Un marchandage politique obscur au cœur de la désignation du délégué aux droits de l’enfant
Un nouveau délégué général aux droits de l’enfant doit être désigné ce jeudi 8 septembre par le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Parmi les candidats retenus dans la sélection finale, figurent hommes et femmes politiques. Un manque d’impartialité des profils, qualité pourtant requise pour ce poste sensible, qui fait grincer les dents de plusieurs associations.
Le successeur de Bernard De Vos au poste de délégué général aux droits de l’enfant (DGDE) sera bientôt connu. Dès ce jeudi 8 septembre, en principe, date où le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) doit rendre son verdict final.
Politisation au coeur de la nomination du délégué général aux droits de l’enfant
En amont de cette désignation fortement attendue, d’intenses tractations politiques ont eu lieu, principalement entre partis de la majorité (MR, PS, Ecolo). Le Parlement a auditionné l’ensemble des candidats pour retenir six favoris, et les classer par ordre de préférence. Dans une volonté d’indépendance, le gouvernement a également formé un groupe d’experts afin de réaliser des auditions parallèles à celles effectuées par le Parlement.
Parmi les six candidats encore dans la course, la moitié a une couleur politique. C’est le cas de Joëlle Milquet, ex-ministre CDH (devenu Les Engagés), Solayman Laqdim (ancien membre du cabinet de Rachid Madrane, PS) et Séverine Acerbis, responsable au cabinet de Bénédicte Linard (Ecolo).
Les autres candidats (Virginie Cordier, directrice de la Vénerie ; Madeleine Guyot, conseillère de l’actuel Délégué aux droits de l’enfant et David Lallemand, conseiller et également porte-parole de Bernard De Vos) n’ont a priori pas de couleurs politiques publiques.
Classements et favoris pour le poste de délégué aux droits de l’enfant
Dans le rapport du groupe d’experts, que Le Vif a pu consulter, les candidats sont classés par ordre de préférence. Un commentaire sur chaque candidat est également rédigé. Ainsi, on peut notamment y lire que Solaÿman Laqdim est « de loin le meilleur candidat pour exercer la fonction. »
Madeleine Guyot, qui s’empare de la deuxième place, « a présenté une vision très claire et hautement coopérative de la fonction de Délégué général », dit le rapport.
Joëlle Milquet, deuxième ex-aequo, « a témoigné tout au long de son audition de sa parfaite maîtrise de la Convention relative aux droits de l’enfant et des enjeux qui y sont liés. » Le Collège note par contre que l’ex-ministre CDH « n’a pas suffisamment explicité la manière dont elle pourrait incarner et assumer le mandat en ses différentes dimensions eu égard à ses multiples engagements antérieurs. »
« Nomination opaque »
C’est justement ce dernier point qui chiffonne ONG et associations humanistes. La raison est simple : selon ces dernières, le poste de DGDE requiert une indépendance et une impartialité totales. Et donc, une personne non-politisée.
La Coordination des ONG pour les droits de l’enfant (Code) a été la première à taper du poing sur la table. Dans un communiqué, elle demande un Délégué général « sans étiquette politique ». Pour la Code, il est “essentiel que cette nomination se fasse en dehors de tout arrangement politique. »
Des craintes partagées par de nombreuses associations humanistes du pays. « Il y a un problème fondamental avec le processus de nomination du DGDE », nous glisse l’une d’entre elle. « La procédure de nomination est complètement opaque. On ne sait pas très bien sur base de quels critères le choix va être opéré », dénonce une autre association.
Couac supplémentaire, la mise en place du Collège d’experts, censé apporter un avis parallèle et indépendant du Parlement, semble lui aussi avoir été l’objet de manœuvres particratiques. Ainsi, il nous revient que chaque parti de la majorité aurait désigné ses candidats du jury. « Il aurait été préférable de constituer un Collège des experts sans attache politique », remarque une association.
Autre fait notable, il apparaît que les classements réalisés par le Collège d’experts et celui du Parlement ne sont pas les mêmes. Pour certaines ONG, il est dès lors légitime de se demander sur quels critères objectifs la désignation sera actée.
« Aucune motivation des candidats ne correspond entièrement aux critères fixés par le groupe d’experts. Il semble étrange de fixer des critères de sélection qui sont finalement peu évoqués dans les motivations des prétendants », souffle-t-on.
Crainte de conflits d’intérêts
Pour trois candidats, principalement, les craintes de conflits d’intérêts apparaissent assez rapidement. Solayman Laqdim, favori, est étiqueté socialiste et a travaillé dans le domaine de l’aide à la jeunesse. Joëlle Milquet a été ministre de l’Intérieur (CDH) et ministre de l’Enseignement. Des thématiques directement liées à la fonction du DGDE. Enfin, Séverine Acerbis est actuellement directrice adjointe du cabinet de Bénédicte Linard (Ecolo), ministre de l’Enfance, qui travaille sur les questions d’accueil, notamment.
« On a donc trois candidats qui ont travaillé directement sur des dossiers que va devoir monitorer le DGDE. On fait face à des conflits d’intérêts qui menacent de jeter un voile sur l’institution et sur les décisions qui seront prises par le délégué », craint une association.
Pour certains, il faudrait donc réformer le décret et la procédure de désignation pour qu’à l’avenir, ce risque de marchandage politique ne se présente plus. « En termes de transparence, c’est vraiment problématique. »
Rôle sensible
Car le rôle du DGDE est de prendre des positions qui peuvent parfois heurter les politiques. « Il ne s’agit pas de faire la guerre aux politiques, mais bien de faire évoluer les droits de l’enfant dans le bon sens. Et dans certains cas, le DGDE est amené à s’exprimer sur des questions sensibles (pauvreté, mendicité, etc.). Des dossiers sur lesquels de le délégué général actuel, Bernard De Vos, a pris des positions à l’encontre de certaines politiques », explique une association.
Pour Benoît Van Keirsbilck, directeur de Défense des Enfants International Belgique (DEI) et membre fondateur de la Code, tout indique que cette nomination retombe dans certains travers. Il craint une démarche purement politique. « On observe des arrangements entre partis qui font fi des questions fondamentales que devraient être la compétence de l’intéressé et sa capacité à exercer cette fonction de manière indépendante », souligne-t-il.
Les échos internes de certains partis confirment ces arrangements en cours. Pour la Code, « il semble que les compétences et l’indépendance de la personne sont remis en cause au profit d’arrangements politiques. »
Au contraire d’autres fonctions, celle de DGDE doit absolument prouver son indépendance, insiste Benoît Van Keirsbilck. « Car sa mission est de pouvoir être critique par rapport aux politiques qui sont décidées. Cela nécessite une indépendance en termes de posture, mais aussi que toutes les apparences soient sauvegardées », dit-il.
Pour le directeur de DEI, le risque serait alors d’analyser les décisions prises par le DGDE comme étant motivées par d’autres motifs que ceux du droit de l’enfant. « Notre crainte est qu’en faisant des accords politiques sur un poste de cet ordre-là, on érode la capacité de cette fonction à remplir sa mission. S’il y a bien une fonction qui doit échapper aux arrangements politiques, c’est celle-là. »
Benoît Van Keirsbilck redoute que ce climat de politisation mette à mal le futur du rôle du DGDE. « Aujourd’hui, il nous semble que les garanties ne sont pas réunies lorsqu’on observe les prises de positions et la mainmise des partis politiques sur cette nomination », conclut-il.
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