne pour lui, François De Smet, philosophe, avait milité au MR, avant, et il devait contrer la droitisation alléguée de son ancien parti par le libéralisme social et apaisé de sa nouvelle formation, après. Mais sa présidence, reconduite l’an dernier, aura été phénoménalement belliqueuse. DéFI s’est querellé avec ses partenaires de la majorité bruxelloise, certains de ses députés l’ont quitté, plusieurs ténors l’ont attaqué, et Olivier Maingain l’a même agressé publiquement comme l’histoire contemporaine de la Belgique l’a rarement vu, même entre libéraux non sociaux du temps de Didier Reynders et Charles Michel. Olivier Maingain et François De Smet se sont disputés sur tout, les électeurs bruxellois ne les ont récompensé en rien. DéFI est aujourd’hui le dernier parti francophone de Bruxelles, et son président ne le restera plus très longtemps.

Pourquoi les Ecolos sont des perdants

Nés en 1980 aux congrès d’Hélecine et Huy. Au gouvernement partout aujourd’hui, au gouvernement nulle part demain. Jean-Marc Nollet et Zakia Khattabi avaient triomphé en mai 2019. Ils étaient heureux après de très bonnes communales en octobre 2018, où les verts s’étaient renforcés partout où ils étaient au pouvoir. C’était une époque où l’on parlait beaucoup de climat. Cinq ans après, Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane sont au pouvoir partout sauf en Flandre, ils ont choisi des ministères qui leur étaient chers, ils devaient consolider leur ancrage pour éviter les défaites de 2004 et 2014 après les victoires et les participations gouvernementales de 1999 et 2009. Mais on n’a pas beaucoup parlé de climat, et leurs électeurs sont allés par dizaines de milliers cocher les listes des Engagés et du PTB. Ecolo, Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane sont les grands vaincus des élections de 2024.

Pourquoi Paul Magnette est un perdant

Né le 28 juin 1971 à Louvain. Bourgmestre de Charleroi depuis 2012, président du Parti socialiste depuis 2019. Il a repris un parti malade à Elio Di Rupo, si malade que jamais dans son histoire il n’avait attiré si peu d’électeurs qu’en mai 2019. Il n’y avait que lui, pensaient tous les socialistes et Paul Magnette, pour faire revenir à la social-démocratie les dizaines de milliers d’électeurs que la gauche dite authentique du PTB avait, avec les années, attirés. Il ne l’a pas fait, le PS n’a rien récupéré sur sa gauche, il ne les a pas convaincus et en a encore perdu des tas. Et puis il n’est pas révoltant de formuler l’hypothèse que quelques autres dizaines de milliers d’électeurs socialistes se sont déportés de la social-démocratie vers Les Engagés de Maxime Prévot. Paul Magnette n’est donc pas qu’un des perdants contingents de ce scrutin. Il est aujourd’hui un vaincu d’envergure historique, au nom du parti stabilisé à Bruxelles mais érodé en Wallonie comme jamais dans l’histoire.

Pourquoi Raoul Hedebouw est un gagnant

Né le 12 juillet 1977 à Liège. Président du PTB depuis 2021. Raoul Hedebouw n’est pas l’inventeur d’une formule magique, mais il en est le champion, et donc on le baptisera le théorème de Raoul. Il dessine implacablement une boucle de renforcement perpétuel. Les gens votent pour le PTB parce qu’ils rejettent des politiques qu’ils trouvent trop à droite. Comme le PTB prend des voix à la gauche et ne monte pas dans les majorités, les majorités qui s’installent comprennent des partis de droite qui mènent des politiques de droite, que les gens qui votaient pour des partis de gauche trouveront donc toujours trop à droite. Et donc les gens continuent de voter pour le PTB, puisque voter pour lui renforce les raisons pour lesquelles on a voté pour lui. Le résultat 2024 confirme ce théorème, et la configuration wallonne et l’équation bruxelloise n’y changeront rien, puisque le PTB pourra encore plus facilement qu’en 2019 éviter de devoir faire semblant de négocier.

Pourquoi Maxime Prévot est un gagnant

Né le 9 avril 1978 à Mons. Président du CDH, puis des Engagés, depuis 2019. Bourgmestre de Namur depuis 2012. Maxime Prévot n’a pas inventé le centre, il a inventé la réinvention du centre, comme ses prédécesseurs mais en beaucoup mieux. Son talent y a aidé, Maxime Prévot est un politique né, dont les formules souvent creuses cachent un nez qui ne l’est pas moins. Les choix de ses concurrents de droite, au MR, et de gauche, au PS et chez Ecolo, ont élargi l’espace accessible au flair du maïeur namurois. On donnait son CDH, en déclin structurel, comme mourant en 2019, et Maxime Prévot avait alors senti qu’il ne gagnerait rien d’une tantième terne participation au pouvoir. Ses Engagés sont sauvés, ont gagné des voix pour la première fois depuis plus de 30 ans, et sont si incontournables pour former des gouvernements, partout en Belgique, qu’il n’est même pas complètement inenvisageable de Maxime Prévot accéder à la tête d’un gouvernement, dans une capitale ou une autre.

Pourquoi Tom Van Grieken est un perdant

Né le 7 octobre 1986 à Anvers. Président du Vlaams Belang depuis 2014. Ainsi se comptent les vaincus et les vainqueurs, dans la Flandre jaune et noire: les indépendantistes gagnent toujours, même quand des indépendantistes ne gagnent pas. Tom Van Grieken a fait mieux en 2024 qu’en 2019. Mais il a fait moins bien que ce que les sondages anticipaient, et donc à ce à quoi il s’attendait, et, surtout, il ne pourra pas entamer, à partir de la Flandre qu’il rêve indépendante, la procédure à la catalane mais en mieux qu’il a, piteusement, présentée à Bart De Wever et aux très nombreux téléspectateurs de la téléréalité Het Conclaaf, et pour tout ça il a pris, le soir du 9 juin, une tonalité inversement calibrée à celle de Bart De Wever dans la voix. Il est l’indépendantiste flamand le plus contournable de Belgique. Tout le contraire de son vieux rival.

Pourquoi Bart De Wever est un gagnant

Né le 21 décembre 1970 à Mortsel. Bourgmestre d’Anvers depuis 2012. Président de la N-VA depuis 2004. La N-VA confirme son mauvais résultat de 2019 et le Vlaams Belang progresse encore par rapport à son bon résultat de 2019, mais Bart De Wever a dit que la N-VA avait gagné, alors il faut croire que la N-VA n’a pas perdu, et c’est vrai qu’elle a plutôt gagné. Car le Vlaams Belang n’est pas le premier parti flamand, et Bart De Wever, candidat Premier ministre, a pris sa part dans cet empêchement, puisqu’il a cumulé, dans les dernières semaines de sa campagne, son habituelle dénonciation de la gauche wallonne avec de rageuses invectives envers le Vlaams Belang de Tom Van Grieken, qu’il a plusieurs fois personnellement humilié, notamment dans l’émission de téléralité politique Het Conclaaf, dont les Flamands se sont repus par millions.

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