Un accord secret pour enterrer l’affaire Hadja Lahbib? «On ne peut pas s’empêcher de penser à une compensation»
Si l’affaire Hadja Lahbib n’est pas totalement terminée, la situation s’est débloquée suite à la décision du PS et d’Ecolo d’approuver la motion simple, empêchant la ministre MR de faire face à la motion de défiance, qui engendrerait sa démission. Après avoir été intransigeante, la rive gauche de la Vivaldi lâche donc du lest. Contre une compensation du MR en vue des réformes sur le feu ? C’est la question que soulève la chercheuse Caroline Sägesser (CRISP).
La position du PS et Ecolo semble ambivalente : d’abord très fermes, les partis de gauche décident désormais de voter la motion simple. Si Ahmed Laoueej (PS) demande la démission de Lahbib, le blocage gouvernemental n’est plus d’actualité. Comment expliquer ce revirement de situation ?
Caroline Sägesser: « La stratégie des autres partis de la majorité est un peu compliquée à décrypter. Ils déclarent ne pas être satisfaits après l’audition de Lahbib en commission, puis ils disent finalement vouloir adopter la motion d’ordre pour sauver le gouvernement. On ne peut pas s’empêcher de se dire qu’il y a peut-être eu une compensation. Que le MR a accepté de soutenir telle ou telle proposition, ou de lâcher un peu de lest dans la réforme fiscale, par exemple. C’est une possibilité qu’on ne peut pas écarter. Car il est complexe d’expliquer ce revirement d’opinion dans le chef d’Ecolo et du PS. »
Le MR en sort-il affaibli de l’affaire Lahbib ?
Le MR ne sort pas tellement affaibli de cette séquence. Parce que quand la poussière sera retombée, on considérera peut-être que le Mouvement Réformateur et son président ont tenu tête aux autres membres de la coalition, et soutenu leur ministre. Ce revirement des partis verts et socialistes permet aux libéraux de proposer une lecture de la crise qui ne lui est pas complètement défavorable. Même si cette affaire efface un peu le succès obtenu avec la libération d’Olivier Vandecasteele et des autres otages européens. Lors de la prochaine campagne électorale, la droite pourra difficilement se targuer de ce que la ministre des Affaires étrangères a obtenu. Ça ferait ricaner.
Peut-on dire que le PS et Ecolo ont perdu le bras de fer ?
Je ne sais pas s’ils ont perdu le bras de fer, dans le sens où ils n’étaient pas forcément obligés de céder. Car il n’est pas sûr que le MR aurait maintenu sa menace de faire tomber le gouvernement. J’ai plutôt l’impression qu’il est possible que la gauche ait obtenu autre chose en compensation.
La crédibilité de Lahbib est en tout cas ternie. Doit-elle démissionner, comme demandé par le PS ? Comment peut-elle continuer à exercer ses fonctions sereinement ?
Je pense qu’elle ne démissionnera pas. Avec l’adoption de cette motion, ce n’est plus nécessaire. Si elle a tenu le coup à titre personnel jusqu’ici, ce n’est pas pour flancher maintenant. Deux éléments plaident en la faveur de Lahbib. Le premier, c’est qu’elle ne fait pas partie du Kern. Or, c’est vraiment là que se prennent les décisions. La situation aurait été tout autre si elle avait été la cheffe de file du MR au gouvernement et qu’elle faisait partie du noyau dur des ministres qui prennent vraiment les décisions.
Deux éléments plaident en la faveur de Lahbib: elle ne fait pas partie du Kern, et elle est ministre des Affaires étrangères.
Caroline Sägesser
Deuxième élément, il est assez rare que les Affaires étrangères soient le théâtre d’une polémique. En Belgique, il y a en général un consensus assez vaste sur la conduite de cette compétence. Si Lahbib avait été aux finances ou au budget, la situation serait beaucoup plus complexe. Car elle aurait été chargée d’arbitrer des discussions politiques tendues entre partenaires.
Par contre, il est clair que sa légitimité personnelle n’en sort pas renforcée. Cet épisode donne une crédibilité au scénario qui ne la voit pas faire une longue carrière en politique au niveau fédéral, mais plutôt au niveau régional voire communal, à Schaerbeek par exemple.
Quoi qu’il en soit, la confiance est encore plus fragilisée dans la majorité. Parvenir à conclure des accords sur les réformes en cours est-il encore envisageable ?
On a peine à affirmer qu’il y aura encore des accords. Même si la nécessité est criante. Qu’il s’agisse de la réforme des pensions, de la réforme fiscale ou du dossier nucléaire. On ne risque pas d’avoir des accords de grande ampleur. Sans doute le strict minimum. De manière générale, on tire déjà le bilan de la Vivaldi à un an des élections, et ce bilan est assez maigre. C’est une équipe qui a bien géré les crises –sanitaire, ukrainienne- mais qui s’est montrée incapable de dégager de grands accords.
La composition hétéroclite de la majorité est-elle l’explication principale de ces non-aboutissements?
Le ver était sans doute dans le fruit. Parce que l’accord du gouvernement n’était pas suffisamment précis dès le départ. C’est un peu malheureux d’avoir attendu plus d’un an pour former un gouvernement et puis d’avoir négocié un accord aussi succinct. La Vivaldi n’a pas déterminé à l’avance les grands axes des réformes.
La position de Georges-Louis Bouchez, est-elle également affaiblie?
Il est compliqué de se former une opinion à son propos. Spontanément, on se demande combien de temps il va encore tenir. Puis, on s’aperçoit qu’il peut survivre à beaucoup de choses. Etant très habile, Bouchez est capable de retourner les faits en sa faveur. En montrant, par exemple, qu’il est le président qui tient bon face aux pressions des partenaires de la majorité, et qui soutient sa ministre. Donc, une lecture différente de l’événement peut lui être moins dommageable. Si les résultats ne sont pas là au prochain scrutin, il est sûr que ce sera compliqué pour lui. D’ici là, il n’a pas à s’en faire pour son fauteuil de président.
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