La ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib, sera-t-elle contrainte à la démission?

« Une faute politique indubitable »: Hadja Lahbib doit-elle démissionner?

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Après la démission de Pascal Smet, la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib (MR) est sur la sellette dans l’affaire du « Téhérangate ». Mercredi, en Commission des Relations extérieures, la libérale sera sommée de s’expliquer sur sa responsabilité dans l’octroi de visas à la délégation iranienne en visite à Bruxelles.

La venue du maire de Téhéran à Bruxelles aura-t-elle la peau d’un second mandataire politique ? Après l’annonce, dimanche, de la démission du secrétaire d’Etat bruxellois chargé des Relations internationales Pascal Smet (Vooruit), tous les regards se tournent désormais vers son homologue au fédéral, Hadja Lahbib (MR). Clouée au pilori par l’opposition, la ministre des Affaires étrangères semble empêtrée dans une situation inextricable.

Jeudi, en séance plénière à la Chambre, la libérale s’est pourtant expliquée cahin-caha sur l’accueil controversé de la délégation iranienne en terres bruxelloises. Devant l’insistance du cabinet de Pascal Smet, Hadja Lahbib aurait simplement « suivi la procédure » en octroyant bon gré mal gré des visas aux Iraniens, et ce, après d’indispensables vérifications auprès de la Sûreté de l’Etat. En substance : « La venue de Alireza Zakani et consorts était une mauvaise idée, mais c’est la faute de Pascal Smet ».

Les arguments ont peu ou prou convaincu les députés. Mais les échanges de mails communiqués le lendemain par le cabinet Smet ont à nouveau fragilisé la position de la ministre. Ces différents courriels témoignent d’un revirement dans le chef d’Hadja Lahbib qui, malgré un avis défavorable de son administration, aurait finalement déclaré que la venue de la délégation iranienne « ne posait aucun problème ». Bref, le flou règne.

Une responsabilité « indiscutable »

Face à ces incohérences, la ministre est sommée de venir une nouvelle fois s’expliquer en Commission des Relations extérieures, mercredi après-midi. Mais, alors que Pascal Smet a « pris ses responsabilités » en rendant son tablier, Hadja Lahbib ne devrait-elle pas lui emboîter le pas ?

Pour Pascal Delwit, politologue à l’ULB, la ministre a une responsabilité indiscutable. « La délivrance de visas est une compétence exclusive de l’Etat fédéral, donc du ministère des Affaires étrangères. Quelles que soient les éventuelles pressions, in fine, c’est toujours le ministère qui tranche, insiste l’expert. Certes, les Régions ont des compétences en matières extérieures, mais certainement pas en matière de visas. »

Reste alors une question d’appréciation : la faute politique est-elle à ce point sérieuse qu’elle nécessite une démission ? Pour le politologue, l’erreur, tant de Pascal Smet que d’Hadja Lahbib, est « indubitable » symboliquement. La répression impitoyable du régime iranien depuis près d’un an, couplée aux négociations délicates pour la libération de l’humanitaire belge Olivier Vandecasteele, rendent extrêmement problématiques l’invitation ainsi que l’octroi d’un visa à une autorité politique iranienne, qui, de sucroît, n’appartient pas au camp des modérés ni des progressistes.

Dès lors, si un consensus s’est dégagé sur l’inéluctable démission de Pascal Smet, le même consensus doit prévaloir sur le cas d’Hadja Lahbib, estime le politologue. « Ce serait complètement incohérent politiquement que la personne qui a pris la décision finale reste en poste alors que le responsable intermédiaire a remis sa démission. »

Lahbib, la protégée de Bouchez

Quoi qu’il en soit, l’éventuel départ anticipé d’Hadja Lahbib du gouvernement De Croo tient désormais à trois fils. Premièrement, la gestion personnelle de son cas. La ministre parviendra-t-elle à garder la tête suffisamment froide pour survivre à la pression, tant médiatique que politique ?

Deuxièmement, le positionnement du MR sera déterminant. Le parti va-t-il apporter son soutien indéfectible à l’ex-journaliste de la RTBF ? Les libéraux jouent gros. « Si Hadja Lahbib ne démissionne pas, cet épisode risque de les poursuivre longtemps, analyse Pascal Delwit. Mais si elle démissionne, ce serait un lourd revers pour le président Georges Louis-Bouchez, qui l’avait nommée à ce poste à la surprise générale (non sans causer de remous en interne, NdlR). » A l’heure actuelle, Hadja Lahbib peut compter sur la confiance de ses pairs. « Sur la base de l’argumentaire qu’elle a donné devant la Chambre jeudi, la ministre n’a commis aucune faute, insiste le député Christophe Bombled, qui ne veut pas ‘court-circuiter’ les travaux parlementaires. C’est prématuré d’envisager un retrait. La ministre a le droit de se défendre. Et puis, il ne faut pas non plus que la démission devienne une mode (sic). » Georges-Louis Bouchez, de son côté, se défend en chargeant unilatéralement Pascal Smet et l’incompétence du gouvernement bruxellois dans son ensemble.

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Enfin, la position de ses partenaires politiques au sein de la Vivaldi sera cruciale. Si dans l’opposition, logiquement, de nombreuses voix s’élèvent pour exiger la démission de la ministre, la majorité est davantage timorée.

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L’appel déterminant du 10 mai

Pour le député Samuel Cogolati (Ecolo), l’audition de mercredi en Commission des relations extérieures sera déterminante pour « faire la lumière sur les zones d’ombre dans le discours de la ministre ». Un coup de fil entre Pascal Smet et Hadja Lahbib, le 10 mai dernier, interpelle particulièrement l’écologiste. « Dans les documents transmis par le cabinet Smet, on voit bien qu’il y a un avant-après cet échange téléphonique. Il faut que la ministre s’explique sur la teneur de cet appel, afin que l’on comprenne ce qui a pu la faire changer d’avis. » En outre, Samuel Cogolati s’interroge également sur le rôle joué par la secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Nicole De Moor, dans l’octroi des visas. « Elle avait la capacité de refuser les demandes de visa, mais elle ne l’a pas fait. »

« En se laissant entraîner sur le terrain de la morale, elle s’est enfermée elle-même dans une impasse. Cela risque de l’enterrer. »

De son côté, le socialiste Malik Ben Achour se dit perplexe quant à la défense développée par la ministre. « Si elle avait justifié l’octroi des visas par la disposition particulière de Bruxelles qui, de par son statut diplomatique exceptionnel, est forcée d’accueillir nombre de politiciens étrangers, pour certains peu louables, l’affaire aurait été rapidement réglée, estime le député. Mais la ministre a décidé de jouer sur un autre tableau : celui du bien et du mal. Si elle était vraiment convaincue que la venue du maire de Téhéran était une mauvaise chose, pourquoi a-t-elle insisté pour délivrer des visas ? Cette question risque d’avoir raison d’elle. En se laissant entraîner sur le terrain de la morale, elle s’est enfermée elle-même dans une impasse. Cela risque de l’enterrer. »

Si elle venait à démissionner, Hadja Lahbib serait la troisième membre du gouvernement De Croo – après Eva De Bleeker et Sarah Schlitz – à faire les frais de la pression exercée par la N-VA, qui prend décidément son rôle d’opposition plus qu’à cœur.  

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