Supprimer l’obligation de vote pour les élections communales? Pourquoi cela avantagerait Ecolo et le MR
L’essentiel
• Le 13 octobre prochain, les Flamands ne seront pas obligés d’aller voter aux élections communales et provinciales, contrairement aux Wallons et aux Bruxellois.
• Cette mesure, décidée par le gouvernement flamand en 2019, a été justifiée par la volonté de faire évoluer la politique avec son temps et de donner plus de pouvoir aux citoyens lors des élections locales.
• Les partis francophones sont globalement contre l’abandon du vote obligatoire.
• Selon les politologues, un changement des règles électorales en Wallonie et à Bruxelles pourrait favoriser les partis qui ont la meilleure implantation au niveau de l’électorat à capital social, culturel et scolaire élevé, dont la propension à voter est plus grande.
Le 13 octobre prochain, les Flamands, contrairement aux Wallons et aux Bruxellois, ne seront pas obligés d’aller voter dans le cadre des élections communales et provinciales. Si le sud du pays suivait, quel parti en ressortirait gagnant? Analyse.
Dans son accord de politique générale de 2019, le gouvernement flamand avait entériné une réforme de taille: la suppression de l’obligation de vote pour les élections locales. «La politique doit elle aussi évoluer avec son temps. Les citoyens (NDLR: réellement intéressés par la politique locale) auront davantage leur mot à dire. Nous abolirons le vote obligatoire, tout comme le vote en case de tête. Et nous donnerons aux citoyens plus d’influence sur l’élection du bourgmestre», justifiait alors l’exécutif du nord du pays.
«Cette mesure figure dans le programme de l’Open VLD depuis longtemps, rappelle le politologue Dave Sinardet (VUB). Elle se retrouvait déjà dans les manifestes de Guy Verhofstadt, alors Premier ministre, dans les années 1990.» La N-VA, en suivant les libéraux, a exaucé un vœu de longue date. Mais au prix d’un compromis, selon lequel les maïeurs flamands ont le choix entre une écharpe tricolore ou aux couleurs jaune et noire de la Flandre, précise Dave Sinardet. Lors de l’officialisation de ce troc politique à l’automne 2020, on sentait le ministre de l’Administration intérieure Bart Somers (Open VLD) mal à l’aise. «Nous travaillons actuellement sur des sujets beaucoup plus importants. Mais il s’agit de la mise en œuvre loyale d’un passage de l’accord de coalition», expliquait-il à la presse.
Le CD&V, dernier partenaire de la précédente majorité, n’était pas favorable à la mesure mais y a été contraint. «Ils adoptent depuis plusieurs années une position conservatrice sur la suppression des provinces et la fusion des communes, ajoute Dave Sinardet. En contrepartie, ils ont dû lâcher du lest sur la suppression du vote obligatoire aux communales. Un parti ne peut pas tout bloquer à lui seul.»
«Aucun parti francophone ne demande formellement la suppression de l’obligation de vote, mais le débat revient avec récurrence au MR.»
Pascal Delwit, professeur de science politique à l’ULB
Bientôt plus d’obligation de vote pour les élections communales au sud du pays?
En Wallonie et à Bruxelles, les citoyens devront bien se rendre aux urnes le 13 octobre prochain pour les élections communales et provinciales. Mais le devoir électoral redeviendra-t-il là aussi, un jour, un «simple» droit, comme en Flandre? Si les partis francophones clament haut et fort leur attachement au vote obligatoire, nul doute qu’ils observeront avec attention ce qui se passe de l’autre côté de la frontière linguistique. «Aucun d’entre eux ne demande formellement la suppression de l’obligation de vote, mais le débat revient avec récurrence chez les libéraux, et dans une moindre mesure chez les démocrates-chrétiens», explique Pascal Delwit, professeur de science politique à l’ULB.
Par le passé, l’actuel président du MR Georges-Louis Bouchez militait en interne pour supprimer l’obligation de vote. Sans succès, comme l’a révélé l’ancien ténor du parti Louis Michel, qui avait calmé les ardeurs du Montois. «Implanter cette mesure au fédéral nécessite de modifier la Constitution, indique Pascal Delwit. Le faire à Bruxelles implique également un vote à la Chambre. Par contre, le gouvernement wallon a toutes les cartes en main pour prendre cette décision à son échelle, même si elle requiert une majorité de deux tiers des députés.» Encore faut-il la volonté politique de le faire.
Ce qu’en pensent les partis francophones
Silence radio du côté du MR à ce propos, courte mais ferme réponse chez les Engagés. «Nous sommes pour le vote obligatoire à tous les échelons, d’autant plus au niveau local, là où les citoyens sont au plus proche des enjeux et des décisions et là où le degré de confiance est le plus élevé.»
Le Parti socialiste –qui devra gouverner à Bruxelles tout en siégeant dans l’opposition au fédéral et en Wallonie– défend également le principe du vote obligatoire, «afin de garantir que chaque personne puisse s’exprimer librement, que chacun soit représenté démocratiquement peu importe son âge, son genre, sa catégorie socioéconomique…» Le PS rappelle que le vote obligatoire «permet d’assurer la plus grande représentativité du choix des électeurs, et est le seul qui permet la cohésion sociale et la prise en compte des besoins de tous».
