Sondage Le Vif: Les Flamands sont deux fois plus préoccupés par l’immigration que les francophones, tout profit pour le Vlaams Belang
Selon notre sondage, les Flamands voteront plutôt pour des partis en pointe sur l’immigration, les francophones se préoccupent plutôt du pouvoir d’achat. Quels partis tenteront d’en tirer profit?
Mise à l’agenda et propriété des enjeux: dans les hautes sphères partisanes, on n’a jamais que cette science en tête.
Elle donne la recette d’un scrutin victorieux. Les partis qui gagnent les élections, en effet, sont ceux qui sont parvenus, durant la campagne, à mettre à l’agenda, c’est-à-dire à faire en sorte qu’on y pense et qu’on en parle, des enjeux dont ils sont propriétaires, soit les thématiques sur lesquelles ils sont le plus à l’aise.
Ces enjeux cruciaux, sur la base desquels beaucoup d’électeurs indécis se décident le jour du scrutin, et sur foi desquels certains électeurs autrement fidèles pourraient changer d’avis, seront l’obsessionnel objet d’absolument toutes les interventions politiques de la campagne.
Parfois, un parti évitera d’aborder une thématique qui le dérange – on dit qu’il n’en est pas propriétaire, essayez de parler à un socialiste de déficit des pouvoirs publics, il aura disparu avant la fin de votre première phrase.
Toujours, une formation tentera de faire l’actualité autour d’un enjeu qui lui est cher, n’allez même pas demander à un écologiste de vous parler de climat, il est déjà en train de vous crier dans les oreilles.
Mais il arrive aussi qu’un enjeu s’impose, favorable ou défavorable, dans la campagne sans qu’aucun acteur politique n’y soit vraiment pour rien, comme, en 1999, le scandale de la dioxine, ou, en 2019, le mouvement mondial des marches pour le climat, deux phénomènes contingents qui firent autant de succès écologistes.
La normalisation de l’extrême droite dans l’espace politique flamand, à laquelle s’est attelé Tom Van Grieken, porte ses fruits.
A cet égard, les résultats de l’enquête électorale du Vif seront scrutés avec une inquiète minutie par les directions des partis. Au point de départ de leur campagne, les réponses à une de nos questions, en particulier, démontrent quelle thématique apparaît aujourd’hui cruciale pour les électeurs belges. «Au moment de choisir le parti pour lequel vous voterez, quelle est pour vous la thématique la plus importante?», soumise aux 2 681 sondés, proposait 22 thématiques, de la coopération au développement à la mobilité, et de l’école à la défense.
Premier enseignement, décisif en régime de vote obligatoire, l’indifférence absolue n’existe presque pas: très peu de répondants – à peine 3% – ont coché «je ne sais pas». Cela montre comme chacun trouve toujours, au fond, une cause qui le mobilise. Mais ces causes diffèrent en fonction du statut social, du parcours personnel, et aussi, Belgique oblige, de la communauté linguistique.
Les Flamands et l’immigration, cette vieille histoire
Spécialement celle qui fait traditionnellement la force de l’extrême droite, bien plus puissante au nord qu’au sud du pays. En effet, si le pouvoir d’achat est le premier sujet d’importance pour l’ensemble des Belges, avec près de 15% des réponses, il n’est que deuxième en Flandre, avec 11,3%, et caracole à près de 20% en Belgique francophone.
Pourquoi? Car les Flamands se soucient bien plus d’immigration que d’autre chose (à 17,4%), tandis qu’elle n’est que troisième (à 8,3%) dans l’esprit des francophones.
Cette différence intrabelge, de plus du double d’une communauté à l’autre, porte aussi sur la place d’un autre enjeu, la criminalité, plus préoccupante pour les Flamands que pour les francophones. Sa juste interprétation relève, elle, un peu de la controverse de la poule et de l’œuf: est-ce parce que les partis de droite sont plus puissants en Flandre que les thématiques favorisant le vote à droite sont plus fréquemment citées, ou parce que les électeurs flamands sont plus préoccupés par des enjeux appropriés par les partis de droite que celle-ci est plus puissante en Flandre?
