Un gouvernement fédéral pour la fin septembre, une utopie? «Bart De Wever risquerait d’apparaître comme un traître à la cause flamingante»
Le formateur Bart De Wever entend mettre sur pied un gouvernement fédéral pour la fin du mois de septembre. Mais la perspective des élections communales pourrait conduire les nationalistes flamands à remanier leur calendrier. Et encourager certains de leurs futurs partenaires à jouer la montre.
Cinquième visite royale en 42 jours. Ce mercredi soir, Bart De Wever (N-VA) est à nouveau attendu au Palais pour faire rapport de l’avancée des négociations fédérales. Sans surprise, sa mission de formateur devrait être prolongée. Car le chantier, colossal, est loin d’être bouclé.
Mais le bourgmestre d’Anvers est confiant. Dans sa ligne de mire, une seule échéance: le 20 septembre. A cette date, la Belgique, menacée d’une procédure en déficit excessif par les instances européennes, doit remettre à la Commission une trajectoire budgétaire soutenable pour les années à venir. «Une deadline naturelle» pour le président de la N-VA, à laquelle il n’entend pas déroger.
Dans les faits, l’objectif est réalisable. Et ce, malgré une semaine de répit accordée aux futurs partenaires de la majorité Arizona (MR, Engagés, CD&V, Vooruit et N-VA) du 3 au 11 août. «Bart De Wever est formateur depuis le 10 juillet, donc ça lui laisse plus de deux mois pour mener à bien sa mission. C’est tout à fait faisable», estime Dave Sinardet, politologue à la VUB. D’autant que le scrutin du 9 juin a laissé un paysage politique bien moins fragmenté qu’attendu entre le nord et le sud du pays, favorisant les alliances spontanées. «La situation est bien plus claire et confortable qu’en 2019, note Benjamin Biard, chercheur au Centre de recherche et d’information socio-politique (CRISP). Nous avons cette fois la possibilité de former un gouvernement associant des partis gagnants, avec des coalitions miroirs en Wallonie et en Flandre et une majorité dans chaque groupe linguistique à la Chambre des représentants.»
L’argent, le nerf de la guerre
Attention tout de même à ne pas confondre vitesse et précipitation, avertit Dave Sinardet, qui pointe certains écueils dans la formation des gouvernements wallon et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. «Au sud du pays, il y a eu une volonté d’aller très vite, voire trop vite. Les déclarations gouvernementales n’incluent pas encore de tableaux budgétaires, certaines mesures manquent de clarté ou sont même anticonstitutionnelles. Sans parler des quelques couacs survenus lors de la désignation des ministres. L’idée n’est donc pas non plus de bâcler les choses», tempère le politologue.
«Au sud du pays, il y a eu une volonté d’aller très vite, voire trop vite.»
Dave Sinardet
Politologue à la VUB
Mais les multiples obstacles sur la route de la future Arizona ne laissent que peu de place à la célérité. Maintenir Vooruit à bord du navire sera le premier défi. Les socialistes flamands, isolés à gauche dans un attelage de centre-droit, peineront sans doute à accorder leurs violons avec leurs partenaires. Surtout dans un contexte de déficit budgétaire. «L’argent, c’est le nerf de la guerre, résume Caroline Sägesser, politologue au CRISP. Or, les partis en négociations n’ont pas les mêmes priorités au niveau des réductions de dépenses. Vooruit, Les Engagés et le CD&V veulent sauvegarder les soins de santé, alors que les partis de droite ont livré de grandes promesses en matière de refinancement de la justice et d’augmentation de la sécurité en lien avec la criminalité à Bruxelles et à Anvers. Comment satisfaire tout le monde?»
Séparatiste ou belgicain?
Le volet institutionnel constitue une seconde pierre d’achoppement. Sander Loones, fidèle lieutenant de Bart De Wever chargé de désamorcer la bombe communautaire au sein des négociations, vend un projet confédéral particulièrement poussé, rappelle Caroline Sägesser. Une pilule qui sera difficile à avaler côté francophone. «Or, penser que la N-VA fera l’économie d’une 7e réforme de l’Etat, ou acceptera en tout cas de mettre ce processus en suspend, me semble peu probable», poursuit la politologue.
D’autant que les élections communales approchent. Et que la menace du Vlaams Belang plane toujours au nord du pays. «Dans ce cadre, comment imaginer que la N-VA se présente de façon sereine face aux électeurs le 13 octobre en ayant conclu un accord gouvernemental qui ne renforce en rien l’autonomie de la Flandre?», s’interroge Caroline Sägesser. Le risque de voir cet échec exploité par le Vlaams Belang, avec lequel la N-VA partage un terreau commun d’électeurs, est grand. «Tom Van Grieken fustigerait le comportement de De Wever, arguant que de nationaliste flamand, il s’est mué en belgicain.»
Pour éviter d’apparaître comme un «traître à la cause flamingante», Bart De Wever pourrait donc être tenté de jouer la montre et de prolonger les négociations au-delà du 13 octobre. Tout comme Vooruit, pour qui la signature d’un accord aux saveurs trop libérales pourrait résulter en la perte de voix aux communales au profit du PVDA, note Dave Sinardet. «Surtout que le vote aux élections locales n’est plus obligatoire au nord du pays, rappelle Caroline Sägesser. Les partis flamands devront non seulement tenter de conserver leur base électorale, mais également les motiver à se rendre aux urnes.»
Vers un compromis à la Belge?
Mais le problème peut également être pris à l’envers. «Pour Vooruit, arriver aux communales en s’appropriant quelques trophées de l’accord gouvernemental serait aussi un avantage, estime Dave Sinardet. Les socialistes flamands démontreraient ainsi leur prise de responsabilités et leur volonté de gouverner, contrairement au PVDA cantonné dans l’opposition.» S’il devient Premier ministre fin septembre, Bart De Wever pourrait également asseoir la crédibilité de la N-VA aux yeux d’électeurs indécis. Pour les partis francophones, la tentation de jouer la montre semble moins stratégique, les Engagés et le MR ayant déjà scellé leur avenir au sein des gouvernements wallon et de la FWB.
Reste tout de même l’échéance budgétaire du 20 septembre. La Belgique pourrait-elle rendre une feuille de route à l’Europe sans avoir mis sur pied un gouvernement fédéral? «Juridiquement, rien ne l’interdit, assure Caroline Sägesser. La définition des affaires courantes est très élastique. On peut y englober à peu près tout et n’importe quoi.» Le gouvernement démissionnaire pourrait donc officiellement remettre l’enveloppe à la Commission, à condition qu’elle ait été concoctée dans les grandes lignes par les futurs partenaires. Une piste qui pourrait satisfaire la majorité des interlocuteurs. «Cela permettrait de ne révéler qu’un aspect (budgétaire) de l’accord, en évitant d’aborder d’autres questions fâcheuses avant les élections communales, comme le volet institutionnel.»
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