«Au sein de la classe ouvrière, certains ont donné leur vie pour obtenir le droit de vote. C’est le sel de la démocratie.»
Germain Mugemangango, chef de groupe PTB au parlement wallon.
A l’extrême de gauche de l’échiquier politique, le PTB voit cette décision flamande comme un recul: «Au sein de la classe ouvrière, certains ont donné leur vie pour obtenir le droit de vote, s’insurge Germain Mugemangango, chef de groupe au parlement wallon. C’est le sel de la démocratie.» Selon l’élu, les partis du dernier gouvernement flamand ont pris cette décision parce qu’ils n’étaient pas satisfaits du résultat des élections locales de 2018, où N-VA, CD&V et Open VLD avaient tous trois laissé des plumes. «Au lieu d’écouter la colère des gens pour y apporter une solution, ils ont préféré limiter le droit de vote, en faisant l’analyse qu’en tant que partis traditionnels, ils perdraient moins d’électeurs que les autres.»
Ecolo ne se contente pas de défendre le vote obligatoire, à tous les échelons de pouvoir, mais va plus loin. «Nous prônons une consultation bien plus large que des élections tous les six ans, avance Samuel Cogolati, coprésident. Dans les communes Ecolo, on consulte les citoyens via les comités de quartier, les budgets participatifs.» Marie Lecocq, sa binôme, complète: «Notre mouvement veut aussi étendre ce droit de vote aux élections locales pour les jeunes dès 16 ans, les Belges expatriés et les étrangers de Belgique.»
«On en reviendrait à une sorte de suffrage censitaire, où l’on considérait que seule l’élite riche et éduquée pouvait voter!»
Sophie Rohonyi, présidente de DéFi.
Pour la nouvelle présidente de DéFi Sophie Rohoniy, la Flandre a «ainsi ouvert une dangereuse brèche». Selon elle, «on en reviendrait à une sorte de suffrage censitaire, où l’on considérait que seule l’élite riche et éduquée pouvait voter». Elle rappelle le quadruple avantage du vote obligatoire: combattre l’abstention, assurer le caractère pleinement représentatif de l’assemblée (y compris des jeunes et des personnes moins favorisées), manifester son désaccord à travers le vote blanc et déforcer les extrêmes, dont «les électeurs sont motivés pour aller voter, puisque l’on a galvanisé leurs peurs et leur colère».
Ecolo et MR, préservés d’une disparition de l’obligation de vote pour les élections communales
Sans savoir si le MR est prêt à envisager une suppression de l’obligation de vote pour les élections communales et provinciales, quel parti pourrait le plus profiter de cette mesure? «En bénéficieraient ceux qui ont la meilleure implantation au sein de l’électorat à capital social, culturel et scolaire élevé, dont la propension à voter est plus grande», contextualise Pascal Delwit. Selon le politologue, un tel changement des règles électorales favoriserait d’abord Ecolo, et puis le MR. «Les deux partis disposent d’électeurs diplômés, même si une partie de l’électorat des libéraux s’est « popularisée » avec un public plus « fragile » (originaire du Hainaut et de l’arrondissement ouvrier de Liège) alors qu’ils ont peu ou pas progressé dans le Brabant wallon, où leurs électeurs traditionnels sont majoritaires.»
Pour le PTB et le PS, c’est le constat inverse. Les deux formations de gauche seraient les plus flouées par une suppression de l’obligation de vote pour le scrutin local, car elles recueillent plus de votes de la part des populations à plus faible capital scolaire. En 2018, les communes où la participation électorale était plus faible se concentraient dans le Hainaut et à Liège, provinces historiquement socialistes, où le PTB s’est depuis bien implanté. «Plus l’abstention est forte, plus cela bénéficie aux partis qui ont un capital scolaire fort (NDLR: donc Ecolo et le MR)», continue Pascal Delwit.
Quelle serait l’issue d’un tel revirement du fonctionnement électoral pour Les Engagés? «C’est un parti transversal, développe le politologue. Autrement dit, il a une proportion d’électeurs similaire dans chaque sphère de la population. Lors des élections fédérales et régionales de juin dernier, il a particulièrement progressé parmi le public à fort capital scolaire.» De quoi expliquer, en grande partie, la défaite d’Ecolo, que certains citoyens ont boudé au profit des Engagés.
Les effets attendus d’une suppression de l’obligation de vote
Au-delà des partis, quels seraient les effets plus globaux d’une suppression de l’obligation de vote pour les élections communales et provinciales? Pascal Delwit tient à nuancer l’impact d’une telle mesure sur la participation électorale. «Aux Pays-Bas, la suppression de l’obligation de vote a eu un effet lors de son entrée en vigueur, mais pas aussi important qu’on ne le pense car la diminution de la participation électorale est progressive.»
Pour finir, qu’en pensent les Belges? Il ressort de l’enquête «Démocratie sous pression» réalisée par Le Vif en octobre dernier que plus de la moitié des citoyens (51%) estiment que leur vote ne compte pas. Dans le même temps, quatre Belges sur dix affirment ne plus vouloir du vote obligatoire, même si la moitié d’entre eux iraient quand même glisser leur bulletin dans l’urne en cas de suppression de l’obligation de vote.
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