Thomas Dermine: «La Flandre n’a aucune grandeur à être plus riche que la Wallonie»
Thomas Dermine (PS), secrétaire d’Etat à la Relance, publie un livre qui bat en brèche les clichés qui circulent en Flandre sur le sud du pays. Et convaincre les Wallons aussi, tant qu’à faire.
«Demandez à cent personnes de répondre à ces trois questions, propose Thomas Dermine (PS), secrétaire d’Etat à la Relance. En Belgique, les transferts d’argent entre Régions s’effectuent-ils du nord vers le sud? Sont-ils particulièrement élevés? Sont-ils en augmentation? Pour la majorité des réponses, ce sera trois fois oui. Or, les transferts s’inscrivent plutôt dans un mouvement du centre vers la péri- phérie. Ils sont certes importants, mais moindres que dans bien d’autres pays européens. Enfin, ils sont en train de diminuer.»
L’image d’une Wallonie sous perfusion s’est pourtant instillée dans les esprits. C’est le résultat, estime Thomas Dermine, d’un narratif délivré par l’extrême droite et les nationalistes du nord du pays. Il s’est donné pour mission de battre en brèche quelques assertions qui ont la vie dure «au nord du pays, mais aussi au sud, où ce narratif a percolé». Il publie, ce 25 octobre, un ouvrage intitulé Wallonie-Flandre. Par-delà les clichés (1), simultanément en français et en néerlandais. Le titre, Walen werken wél! (éd. Borgerhoff & Lamberigts), n’est d’ailleurs pas traduit littéralement. «C’est un choix de l’éditeur», précise-t-il.
Il s’agit, pour le socialiste, tantôt de nuancer, tantôt de contredire quelques affirmations selon lesquelles le fossé économique ne cesserait de se creuser, la Wallonie serait responsable de son déclin, elle serait un désert économique, les travailleurs y seraient plus paresseux, elle accuserait un retard exceptionnel, elle vivrait aux crochets de sa voisine.
Un instantané de la situation socio-économique fait pourtant apparaître de nettes différences. «Mais les évolutions économiques sont faites de cycles longs, découplés de la durée d’une vie humaine.» La Wallonie, ses charbonnages et ses bassins sidérurgiques furent autrefois prospères.
Le long déclin s’est opéré à l’occasion d’un «changement de paradigme énergétique majeur», qui a provoqué la fin de son industrie et, inversement, permis à la Flandre et au port d’Anvers de se développer à l’heure du tout au pétrole. Les bouleversements énergétiques à venir, de ce point de vue, devraient être saisis comme des opportunités de redressement pour la Wallonie, insiste Thomas Dermine.
Il choisit naturellement les données qu’il souhaite mettre en lumière. Et se garde de trop égratigner les choix politiques régionaux en Wallonie, où son parti est aux affaires de façon quasi continue depuis quatre décennies. Mais «sans verser dans le déterminisme ni chercher à excuser une gestion économique – par essence – perfectible, écrit-il, il se fait que les déterminants du développement économique sont plus subtils que ce que laissent penser les clichés».
Le Limbourg a connu un déclin comparable à celui des bassins wallons. Une bonne part des choix stratégiques qui ont nui à la Wallonie datent d’une époque où la Belgique était encore unitaire. Et les facteurs exogènes qui ont précipité ce déclin wallon et permis l’essor flamand sont comparables à ceux qui ont présidé aux destinées d’autres régions d’Europe. La Wallonie n’est pas une exception, pas plus que la Flandre n’est un «miracle», soutient le socialiste.
Par ailleurs, il n’évoque que peu le contentieux culturel ou linguistique. «Mais il faut dire que Bart De Wever lui-même est passé d’un combat d’ordre linguistique à un combat d’ordre économique, rétorque-t-il. Les nationalistes sont en train de se faire prendre dans leur piège. La démocratie est malade en Flandre. Surtout, il faut comparer ce qui est comparable. Aujourd’hui, c’est à d’autres régions d’Europe qu’il convient de comparer la Flandre. Où se situe-t-elle par rapport à la région de Rotterdam? Ce n’est pas si brillant.» Ainsi, «la Flandre n’a aucune grandeur à être plus riche et plus développée que la Wallonie. Des différences importantes existent dans les autres pays aussi, comparativement à des régions prospères comme la Catalogne, Hambourg, le nord-ouest de l’Italie, etc.» La nature de la Belgique, structurée autour de deux principales communautés, pousse à adopter une vision binaire, selon lui erronée.
Un exemple analysé par Thomas Dermine: les transferts
La question des transferts interrégionaux est à cet égard illustrative. «Dans les pays européens aux régions de taille comparable, il n’y a qu’en Autriche que les flux financiers interrégionaux sont moins élevés. Les transferts budgétaires sont en réalité assez faibles en Belgique, si on compare.» Ces flux entre Régions constituent une vue de l’esprit, dès lors «la solidarité nationale est organisée entre les individus et non pas entre les Régions». Ils doivent surtout être appréhendés avec une autre grille de lecture, soutient Thomas Dermine.
«Posé par les nationalistes et l’extrême droite, ce débat zappe complètement Bruxelles. Or, les transferts ne circulent majoritairement pas sur un axe nord-sud, mais centre-périphérie», insiste-t-il. La capitale reste le poumon économique du pays. «La Flandre et la Wallonie bénéficient toutes deux d’importants transferts de Bruxelles», à travers les revenus du travail générés dans la capitale mais taxés selon le lieu de résidence.
Bart De Wever lui-même est passé d’un combat d’ordre linguistique à un combat d’ordre économique.
Une étude publiée par la Banque nationale en 2021, portant sur les transferts (2019) passant par l’Etat fédéral et la sécurité sociale, lui sert de base pour nuancer les stéréotypes. Les montants concernent à la fois les recettes fiscales et parafiscales, les dépenses envers les personnes et les entreprises et les dotations aux entités fédérées.
Le calcul total de ce que chacun reçoit et dépense fournit une idée des transferts interrégionaux. Ainsi, les Régions flamande et bruxelloise étaient des contributrices nettes, respectivement à hauteur de 6,2 et 0,9 milliards d’euros, tandis que la Wallonie était bénéficiaire nette à hauteur de 7,1 milliards. Chaque Flamand a contribué pour 935 euros et chaque Bruxellois pour 759 euros aux transferts, alors que chaque Wallon en a reçu 1.948, en moyenne.
Décomposer les montants permet de faire apparaître d’autres réalités. A l’exception des accises, la Flandre est systématiquement contributrice et la Wallonie, bénéficiaire en matière de recettes (impôt sur le revenu, TVA, impôt des sociétés, cotisations sociales). Les dotations aux Régions «coûtent» aussi à la Flandre, tandis qu’elles bénéficient à Bruxelles et à la Wallonie.
Quant aux dépenses, la réalité est plus nuancée. Celles qui portent sur le marché de l’emploi (Onem, assistance sociale) bénéficient, certes, aux Bruxellois et aux Wallons. Mais c’est l’inverse pour les dépenses liées au vieillissement de la population, plus marqué en Flandre. Pour les colossales dépenses de pensions, c’est la Wallonie et surtout Bruxelles qui contribuent bien plus qu’elles ne reçoivent, là où la Flandre est bénéficiaire.
«Homogénéiser les Régions n’a pas beaucoup de sens», estime encore Thomas Dermine. Ainsi, si ces transferts sont ramenés à l’échelle des provinces, d’importantes différences internes apparaissent.
Le Hainaut et Liège sont bénéficiaires nets, mais c’est aussi le cas, dans une moindre mesure, du Limbourg, pour des raisons socioéconomiques, et de la Flandre-Occidentale, en raison de sa moyenne d’âge élevée. Contrairement à une idée répandue, Bruxelles est contributrice, de même d’ailleurs que le Brabant wallon, seule province wallonne à figurer de ce côté du tableau. «Le “BW” apparaît même comme la deuxième province avec la contribution nette la plus élevée, juste derrière le Brabant flamand», relève Thomas Dermine, qui entend de la sorte couper court aux généralités sur les Wallons.
(1) Wallonie-Flandre. Par-delà les clichés, Kennes Editions, 240 p.
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