Affiches electorales pour les elections communales 2024 en Belgique 01/10/2024 © BELGA/BELPRESS

«Virage à droite» de la Wallonie: une réalité dans les urnes, pas dans les idées

Sylvain Anciaux

Les Flamands de gauche sont plus à gauche que les Wallons de gauche, et les Wallons de droite sont plus à droite que les Flamands de droite, ressort-il d’une étude. Qui apporte d’ailleurs d’autres enseignements.

Un basculement à droite. C’est ainsi que fut qualifié le résultat du scrutin du 9 juin en Belgique francophone. Soudainement, cette terre socialiste, parfois décrite comme raccrochée aux syndicats et aux aides sociales serait donc balayée par un esprit entrepreneurial. A gauche comme à droite, on a observé «le signal de l’électeur», et chacun de se remettre en question pour préparer un scrutin communal qui prend des airs de confirmation pour les uns, de session de rattrapage pour les autres.

Toute cette analyse est pourtant aujourd’hui remise en question par une note de quatre chercheurs issus de l’ULB, l’UGent et l’UAntwerp sur le positionnement idéologique des électeurs des plus grands partis du pays. On y lit notamment que les Wallons et les Flamands ne nourrissent pas d’idéaux de société incompatibles. De manière générale, le Belge –qu’il vienne d’Anvers ou d’Arlon– est de centre-gauche sur le plan économique, et plus à droite sur le plan culturel. L’info n’est pas neuve, mais utile à rappeler car des versions divergentes ont alimenté les stratégies de certains partis, non sans impact sur le scrutin électoral.

Pour établir ce constat, les chercheurs Caroline Close (ULB), Ine Goovaerts (UAntwerp) Anna Kern (UGent) et Lucas Kins (ULB) ont analysé les réponses du panel citoyen «NotLikeUs». En substance, trois questions sont posées : «où vous situez-vous sur l’échelle gauche-droite?», «le gouvernement doit-il intervenir dans l’économie du pays?» et, enfin, «estimez-vous que les migrants peuvent conserver leur culture ou doivent s’adapter à la culture occidentale?» -cette dernière formule interpelle, mais il s’agit en fait d’un questionnaire standardisé à l’échelle européenne. A chaque question, l’électeur est invité à se situer sur une échelle allant de 0, le plus à gauche, à 10, le plus à droite. Répondre cinq correspond donc à une position autoestimée au centre. Le même exercice ayant été fait en 2019, il est possible d’établir les évolutions des mentalités dans les différentes bases électorales des partis.

Décantation

En moyenne, les Wallons répondent 5,3 à la question sur le positionnement général, alors que les Flamands répondent… 5,4. En 2019, les Wallons se positionnaient à 5 et les Flamands à 5,5. L’écart se resserre donc, mais pas de manière significative, estiment les chercheurs. A noter, par ailleurs, que les communistes wallons s’estiment moins à gauche que… les écologistes flamands.

Axe gauche-droite – Infogram

Qu’en est-il pour les partis? Côté flamand, «les électeurs du PVDA, de Groen, de Vooruit mais aussi de l’Open VLD se perçoivent plus à gauche en 2024 qu’en 2019», note l’étude. Même le corpus électoral de la N-VA s’estime légèrement plus à gauche de 0,2 points. Seul l’électeur du VB, s’estimant à 6,9 en 2019 fait un bond à droite et se positionne désormais à 7,7.

En Wallonie, les électeurs des Engagés n’ont pas changé leur position. Socialistes et communistes font un (petit) pas à gauche. Deux partis wallons observent un repositionnement marqué chez ses électeurs: le MR et Ecolo. Alors qu’en 2019, l’écologiste moyen se plaçait à 4,4 sur l’échelle gauche-droite, il «redescend» désormais à 3,3. «Les départs massifs des électeurs écologistes sont ceux des centristes qui ont rejoint le parti depuis le MR ou le CDH il y a quelques années, indique la chercheuse en sciences politiques Caroline Close. Soit parce que le parti est lui-même trop à gauche, soit parce que ses électeurs étaient déçus de la gestion du parti une fois au pouvoir.»

Le Wallon travailleur face à l’électeur du PS profiteur

7,2. C’est l’échelon sur lequel se placent les électeurs du MR, soit entre la N-VA et le Belang. Sur le plan culturel, les libéraux «montent» même à 8,1. En comparaison, sur la même échelle, les nationalistes de la N-VA s’estiment à 7,6 et les électeurs du Belang à 8,6. Les électeurs du MR sont donc à mi-chemin entre ces deux partis. «Le MR a la capacité de prendre les électeurs très à droite, mais aussi les électeurs contestataires. C’est une « bonne performance » pour un parti qui était au gouvernement», analyse la chercheuse en sciences politiques Emilie van Haute (ULB).

La victoire libérale du 9 juin ne s’explique pas uniquement par là. «La rhétorique qui a gagné lors de la campagne, c’est que ceux qui travaillent gagnent moins que ceux qui sont sans emploi», analyse Caroline Close. «Le MR a fait des questions économiques un positionnement culturel et moral, poursuit Emilie van Haute. Si l’on regarde le discours de la N-VA, c’est la promotion du Flamand travailleur. Cette rhétorique a été reprise avec le Wallon qui travaille face à l’électeur du PS profiteur.»

Le MR a fait des questions économiques un positionnement culturel et moral.

Caroline Close, chercheuse en Sciences politiques.

Pourtant, on l’a dit, les électeurs des autres partis francophones s’estiment, eux, légèrement plus à gauche que par le passé. Pourquoi les partis qui avaient à y gagner n’ont-ils pas embrassé cette opportunité? La réponse se trouve peut-être dans les rangs socialistes qui ont fait du PTB leur frère ennemi pendant la campagne, alors que 10% de sa base électorale a glissé vers Les Engagés, et 8% vers le MR (et 7,2% vers les communistes). «Le parti a perdu du temps à colmater la brèche sur sa gauche sans voir venir celle sur sa droite», pose Caroline Close.

Dernière piste possible pour expliquer ce résultat électoral différent du positionnement idéologique: l’agenda médiatique. Sur ce point, la Belgique francophone vit peut-être, quelques années plus tard, ce que la Flandre a connu. «En Flandre, les questions migratoires étaient beaucoup plus importantes entre 2019 et 2024. Le Belang a lié près de 30% de ses sorties à ce sujet. Les partis flamands ont du suivre le tempo», avance encore Caroline Close. S’il n’est pas question de ces thématiques dans le chef des candidats MR, l’insécurité, le chômage et le déficit budgétaire étaient cependant de vrais thèmes de campagne côté francophone. Là où ni le PS, ni le PTB, et encore moins Ecolo n’ont su imposer leur thèmes, conclut Emilie van Haute.

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