Pour changer les comportements d’achat alimentaires, le futur gouvernement pourrait supprimer la TVA sur les fruits et légumes. Sera-ce suffisant pour inciter les Belges à en consommer davantage, au détriment des produits gras ou sucrés? © Getty Images

Supprimer la TVA sur les fruits et légumes: quels bénéfices pour la santé publique?

L’essentiel


• Le formateur Bart De Wever (N-VA) propose de supprimer la TVA sur les fruits et légumes pour améliorer la santé de la population.


• Les Pays-Bas ont abandonné un projet du même ordre car il a été jugé inapplicable et inefficace

• Des études montrent pourtant que combiner une réduction du prix des aliments sains et une augmentation du prix des aliments nocifs est la formule la plus efficace pour encourager une alimentation équilibrée


• Pour avoir un impact réel sur le comportement des consommateurs, les aliments sains devraient être au moins 20% moins chers ou les aliments malsains 20% plus chers.

Comment faire en sorte que la population soit en meilleure santé? Entre autres en supprimant la TVA sur les fruits et légumes, propose le formateur Bart De Wever (N-VA). Reste à voir si la mesure figurera bien dans le prochain accord gouvernemental… et si elle serait efficace.

Les Pays-Bas ont finalement abandonné le projet de baisser la TVA sur les fruits et légumes. Les chercheurs ont qualifié la proposition d’«inapplicable» –que faire, par exemple, des produits contenant des légumes transformés?– et de «non efficace». Pour faire court, la mesure aurait coûté beaucoup d’argent public, pour une augmentation limitée des ventes de fruits et légumes.

Pourtant, selon les nutritionnistes, l’argument du prix peut encourager une assiette plus équilibrée. «Le prix est un facteur déterminant dans les comportements d’achat, affirme Loes Neven, experte en alimentation auprès de l’Institut flamand pour une vie saine (Vlaams Instituut Gezond Leven). Des recherches réalisées dans de nombreux pays démontrent que combiner une réduction du prix des aliments sains –légumes, fruits, pain complet…– et une augmentation du prix des aliments nocifs, avec des taxes sur les graisses, les sucres ou les sodas, est la formule la plus efficace.»

Taxer le sucre

Selon Martijn Katan, nutritionniste et professeur émérite à la Vrije Universiteit Amsterdam, une taxe sur les boissons sucrées est en tout cas une «stratégie éprouvée dans la lutte contre l’obésité». Plusieurs études menées à l’international étaient son propos.

Au Mexique, une telle taxe a réduit la consommation de sucre de 7,6%. La Hongrie a mis en place une mesure similaire pour les produits contenant beaucoup de sel et de sucre, avec des bénéfices durables sur la santé de la population, qui en consomme désormais moins.

Le Royaume-Uni a introduit en 2018 une taxe graduelle sur la production de boissons sucrées –plus le contenu en sucre est élevé, plus la taxe est élevée. Ce système progressif, également plébiscité par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a donné d’excellents résultats. Les producteurs de boissons gazeuses ont modifié leurs recettes, de sorte que 50% des sodas contiennent désormais moins de sucre. Désormais, les Britanniques consomment en moyenne 11 grammes de sucre ajouté en moins par jour.

En Belgique, il existe une taxe de quelques centimes d’euro par litre sur les boissons gazeuses, indépendamment de leur teneur en sucre. Elle a été introduite en 2015 par l’ancienne ministre fédérale de la Santé publique, Maggie De Block (Open VLD), et devait être la première pierre d’un plan ambitieux visant à taxer davantage la malbouffe. Ce plan n’a jamais abouti. «Et notre taxe sur le sucre est elle-même largement perfectible, affirme Loes Neven. Elle est à la fois trop basse pour avoir un réel impact sur le comportement des consommateurs et trop uniforme pour inciter les producteurs à réduire la quantité de sucre dans leurs boissons gazeuses.»

Pour influencer réellement le comportement des consommateurs à grande échelle, la différence de prix doit être suffisamment grande, affirment les scientifiques. Pour produire un effet immédiat, les aliments sains devraient être au minimum 20% moins chers, ou les aliments malsains 20% plus chers. Mais chaque petit pas compte. «Les taxes sur le tabac ont augmenté progressivement, au fil du temps. Finalement, en combinaison avec d’autres mesures, cela aboutit à un résultat positif», illustre l’experte en nutrition.

Une taxe sanitaire plus large, qui viserait notamment les aliments ultratransformés et les produits à haute teneur en graisses, est souhaitable… mais n’est pas pour demain, selon elle. «Il n’y a pas de consensus au sein de la population ni d’unanimité parmi les scientifiques –on se souvient de la controverse au sujet du Nutri-score. Mais cela pourrait être un scénario futur. Si le Nutri-score devenait un label européen largement accepté, on pourrait y associer une stratégie de prix, et exempter de TVA tous les produits avec un nutriscore A ou B, par exemple.»

Même pour l’introduction d’une taxe sur la viande, et malgré des arguments sanitaires et environnementaux irréfutables, il n’y a pas de consensus. «Ce serait effectivement bénéfique sur tous les plans, abonde Loes Neven, mais là encore, la société n’est pas prête à l’accepter. En 2017, nous avons publié une nouvelle pyramide alimentaire dans laquelle la viande, surtout la viande rouge, était évaluée beaucoup plus sévèrement. A l’époque, les réactions avaient été vives. Là encore, il faudra procéder étape par étape. Même si les politiciens pourraient faire preuve de plus de courage.»

Pour produire un effet immédiat, les aliments sains devraient être au minimum 20% moins chers, ou les aliments malsains 20% plus chers.

Le poids de l’obésité

Bon nombre d’études et d’enquêtes montrent que beaucoup reste à faire en matière de régime alimentaire. Selon le SPF Santé publique, celui des Belges «se caractérise par une consommation excessive de viande rouge, de viande transformée et de boissons sucrées, et par une consommation insuffisante de fruits, légumes, oléagineux, lait, œufs et poisson. En 2018, seuls 12,7% des plus de 6 ans consommaient la quantité quotidienne recommandée de légumes et fruits (au moins cinq portions). Et 20% de la population buvaient des boissons sucrées tous les jours.»

«Un morceau de chocolat nous procurera toujours plus de plaisir qu’une branche de céleri.»

Pourtant, les choix alimentaires constituent un pilier essentiel d’un mode de vie sain. «Nous vivons de plus en plus longtemps, mais pas nécessairement en bonne santé, poursuit Loes Neven. Nous sommes plus confrontés qu’auparavant à des maladies « de riches », conséquences d’une alimentation déséquilibrée. On pense à l’obésité, aux maladies cardiovasculaires ou au diabète. Ces pathologies chroniques coûtent cher à la société: le gouvernement belge perd 4,5 milliards d’euros en coûts directs et indirects liés au surpoids et à l’obésité. Une mesure comme la réduction de la TVA sur les aliments sains offrirait un excellent retour sur investissement.»

Reste que même avec des stratégies de prix intelligentes, changer les mauvaises habitudes est une gageure. «Certaines régions du cerveau, qui libèrent de la dopamine, sont stimulées par les aliments contenant des graisses ou du sucre, détaille la nutritionniste. Un morceau de chocolat nous procurera toujours plus de plaisir qu’une branche de céleri. Nous devons donc travailler sur l’ensemble de l’environnement alimentaire: la publicité, l’offre des supermarchés, l’omniprésence de la malbouffe. La TVA à 0% sur les fruits et légumes n’est qu’un des aspects d’une politique qui doit être beaucoup plus ambitieuse.»

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