Un deal secret et inattendu de la N-VA avec pour but ultime de diviser la Belgique?
Dominer le pouvoir en Flandre avec un bloc conservateur de droite fort et, à partir de là, forcer les francophones à une division confédérale « définitive » du pays : c’est le rêve du président de la N-VA, Bart De Wever. Conner Rousseau (Vooruit) l’aidera-t-il à le réaliser?
Y a-t-il un accord secret entre Bart De Wever et Conner Rousseau pour former l’axe de nouvelles coalitions en Flandre et en Belgique dès 2024? C’est ce qu’a laissé entendre le journaliste de la VRT Bart Verhulst, qui pense même déjà connaître le nom du nouveau Premier ministre en la personne de Zuhal Demir (N-VA), protégée de Bart De Wever et bonne amie de Conner Rousseau.
Est-ce un pur hasard si De Wever et Demir se sont immédiatement portés au secours du leader de Vooruit la semaine passée après sa sortie sur Molenbeek, alors que beaucoup de ses propres collègues de parti s’en mordaient les doigts ?
Une telle greffe politique serait-elle possible alors que les idées de Vooruit et de la N-VA semblent a priori assez éloignées? A Anvers, la coalition de la N-VA, de Vooruit et de l’Open Vld fonctionne bien. La répartition des rôles est claire : le bourgmestre De Wever est aux commandes, tandis que Vooruit est heureux de travailler pour les compétences qui lui sont chères (Enseignement, Affaires sociales, etc.).
Un tel arrangement pourrait également se produire en Flandre, mais avec le CD&V comme troisième partenaire, à la place de l’Open Vld. Le fait que Vooruit offre à De Wever la possibilité de régler ses comptes avec l’Open Vld, après la « trahison » d’Egbert Lachaert et d’Alexander De Croo, est un bonus appréciable, analyse De Morgen dans son édition de samedi. A l’inverse, Rousseau est le type de leader socialiste qui fait passer le pouvoir avant l’idéologie. Johan Vande Lanotte et Frank Vandenbroucke ne le contrediront pas.
Pour De Morgen, il y aurait même une couche de ciment idéologique entre les deux partis. Dans son livre Reset, qui a fait couler beaucoup d’encre, le sociologue Mark Elchardus tente d’ancrer la pensée communautaire dans le nationalisme, comme alternative au néolibéralisme. Bart De Wever ne fait pas une seule apparition dans les médias sans qu’il ne cite Elchardus, presque mot pour mot. Point névralgique de la pensée d’Elchardus : la critique de la soi-disant « démocratie légale » ou des « élites intellectuelles » mondiales qui, avec leur « indignation post-moderne », ferment les yeux sur les préoccupations des petits gens.
Pour le quotidien flamand, il est (très) incertain que Conner Rousseau ait également lu Reset, mais intuitivement, il est sur la même piste. Outre sa sortie mouvementée sur Molenbeek, le Morgen rappelle que les idées de Rousseau sont connues comme une variante plutôt classique, voire conservatrice et paternaliste du socialisme. Qu’il s’agisse des mères toxicomanes qui ne sont pas autorisées à avoir des enfants, des jeunes femmes qui ne doivent pas porter le voile, des parents qui sont obligés de suivre des cours de langue ou des enfants qui sont obligés d’aller à l’école maternelle : dans chaque cas, c’est à l’État (la communauté) et non à l’individu (la famille) que l’on fait confiance pour élever les jeunes, dans sa vision des choses.
Argument plus important encore, un accord avec les socialistes est politiquement commode pour Bart De Wever. Il a récemment brossé un tableau plus large de l’avenir. Il y voit son parti comme le noyau d’un bloc de droite conservatrice dans lequel les plus gros morceaux de l’Open Vld et du CD&V ont également leur place. Avec une telle formation dominante, et un accord avec le principal adversaire restant au centre, il est possible de mener la barque en Flandre pendant longtemps.
« De Wever a tout à fait raison : un parti dominant de droite-conservatrice comme centre inéluctable de la politique flamande ne serait que logique », écrit De Morgen. La N-VA n’est plus sûre de pouvoir répondre seule à cette demande : le CD&V et l’Open Vld envisagent également, avec un peu plus de désespoir, une réallocation vers la droite. Deux voies sont ouvertes : une alliance avec la N-VA ou une alliance contre la N-VA (et le VB).
Mais nous n’en sommes pas encore là. La prépondérance de la N-VA et de De Wever serait importante dans une telle formule. Et, pour l’Open Vld et le CD&V, l’idée de rejoindre une entité plus grande en tant que poids lourd de la politique flamande reste bien présente dans la tête de deux partis qui, au début du siècle, caressaient encore l’ambition de devenir ou de rester le grand parti du peuple flamand. Un nouveau résultat décevant de scrutin en 2024 pourrait bientôt rendre l’impossible inévitable.
Il y a autre chose que Conner Rousseau peut offrir à la N-VA : une passerelle vers le PS. Ce qui n’a pas réussi après les dernières élections – un grand accord entre la N-VA et le PS, avec Vande Lanotte et Rousseau comme médiateurs – pourrait être possible après 2024. Le fait que les gouvernements intérimaires francophones ne puissent plus gérer le budget pourrait constituer un levier pour les négociations sur une réforme de l’État confédéral.
Voici donc le rêve de De Wever : à partir d’un bloc hégémonique en Flandre, il pourrait contraindre la Belgique francophone à une division définitive du pays. Pour l’instant, la réalité semble un peu plus nuancée. Surtout, parce que parmi les francophones, à part les socialistes qui s’affaiblissent, personne ne veut entrer dans un tel schéma.
La situation confronte cependant les socialistes flamands à une question incontournable. Jusqu’où veulent-ils aller avec De Wever pour l’aider à réaliser son ambition ? Bien que beaucoup considèrent ce « scénario d’Anvers » comme possible, les langues ne se délient pas sur le sujet.
Dans le passé, De Wever avait déjà conclu des alliances intenses avec des adversaires. Cela ne l’a pas empêché d’essayer de les écraser sans pitié après l’échec d’une coalition ou d’une négociation. Rousseau est prévenu.
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