La campagne électorale 2024 n’aura pas marqué les esprits. © Le Pictorium/Maxppp

«Tout cela semble extrêmement confus»: pourquoi la campagne électorale a été particulièrement ennuyeuse

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Tranquille, morne, voire carrément soporifique: la campagne électorale n’aura pas été le théâtre de grands rebondissements. La faute, notamment, à une prudence exacerbée des partis, tous – à l’exception des extrêmes – potentiels partenaires de coalition après le 9 juin.

Elle s’est désespérément faite attendre. Cette déclaration renversante, cette révélation puante sortie in extremis du placard ou cette prise de bec enterrant définitivement des espoirs d’alliance. Sauf surprise de taille dans le money time, la campagne électorale se sera donc révélée particulièrement paisible (ennuyeuse, diront certains). Rien ne préfigurait pourtant ce calme olympien. «Compte tenu du caractère complexe de la législature écoulée, on aurait pu imaginer une campagne plus animée, concède Pierre Vercauteren, politologue et professeur de science politique à l’UCLouvain. Il y a donc un certain effet de surprise

Pas de séisme

D’autant que, dans l’histoire politique belge, les mois précédant le retour aux urnes ne manquent habituellement pas de sel. «Dans les années 2000-2010, les fins de législature étaient nettement plus tendues», rappelle Geoffrey Grandjean, professeur de science politique à l’ULiège. Entre les débats houleux autour de la scission de Bruxelles-Hal-Vilvorde, qui ont conduit Alexander De Croo (Open VLD) à débrancher anticipativement la prise du gouvernement en 2010, la question du survol de Bruxelles qui s’est soldée par un départ précipité des écologistes en 2003, et la crise de la dioxine qui a empoisonné les élections de 1999, les campagnes tumultueuses étaient plutôt devenues la règle que l’exception.

Cette année, aucun événement n’a semblé en mesure de rebattre les cartes. «Le dossier des PFAS a clairement mis la ministre Tellier sur la sellette, mais il n’a jamais été question pour Ecolo de quitter le gouvernement», note Geoffrey Grandjean. «Ce dossier a remué le paysage politique, mais ça a été loin du séisme attendu par certains», ajoute Pierre Verjans, politologue à l’ULiège. Le revirement du PS et d’Ecolo sur le Décret paysage ne s’apparente pas non plus à un fait marquant, estime Pierre Vercauteren, l’enseignement se classant loin derrière l’immigration, le pouvoir d’achat ou l’emploi dans les priorités des électeurs. Si le conflit à Gaza a obligé certains partis à sortir du bois, il ne se sera pas non plus imposé comme véritable game-changer à l’approche du scrutin.

Les yeux rivés sur le 10 juin

«Cette campagne électorale a été d’une très grande pauvreté idéologique, résume Geoffrey Grandjean. Habituellement, c’est le moment où germent les grands débats d’idées, où s’opposent des visions du monde. Or, la campagne s’est aujourd’hui déplacée en grande partie sur les réseaux sociaux, dont les formats (visuels, courts slogans) se prêtent mal à ce genre de discussions, car trop réducteurs. Ils font aussi primer les personnes (selfies, TikTok) plutôt que le message qu’elles portent. Ces mises en scènes empêchent complètement les conflits idéologiques.» Les algorithmes des réseaux sociaux n’obligent pas non plus les politiques à se mouiller, car une grande partie du public cible de leurs publications est déjà presque acquis à leur cause, ajoute le politologue. Bref, hormis quelques débats télévisés, les vrais échanges d’idées ne se sont manifestés que dans des cercles restreints (ASBL, société civile), sans connaître la même publicité que d’ordinaire, regrette Geoffrey Grandjean.

“Depuis la seconde moitié de la législature règne un parfum de campagne rampante, avec des tensions plus lancinantes que spectaculaires.”

Pierre Vercauteren

Professeur de science politique et politologue à l’UCLouvain

Le caractère «plan-plan» de la campagne s’explique également par la prudence observée par la majorité des partis en vue des négociations gouvernementales. «Tout le monde le sait: la formation d’un gouvernement, surtout au fédéral et en Flandre, va être extrêmement compliquée, rappelle Pierre Verjans. Contrairement à 2014, où toutes les formations francophones avaient exclu de gouverner avec la N-VA, personne n’ose aujourd’hui fermer la porte à une alliance. Car avec la montée attendue des extrêmes, tout parti devient un partenaire potentiel.» La crainte d’un effet boomerang entraîne une forme d’autoprotection entre certains, alors que d’autres sont résolus à la passivité, convaincus que leur sort est déjà scellé par les sondages.

Une campagne permanente

Enfin, si la campagne apparaît relativement calme, c’est peut-être car la législature écoulée a, elle, été particulièrement mouvementée. Dans une majorité à sept, les coups bas et les tentatives de distanciation ont été légion. Certains partis – le MR en tête – se sont livrés à une forme de «particip-opposition» dont la Vivaldi a sérieusement pâti. «Au fond, la campagne électorale a commencé il y a bien longtemps, note Pierre Vercauteren. Depuis la seconde moitié de la législature règne un parfum de campagne rampante, avec des tensions plus lancinantes que spectaculaires.» Bref, c’est «business as usual», résume Pierre Verjans, pour qui les figures de proue des partis ont été tout aussi agressives au long de leur mandat qu’à quelques encablures du scrutin.

Dans une campagne électorale sans boussole, où aucune thématique ne semble émerger, les partis jouent le jeu de la réserve, observe encore Pierre Vercauteren. Une retenue qui s’impose également en raison d’un contexte international particulièrement sombre, et des défis économiques et environnementaux qui attendent de pied ferme le futur exécutif. Incapables de décrypter les véritables attentes des électeurs, effrayés par la balkanisation du paysage électoral, les partis peinent finalement à se positionner. «Tout cela semble extrêmement confus», conclut le politologue de l’UCLouvain.

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