Outgoing Foreign minister Hadja Lahbib pictured during a plenary session of the Chamber at the Federal Parliament in Brussels, Thursday 07 November 2024. BELGA PHOTO ERIC LALMAND © BELGA

Un 49.3 à la Belge, l’astuce du futur gouvernement pour rentrer son budget dans les temps

Sylvain Anciaux

Pragmatiques, les négociateurs du futur gouvernement fédéral se rendent compte qu’il sera de plus en plus complexe de rendre un budget à l’Europe pour le 31 décembre. Alors, ils sortent un as de leur manche, et envisagent de bypasser le Parlement.

Dans l’inlassable rivière du temps qui s’écoule, le futur gouvernement fédéral ressemble aujourd’hui à un gros rocher. Bien ancré, ce gros rocher, et attendu par la Commission Européenne le 31 décembre à 23h59 au plus tard pour présenter son budget. Un rendez-vous qui s’annonce de plus en plus incertain au gré des échecs de Bart De Wever à faire naître un gouvernement de plein exercice.

Ceux qui ont fait de la rigueur budgétaire leur leitmotiv ces dernières années s’inquiètent. Ne pas rendre de budget pour la fin de l’année revient à gérer 2025 via des douzièmes provisoires et empêche de ce fait toute grande mesure économique. «On va déjà devoir faire des efforts de malades sur les cinq années [de la législature], admet en coulisses une source bien placée. Les compresser sur quatre ans, ce serait inhumain.» Pour éviter un tel scénario, l’idée d’un gouvernement doté de pouvoirs spéciaux fait son chemin. Sur les ondes de La Première, ce lundi matin, le Président des Engagés, Maxime Prévot, concédait que «le plan budgétaire pourrait nécessiter que des moyens inédits soient sur la table.»

Un 49.3 à la belge ?

En quoi consisterait un gouvernement doté de pouvoirs spéciaux ? Selon l’introduction de l’article du Crisp à ce sujet, il s’agit d’une «extension temporaire des pouvoirs du gouvernement permettant à ce dernier de modifier ou d’adopter seul, dans un certain nombre de domaines fixés dans une loi d’habilitation, des normes législatives, et ce afin de faire face à une situation de crise». En clair, en temps de crise, le gouvernement peut prendre un panel de décisions sans avoir recours au Parlement.

L’idée, selon les négociateurs francophones, serait de ressusciter la coalition «Lagon» (sans Vooruit, mais avec le CD&V) large d’à peine 76 sièges sur 150 au Parlement, lequel devant conférer ces fameux pouvoirs spéciaux au Parlement.

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Le mécanisme fait rapidement penser au 49.3 français, outil apprécié des gouvernements macronistes pour faire passer la Loi Travail en 2016 ou, plus récemment, la réforme des retraites. «La comparaison est justifiée dans le sens où c’est le symbole de l’emprise du gouvernement sur le processus démocratique de l’élaboration de lois», constate d’emblée Vincent Lefebve, docteur en sciences juridiques et chargé de recherches au sein du secteur socio-politique du Crisp. Et d’ajouter que ce mécanisme n’est pas inscrit dans la constitution, à l’inverse de nos voisins Français.

Le gouvernement belge doté de pouvoirs spéciaux est généralement promulgué pour une période de trois mois, reconductible. Ses décisions sont prises en Conseil des ministres et sont soumises au Conseil d’Etat. Le gouvernement de pouvoirs spéciaux ne publie pas de lois, mais des arrêtés qui doivent tout de même être validés par le Parlement une fois que la période où le gouvernement jouit de pouvoirs spéciaux s’arrête.

L’art de gouverner en temps de crise

Si l’idée venait à se concrétiser, elle ne serait pas pour autant inédite en Belgique. En 2020, le gouvernement Wilmès II était décrété dans l’urgence et s’était vu conférer ces pouvoirs spéciaux, bien que minoritaire, se souvient le député socialiste Eric Thiébaut. «Pendant le Covid, on pouvait le comprendre au vu de l’urgence absolue. Ce n’est pas le cas ici, et des majorités sont possibles. La question du budget n’est pas nouvelle. Les élections ont toujours lieu en mai ou en juin et ce n’est pas la première fois que la Belgique ne rend pas le budget dans les temps.»

La mise en place de ce gouvernement doté de pouvoirs spéciaux constituerait donc une certaine rupture par rapport à son utilisation passée, note Vincent Lefebve. «Il y a beaucoup de crises, certes, mais nous ne sommes pas dans un moment de crise aigüe. (…) En 2011, on n’était pas dans une situation très différente avec la crise des 541 jours. Pourtant, la note de la Belgique avait été rétrogradée par une agence de notation, les discussions gouvernementales étaient liées à une réforme de l’Etat… Les politiques ont finalement trouvé un grand accord institutionnel, on n’a pas parlé de pouvoirs spéciaux.»

En prenant du recul, il apparaît aussi que le mécanisme des pouvoirs spéciaux pourrait être l’ultime outil de pression des francophones à l’encontre des socialistes flamands. Histoire de rendre à Conner Rousseau ses hésitations qui ont, selon ses partenaires (ou opposants, on ne sait plus vraiment), fait perdre un temps précieux. Histoire aussi de montrer qu’une majorité avec l’Open VLD, ne tenant qu’à un petit siège sur 150, est réellement envisagée.

Petit à petit, le gros rocher bloqué dans la rivière du temps se polira. S’affûtera, même.

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