Des citoyens et militants socialistes se sont rassemblés mardi midi devant la maison communale de Schaerbeek, en soutien à la tête de liste PS Hasan Koyuncu, qu’ils considèrent comme leur bourgmestre légitime. © BELGA

Trahison (avortée) à Schaerbeek, émeutes à Rochefort, basculement historique à Wavre… Pourquoi tant de chaos après les communales

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Entre coups bas et querelles d’égo, les négociations post-électorales prennent des allures de feuilletons télévisés dans plusieurs communes. Le flou législatif et l’attachement émotionnel aux enjeux locaux peuvent renforcer ces tensions. Gare toutefois à l’effet de loupe.

Tout avait pourtant débuté dans le calme. Lundi, une petite centaine de Rochefortois (et une dizaine de tracteurs) investissaient le parvis de l’hôtel de ville. Les manifestants, stupéfiés par l’alliance surprise entre le duo MR-IC et POUR, reléguant la liste @venir citoyen (pourtant victorieuse) dans l’opposition, exigeaient des explications. Mais très vite, le rassemblement pacifique a viré au règlement de comptes. Les noms d’oiseau ont commencé à voler, avant les menaces de mort. Un individu a tenté de pénétrer de force dans le batiment. L’escalade d’agressivité a finalement obligé les forces de l’ordre (et même une ambulance) à intervenir. «Ce n’était pas la prise du Capitole, mais ça y ressemblait», résumera le directeur général de l’administration communale.

A Schaerbeek, c’est un scénario d’un autre genre, mais tout aussi rocambolesque, qui a animé l’après-élections. La liste MR-Engagés, devancée d’un cheveu par les socialistes, pensait sceller un coup de maître mardi matin en annonçant le ralliement d’un élu de 1030 Ensemble à sa cause. Forts de onze sièges, contre dix pour l’alliance PS-Vooruit, les libéraux revendiquaient alors mathématiquement le maïorat. Avant que le transfuge ne se ravise, sous la pression d’un rassemblement socialiste devant la maison communale. Retour à la case départ: la tête de liste Hasan Koynucu (PS) garde la main sur les négociations.

Pas de droit d’initiative

Le réveil a également été brutal pour les libéraux de Wavre, mardi matin. Pourtant arrivée en tête des suffrages (avec seulement trois voix d’écart), la liste de la bourgmestre Anne Masson s’est vue écartée du collège après l’alliance des Engagés avec le PS et Ecolo. Un accord historique, qui met fin à près de 50 ans de règne bleu dans cette commune phare du Brabant wallon.

Si elles peuvent surprendre, ces frictions post-électorales ne sont en réalité pas neuves. «Ce chaos relatif à la formation d’une majorité communale a toujours existé, confirme Jean-Benoît Pilet, professeur de science politique à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Notamment car il n’existe pas d’automaticité dans l’attribution du maïorat et des mandats, contrairement au modèle de scrutin majoritaire, par exemple.»

Pour pallier ce flou, le fédéral respecte la tradition du «droit d’initiative», qui permet au parti vainqueur de prendre la main sur les négociations. Mais les règles sont plus diffuses à l’échelon local. La Wallonie et la Flandre ont certes introduit des balises dans la désignation du bourgmestre, mais elles n’empêchent pas les revirements de situation. «Ces arrangements n’ont toutefois rien d’anti-démocratiques, nuance Pierre Verjans, politologue à l’ULiège. C’est le principe-même du système représentatif: les listes, même les plus petites, doivent négocier pour fabriquer une majorité au collège.»

La crainte de tout perdre

L’investissement important des élus locaux et l’attachement émotionnel à leur commune peuvent en outre alimenter ces tensions. «Les bourgmestres et les échevins ont un contact direct avec la population, rappelle Jean-Benoît Pilet. Ils savent que leur réelection ou leur éviction peuvent avoir des effets concrets sur la vie des citoyens, ce qui peut susciter une agitation plus vive.»

«Etre renvoyé dans l’opposition signifie parfois un changement de vie radical. Ce n’est pas une simple péripétie politique.»

Jean-Benoît Pilet

Professeur de science politique à l’ULB

D’autant qu’à l’échelon local, les portes de sortie sont limitées. Alors que le ministre fédéral sortant peut toujours espérer se «recycler» au niveau régional, l’élu local relégué dans l’opposition devra peut-être mettre un terme à sa carrière politique. «Le simple mandat de conseiller communal n’est pas un job à temps plein, contrairement au poste d’échevin ou de bourgmestre dans la majorité des communes, rappelle Jean-Benoît Pilet. Etre renvoyé dans l’opposition signifie parfois un changement de vie radical. Ce n’est pas une simple péripétie politique.» Anne Masson, bourgmestre sortante de Wavre, va par exemple devoir se reconvertir après 22 années à siéger au collège. Bref, cette crainte de «tout perdre» peut justifier (ou pas) certaines querelles locales.

Effet de loupe?

Ces coups bas s’observent aussi bien dans les petites communes que dans les grandes villes. Dans certaines entités de taille limitée, la proximité entre les candidats et le nombre réduit de listes (parfois non affiliées à un parti politique) peuvent susciter des querelles d’ego. «On voit parfois un bourgmestre sortant sur une liste, et ses deux ex-échevins sur une autre, relate le professeur de science politique. Ou un père et sa fille sur deux listes différentes, qui se vouent des haines corses. Les enjeux, bien que locaux, sont énormes.» A contrario, dans les grandes communes ou les bastions symboliques, les listes sont généralement tirées par les partis nationaux, qui y placent leurs pions. «Cela fait entrer les enjeux locaux dans le récit politique national, ce qui peut également engendrer un certain émoi.»

Mais attention à ne pas surconsidérer le phénomène, avertit Pierre Verjans. Les scènes de pagaille observées ces derniers jours restent l’exception plutôt que la règle. «Dans la toute grande majorité des communes, la logique – ou les accords préélectoraux – ont été respectés», relativise le professeur émérite. D’autant qu’avec près de 600 communes concernées par le scrutin, le risque de remue-ménage est démultipilié. «Il y a autant de chaos possible que de communes», résume Jean-Benoît Pilet. Gare donc à l’effet de masse qui pourrait surreprésenter cette tendance. «Le fédéral n’est pas moins concerné par ces retournements de situation, ces trahisons ou ces promesses non tenues, insiste Pierre Verjans. Sans parler des nombreuses prétendues coalitions qui avortent en cours de négociation.»

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