Christophe Van Gheluwe
Transparence au fédéral: qu’est-ce que le gouvernement a peur de vous dévoiler?
Le gouvernement Vivaldi est en train de revoir la législation sur la transparence des autorités publiques fédérales. Cette initiative ne vient pas de nulle part. En 2019, l’organe anticorruption du Conseil de l’Europe (GRECO) avait pointé du doigt différents manquements en matière de transparence.
Trois ans plus tard, le gouvernement fédéral s’est enfin retroussé les manches pour intégrer les recommandations du GRECO.
Mais, il y a un mais … et même plusieurs !
Différentes organisations de la société civile ont récemment réussi à faire entendre leurs voix via des auditions au Parlement fédéral. Elles ont fait part de leurs remarques et de leurs inquiétudes par rapport au texte du gouvernement. Cumuleo a participé à ces auditions avec notamment les associations de journalistes francophones (AJP) et flamands (VVJ), la Ligue des Droits Humains et Transparencia.
Ces différents organismes n’ont pas été tendres dans leurs analyses. Les critiques envers le projet de loi n’ont pas manqué.
D’une part, il a été reproché au gouvernement de ne pas aller assez loin en matière de transparence, par exemple en ne s’alignant pas sur les normes en application dans les Régions. D’autre part, là où le gouvernement avance, il lui est reproché de prévoir des portes de sortie qui reviennent à retirer d’une main ce qu’il donne de l’autre.
Illustration : les cabinets ministériels fédéraux seront soumis à la transparence comme le recommande le GRECO. En même temps, le gouvernement ajoute un nouveau motif d’exception à la transparence visant à assurer le secret des documents administratifs détenus par les cabinets et portant sur l’exécution d’une « stratégie politique ». Qu’est-ce qu’une « stratégie politique » me direz-vous ? Personne ne sait vraiment. Et la représentante de l’association des journalistes professionnels d’indiquer lors de son audition à la Chambre, « Tout ne relève-t-il pas, dans un cabinet, de l’exécution d’une stratégie politique ? »
La publicité active (open data) … la grande oubliée
Un autre reproche concerne le manque d’avancée en matière de publicité active/open data. Par publicité active, il faut entendre l’ensemble des documents et informations que les autorités publiques rendent spontanément disponibles, par exemple via leurs sites internet.
La loi sur la transparence des autorités fédérales date de 1994. Pour ceux qui se souviennent de cette époque, internet était balbutiant. Il est logique qu’à l’époque le législateur n’ait pas prévu de diffuser des informations sur les sites internet, non encore existants, des autorités publiques.
En 30 ans, les choses ont toutefois changé, ce que le gouvernement fait mine d’ignorer tant les propositions en matière de publicité active sont faibles : noms et fonctions des cabinettards et informations sur la réglementation fédérale applicable, on peut difficilement faire moins consistant.
Vous voulez consulter en ligne les factures de dépenses des autorités fédérales ? Impossible. Vous désirez voir les subventions et aides octroyées par ces mêmes autorités ? Impossible. Vous voulez consulter les avis des Inspecteurs de finances, là encore, ces documents n’en sont pas disponibles en ligne. Et il y aurait bien d’autres exemples à citer.
Or, les documents cités ci-dessus sont déjà rassemblés dans des bases de données internes à l’administration. Il serait donc facile de les mettre à disposition du public sur un site avec un moteur de recherche pour en faciliter la consultation.
Open data : focus sur la Région bruxelloise
Pour illustrer le propos, prenons l’exemple de la Région bruxelloise qui a revu sa législation sur la transparence administrative en 2019. Dans cette législation, le gouvernement a décidé de rendre publics une série de documents comme les inventaires des subventions, les inventaires des études réalisées pour le compte des autorités, les inventaires des marchés publics,…
Vous voulez découvrir ce que cela donne en matière de cadastre des subsides et des marchés publics ? Rendez-vous sur ce site.
Ce que la Région de Bruxelles-Capitale fait, le fédéral a les moyens nécessaires pour le faire également !
La Belgique classée 119e sur 136 au RTI Rating
Toujours en matière de publicité active relevons le « Global Right to Information Rating » qui mesure la solidité du cadre juridique du droit d’accès à l’information détenu par les autorités publiques. Il s’agit d’un classement réalisé par les organisations Access Info Europe et The Centre for Law and Democracy sur base d’analyses de professeurs de droit (l’expert pour la Belgique est Dirk Voorhoof).
L’indicateur 58 de ce classement porte justement sur la publicité active. On y découvre que, dans plus de 80 pays, les autorités publiques créent, tiennent à jour et publient un registre des documents en leur possession.
Concernant cette matière, la Belgique reçoit un score sans appel : Zéro pointé !
Des pays comme l’Inde, l’Iran, le Niger, le Sri Lanka,… ont des législations plus avancées en matière de cadastre des documents publics. Édifiant ! Ce n’est toutefois pas une fatalité, le projet de loi du gouvernement tombe au bon moment pour rectifier ce score, pour autant évidemment qu’il y ait un minimum de volonté politique.
Pour conclure, il serait dommage de réviser la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration sans corriger les défauts constatés dans cette loi et sans tenir compte des évolutions techniques et sociétales en matière d’exigence de transparence.
À un an des élections et vu les scandales à répétition que notre pays a connus ces derniers mois, le Parlement et le Gouvernement se doivent d’envoyer un signal fort de transparence à tous les citoyens. Le feront-ils ?
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici