Georges-Louis Bouchez, président du Mouvement Réformateur, a claqué la porte des négociations. Un passage par la case "zwarte piet" pour mieux revenir en force? © BELGA

Sus au «zwarte piet»! Pourquoi ceux qui disent «non» en politique n’y perdent pas toujours

Clément Boileau
Clément Boileau Journaliste

En coupant cours (momentanément) à la négociation fédérale, s’arc-boutant sur des mesures fiscales jugées inacceptables, Georges-Louis Bouchez a endossé malgré lui le rôle de «valet noir». Une étiquette qui n’est pas toujours perdante. Bart De Wever peut en témoigner.

Trop is te veel, a dit, en substance, le président du MR Georges-Louis Bouchez au bout de la mission de formateur de Bart de Wever. Celui-ci s’est montré incapable de concilier les vues du parti libéral et celle des socialistes de Vooruit, les premiers voyant d’un bien mauvais œil les concessions fiscales réclamées par les seconds dans l’optique de la formation d’un gouvernement fédéral.

C’est ainsi que le MR a quitté la table des négociations, ouvrant la voie à une période de médiation actuellement assumée par le chef de file des Engagés Maxime Prévot — par ailleurs allié des libéraux en Wallonie et Fédération Wallonie-Bruxelles. Une attitude qui a suffi aux autres partis (N-VA, CD&V, Vooruit et Engagés) pour taxer — frontalement ou en creux — le président libéral de «Zwart piet», le «valet noir», celui qui a dit «non» quand tout le monde semblait prêt à dire «oui».

Il y a une dimension de rejet de la faute, d’identification d’un responsable, d’un coupable.

Jean Faniel, directeur du Crisp, à propos de la désignation d’un “zwarte piet” par les autres partis

«Je n’aime pas l’impôt. Je n’ai pas été élu pour créer des impôts dans le pays le plus taxé du monde», s’est défendu, sur RTL-TVI la semaine dernière, M. Bouchez, assurant avoir fait une dizaine de contre-propositions, fustigeant sans les nommer les socialistes menés par Conner Rousseau. Reste qu’en cas d’enlisement sérieux des négociations, son nom resterait durablement associé à cette carte que le nord du pays, en particulier, a eu tôt fait de lui attribuer. Ce qui n’est pas forcément un mauvais présage…

Sur le moyen terme

«En Belgique, il y a une idée assez répandue qui est que celui qui provoque une crise gouvernementale le paie dans les urnes. J’ai toujours été assez prudent avec cette idée», tempère le politologue Jean Faniel (directeur général du Crisp). Ce que je constate c’est que dans le jeu politique en tout cas, tout le monde en est convaincu. Est-ce vrai ? Je ne sais pas. Toujours est-il que cela détermine le comportement des acteurs politiques. Ici on n’est pas face à une crise gouvernementale, mais face à des soubresauts d’un processus de formation d’un éventuel gouvernement fédéral. Est-ce qu’on y perd à avoir ce ‘valet noir’ ? Difficile à dire. On peut se mettre hors jeu en refusant de poursuivre la négociation et alors ne pas se retrouver au gouvernement. Cela a été le cas de la N-VA en 2010: gros triomphe aux élections fédérales, et puis les négociations commencent sur une sixième réforme de l’État et finalement la N-VA décide de ne pas poursuivre la négociation, estimant que ce qui est sur la table n’est pas suffisant. Le parti y a-t-il perdu? Une vision à court terme le laisse penser; elle n’a pas été au pouvoir. Mais à plus long terme, elle y a gagné; en 2014 la N-VA gagne encore un peu plus les élections en s’appuyant sur une forte critique du gouvernement Di Rupo, ce qui lui permet d’arriver au pouvoir en octobre 2014. Donc si on regarde à court terme ou moyen terme, le constat n’est pas le même.»

C’est justement lors de cet épisode que le terme de «valet noir» a connu une vraie percée médiatique. Le détonateur ? Un certain Bart de Wever, qui avait fustigé l’échec des négociations à l’été 2010, mais plutôt pour pointer une responsabilité collective — «Je ne veux donner de valet noir à personne», avait déclaré l’indépendantiste, récusant ce terme pour lui-même alors que les autres partis s’empressaient de le désigner… comme le principal responsable de l’échec des négociations.

Le valet noir, ce bouc émissaire idéal

Toutefois, il n’a pas fallu attendre l’usage formel du terme «zwarte piet» pour que des négociateurs soient pointés du doigt, à tort ou à raison. Didier Reynders en avait fait les frais au nord du pays en 2008 pour s’être mêlé du sort de Bruxelles et BHV avec un peu trop d’insistance. Un autre responsable politique, alors en pleine ascension, s’était opportunément servi des déclarations du libéral pour jeter aux orties le soutien de son parti au gouvernement fédéral. Qui donc ? Bart de Wever… au final, quelques mois plus tard, Reynders était pourtant reconduit au poste de numéro 2 du gouvernement (Finances) au sein du gouvernement Van Rompuy.

Il n’empêche, l’étiquette peut s’avérer collante sur le long terme. Si l’on remonte un peu plus loin dans le temps, le bouc-émissaire s’est appelé Joëlle Milquet, «qualifiée de ‘madame non’ au nord du pays, et c’est un surnom qui a continué à la suivre», fait remarquer Jean Faniel, constatant «qu’il y a une dimension de rejet de la faute, d’identification d’un responsable, d’un coupable», dans ce procédé.

C’est encore le cas aujourd’hui, mais le «zwart piet» n’est pas toujours celui qu’on croit. «Ici par exemple on pouvait pressentir que Conner Rousseau allait être celui qui serait désigné comme tel mais il a réussi à retourner ça, la presse flamande l’a suivi et c’est Georges-Louis Bouchez qui porte la responsabilité de cet échec. Mais cela tient de la dramatisation, de la théâtralisation, de la mise en scène aussi, car en réalité pour attirer Vooruit dans l’Arizona il était clair que Bart De Wever allait devoir faire des concessions, et je n’étais pas plus surpris que ça que cela finisse par fâcher le MR. Et c’est ce qui s’est passé. Pourtant la responsabilité est collective.»

Comme toujours, serait-on tenté d’ajouter.

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