La piste d’une nouvelle amnistie fiscale pourrait servir de monnaie d’échange contre une taxation des épaules les plus larges. © Belga/AFP via Getty Images

Vers une nouvelle amnistie fiscale? Pourquoi l’Arizona pourrait faire un «cadeau aux fraudeurs»

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

A la recherche de fonds pour renflouer les caisses fédérales, les négociateurs de l’Arizona étudient la piste d’une nouvelle amnistie fiscale. En 20 ans, les processus successifs de régularisation d’argent noir ont rapporté près de quatre milliards à l’Etat belge.

Encore et toujours le même obstacle. Depuis six mois, les négociateurs de l’Arizona butent sur le volet fiscal sans parvenir à un consensus. Parmi l’éventail des réformes envisagées, c’est notamment la question de la contribution des «épaules les plus larges» qui divise les partenaires de coalition. Et singulièrement le MR, opposé de longue date à une taxation des plus-values. Pour faire plier les libéraux francophones, la possibilité d’une nouvelle amnistie fiscale serait examinée par les cinq présidents de parti.

Si elle est loin d’être actée, cette procédure de régularisation fiscale donnerait un peu d’air au futur exécutif, confronté à un déficit budgétaire sans précédent. Car de l’argent, il y en a. Selon un rapport de la Cour des comptes datant de 2021, environ 40 milliards d’euros de fonds non déclarés dormiraient encore sur les comptes bancaires belges. Mais concrètement, comment les récupérer?

«L’idée originelle d’une amnistie fiscale, c’est de permettre à des personnes physiques ou morales en infraction fiscale de réguler leur situation de manière spontanée», explique Sabrina Scarnà, avocate fiscaliste. Sur base volontaire, le fraudeur a ainsi la possibilité de signaler au fisc un montant non déclaré ou dont il ne peut prouver l’origine, en s’acquittant de l’impôt normalement dû sur ce dernier, majoré d’une taxation supplémentaire. En échange, il bénéficie d’une immunité fiscale et pénale. «L’objectif, c’est de s’assurer que le traitement (pénalité, délai) soit identique pour tous via une loi fédérale unique», insiste Sabrina Scarnà.

Un débat sensible

Mais la mesure crispe certains partis, notamment à gauche de l’échiquier politique, qui la considèrent comme un «cadeau aux fraudeurs», voire une «incitation à la fraude». «La question est éminemment philosophique, reconnaît Thierry Litannie, avocat fiscaliste. Certains défendent l’aspect punitif, et trouvent illégitime d’octroyer l’aumône aux «vilains fraudeurs», et d’autres estiment que, dans un Etat de droit, il faut laisser la possibilité aux contribuables qui le souhaitent de pouvoir se mettre en ordre.» En dépit des considérations éthiques, l’amnistie fiscale a le mérite de révéler – sans effort et à un coût limité pour l’Etat – des activités frauduleuses qui seraient, pour la plupart, passées sous le radar des contrôles. «Il est donc logique d’inciter le contribuable à se confesser via des conditions plus compétitives que les sanctions encourues s’il était pris la main dans le sac», estime Sabrina Scarnà.

Les précédentes campagnes de régularisation ont d’ailleurs permis de rapporter gros à l’Etat. En vingt ans, la Belgique a connu quatre périodes d’aministie fiscale, répondant à des conditions différentes (revenus visés, taux de prélèvement) d’une mouture à l’autre. Lancée par le gouvernement Verhofstadt en 2004, la première DLU (déclaration libératoire unique) visait seulement les avoirs à l’étranger des personnes physiques et imposait le paiement d’une contribution unique de 6% ou 9%, selon les cas. En un an, elle a permis de rapatrier 498 millions d’euros dans les caisses fédérales.

