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Tensions Etats-Unis/Europe: J.D. Vance soutient l’extrême droite sous couvert de défense de la liberté d’expression
La leçon du vice-président américain J.D. Vance sur le recul de certaines valeurs en Europe a surtout servi à justifier un soutien à l’extrême droite, même la plus dangereuse.
«On retiendra de la conférence de Munich que le vice-président américain est venu y faire campagne pour les héritiers de monstres contre lesquels étaient venus mourir des centaines de milliers de jeunes Américains.» Le message que Jacques Attali, l’ancien conseiller du président français François Mitterrand, a posté… sur le réseau social X d’Elon Musk, synthétise assez bien la teneur de la «leçon de démocratie» qu’a assénée, le 14 février aux dirigeants européens, J.D. Vance, le bras droit et, pour certains, l’idéologue de Donald Trump. Ce discours consacre une fracture sans précédent dans la relation transatlantique.
Le vice-président de la plus grande puissance mondiale a principalement appuyé sa diatribe sur un manquement supposé de l’Union européenne, dans sa capacité à préserver la liberté d’expression. Point central de la salve de critiques (les autres exemples cités, liés notamment à des troubles à l’ordre public devant des cliniques pratiquant l’avortement, ont été présentés de façon biaisée ou étaient des fake news, selon une enquête du Guardian), J.D. Vance a déploré la décision d’annulation de l’élection présidentielle en Roumanie le 6 décembre et le soutien apporté à celle-ci par Thierry Breton, le commissaire européen au Marché intérieur de 2019 à 2024 et, à ce titre, maître d’œuvre du règlement européen sur les services numériques (DSA).
«J’ai été frappé qu’un ancien commissaire européen puisse récemment s’exprimer à la télévision pour se réjouir que le gouvernement roumain annule une élection présidentielle. Il a averti que si les choses ne se déroulaient pas comme prévu, la même chose pourrait se produire en Allemagne également», a soutenu le n°2 américain. Sauf que c’est doublement faux. D’une part, «l’UE/DSA n’a jamais annulé les élections […]. Le DSA ne réglemente pas le contenu; il garantit la #transparence afin qu’aucune plateforme –qu’elle soit chinoise, singapourienne, américaine et européenne– ne puisse manipuler les algorithmes», lui a répondu Thierry Breton. D’autre part, l’annulation du second tour de l’élection présidentielle par la Cour constitutionnelle roumaine ne relève pas de l’entrave à la liberté d’expression mais de la lutte contre une ingérence étrangère. C’est en effet en raison de soupçons d’influence russe, via des comptes TikTok, qu’elle a refusé de valider le premier tour du scrutin qui avait vu la victoire surprise d’un candidat d’extrême droite, Calin Georgescu.
La démocratie est mieux défendue en Europe que sur l’esplanade du Capitole à Washington.
L’opposition américaine aux pare-feu mis en place par les Etats européens et l’Union européenne contre les manipulations orchestrées par des pays dont les régimes sont autoritaires n’est pas seulement la manifestation de la vision absolutiste de la liberté d’expression en vigueur aux Etats-Unis. Elle est aussi l’expression d’un appui aux formations politiques européennes d’extrême droite que soutiennent ces pouvoirs dictatoriaux, Russie en tête. Rapproché de la complaisance de Donald Trump à l’égard de Vladimir Poutine dans sa tentative de règlement de la guerre en Ukraine, ce constat interroge sur le positionnement du président américain: du côté des démocraties ou des dictatures?
Le discours de J.D. Vance apporte en tout cas une clarification utile. L’adoubement de l’extrême droite européenne n’est pas une initiative personnelle d’un Elon Musk que l’on aurait pu réduire à un électron libre, il relève bien d’une politique délibérée de la nouvelle administration américaine. Et il est difficile de ne pas penser qu’elle vise en définitive un affaiblissement de l’Union européenne, que ces partis politiques combattent. La dénonciation par J.D. Vance des «cordons sanitaires» politiques établis dans certains pays par des partis démocratiques conforte cette crainte.
L’appui répété accordé par des responsables américains à l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) en pleine campagne pour les élections législatives en est l’exemple le plus frappant et le plus préoccupant quand on sait contre la répétition de quelles horreurs, en premier lieu l’antisémitisme producteur de la Shoah, la législation allemande sur la liberté d’expression vise à se prémunir. Jacques Attali a décidément raison de mettre en garde les Européens. La démocratie est mieux défendue ici que sur l’esplanade du Capitole à Washington.
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