Un pactole de 3,9 milliards

Au vu de ce succès, une DLU bis a été mise sur pied en 2006, s’étalant sur plus de sept ans. «Cette deuxième phase visait la fraude fiscale simple sur les revenus, à la fois des personnes physiques et morales, précise Sabrina Scarnà. Ce sont essentiellement des revenus mobiliers qui ont été signalés, mais aussi des revenus professionnels ou des successions non déclarés.» L’Etat belge en a retiré 1,55 milliard d’euros. La DLU ter (juillet 2013-décembre 2013) a été encore plus loin, en offrant la possibilité de blanchir des revenus issus de fraude fiscale grave et organisée. Recettes pour l’Etat en six mois: 0,67 milliard. Enfin, la DLU quater, instaurée par le gouvernement Michel en 2016, a rendu obligatoire la régularisation du capital (plus seulement les revenus), moyennant un prélèvement grimpant jusqu’à 40%. La Vivaldi a mis fin à cette procédure le 31 décembre 2023, qui aura rapporté 1,2 milliard supplémentaire dans les caisses fédérales.

«La question de l’amnistie fiscale est éminemment philosophique.»

Thierry Litannie

Avocat fiscaliste

Bref, en vingt ans, les pêcheurs fiscaux ont eu quatre occasions de se repentir, offrant à l’Etat un pactole total de plus de 3,9 milliards d’euros. Alors pourquoi leur octroyer une cinquième chance de se confesser? «Au-delà d’assurer des recettes non négligeables à l’Etat (qui en a grandement besoin), une DLU 5 permettrait surtout de dénouer une situation de blocage complet, insiste Thierry Litannie. Depuis le 1er janvier 2024, le contribuable belge ne dispose plus de solution légale pour régulariser ses fonds. Or, les banques sont aujourd’hui extrêmement strictes et refusent d’accueillir tout capital, même prescrit depuis belle lurette, dont la provenance ne peut être démontrée à l’aide de documents tangibles. Elles craignent en effet d’être considérées comme co-autrices ou complices d’infraction pénale de blanchiment. Or, il est quasiment impossible de démontrer l’origine d’un patrimoine placé par exemple au Luxembourg il y a plus de 20 ans. Nombreux sont donc les Belges qui sont aujourd’hui bloqués avec des avoirs à l’étranger inutilisables, en raison de la disparition de cet outil efficace de régularisation qui pourrait pourtant rapporter gros à l’Etat.»

Eviter un «racket étatique»

Une «situation surréaliste» que dénonce la plupart des avocats fiscalistes, d’autant que certains des contribuables belges actuellement plongés dans cette impasse avaient déjà procédé à une DLU bis par le passé, qui n’incluait pas la notion de capital prescrit à l’époque. «Ces gens, qui sont aujourd’hui parfaitement en ordre et ont respecté toutes leurs obligations fiscales depuis lors, ne devraient pas être pénalisés, s’indigne Sabrina Scarnà. C’est inadmissible. La loi, c’est la loi. Quand, en tant qu’Etat, on propose des conditions de régularisation et que, dix ans plus tard, on revient dessus, c’est difficile à faire passer.» Pour l’experte, la DLU 5 devrait dès lors viser les contribuables qui se trouvent aujourd’hui en situation infractionnelle et en possession d’argent noir. «Il y a encore des gens qui sont passés entre les mailles du filet et ce sont eux que l’Arizona doit cibler, pas ceux qui ont déjà procédé à des régularisations. J’espère que le futur exécutif aura le courage de remettre l’église au milieu de village.»

S’il reconnaît une forme d’«escroquerie intellectuelle» et de «racket étatique», Thierry Litannie appelle au réalisme. «Si les banques continuent d’exiger une attestation de régularisation pour accueillir du capital de l’étranger, même prescrit, il faudra peut-être, la mort dans l’âme, repasser par cet outil si l’on veut rendre les fonds utilisables, concède l’avocat. Même si ce n’est pas normal.»

En fonction de ses modalités pratiques et du taux de prélèvement (une taxation de 45% est évoquée dans l’entourage des négociateurs), une nouvelle amnistie fiscale pourrait rapporter «entre 70 et 80 millions d’euros», estime De Tijd. «Si on peut réutiliser cette somme à bon escient, par exemple en équipant la justice pénale de davantage de moyens pour lutter contre la fiscalité organisée, ça me paraît un argument tout à fait audible par l’opinion publique», tranche Thierry Litannie.

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