Le débat public en général s’y fixe, quoi qu’il en soit, davantage autour de ces questions, dites socioculturelles, que sur les sujets économiques.
Sans trancher sur cette querelle de poulailler politologique, le rôle du cordon sanitaire médiatique en Wallonie et à Bruxelles, mérite d’être rappelé.
Léonie de Jonge, chercheuse à l’université de Groningue, aux Pays-Bas, a démontré dans sa thèse de doctorat que le fait que les médias francophones belges ne donnent pas la parole aux interlocuteurs d’extrême droite contient l’espace médiatique des thématiques qui la mobilisent, principalement l’immigration, et que cela se répercute également sur la hiérarchie des priorités des électeurs.
A la droite démocratique francophone, cet état de fait impose d’appuyer sur le sujet, parce qu’il recèle un intéressant potentiel de conscientisation, mais sans s’en obséder, parce qu’il ne mobilise pas un électorat aussi nombreux que dans les pays et les régions voisines.
Si l’immigration est plus importante au nord et si le pouvoir d’achat est plus préoccupant au sud, l’environnement et le climat se situent, eux, à des niveaux similaires des deux côtés de la frontière linguistique (7,1% chez les Flamands, 7,7% chez les francophones).
Cela peut se constater dans la ventilation partisane des préoccupations.
C’est en effet dans l’électorat MR que la question de l’immigration est la plus prégnante, même si elle ne dépasse pas celle du pouvoir d’achat (de justesse, à 15,4% pour l’une, 15,6%) pour l’autre.
Elle ne va jamais au-delà de 6,5% dans l’électorat des autres formations francophones (chez Les Engagés) tandis que les électeurs des partis flamands sont, eux, plus unanimement mobilisés sur l’immigration: 7% de l’électorat du PVDA, l’aile flamande du PTB, la placent en tête de leurs priorités.
Où aller chercher des électeurs?
Entre esprit de conquête et pulsion de conservation, les partis doivent surtout s’intéresser aux choix des électeurs qui se situent dans leur potentiel net, soit la différence entre ceux qui disent vouloir voter pour une formation et ceux qui disent qu’il est possible qu’ils posent ce choix le 9 juin.
C’est dans ce potentiel net qu’on pourra aller chercher une part d’encore hésitants, en fonction des thématiques qui émergent au cours de la campagne.
Ainsi, parmi ceux-ci, ceux qui pourraient envisager de voter PS sont prioritairement tracassés par la thématique du pouvoir d’achat (17% du potentiel net des socialistes francophones, mais 28% de ceux qui disent savoir qu’ils voteront PS) et par la lutte contre la pauvreté et les inégalités (10% du potentiel net). A cette aune, on ne risque pas de voir le PS concentrer ses moyens de propagande sur une régularisation (ni sur une expulsion) des sans-papiers (l’immigration n’intéresse que 3,5% de ses soutiens potentiels) plutôt que sur l’indexation des salaires et l’impôt sur la fortune (7% de ceux qui envisagent de voter PS en juin mentionnent l’ISF comme la plus importante de leur priorité).
L’autre thématique souvent évoquée dans le potentiel net socialiste, l’environnement et le climat (10,7%), justifie a posteriori le virage écosocialiste imposé, dès 2017, par Elio Di Rupo, et ensuite approfondi par Paul Magnette, à leurs troupes.
Le gisement électoral à conquérir par le MR est, lui, surtout préoccupé par le pouvoir d’achat (18,1%), davantage que par l’immigration (10,4%), alors que ceux que le climat et l’environnement passionnent sont 7,7%.
Ceux-là pourront, peut-être, être hameçonnés sur la question du nucléaire, comme ces 3,4% de son potentiel net qui se disent fort investis sur la question de l’approvisionnement énergétique.
Les marges de croissance des autres partis francophones correspondent aux enjeux qu’ils se sont appropriés, le pouvoir d’achat pour le PTB (23% de son potentiel net) et le climat et l’environnement pour Ecolo (12,7%).
Mais, chez les verts, cette thématique-là s’efface dans l’esprit de leur électorat potentiel au profit de la lutte contre la pauvreté et les inégalités (13,2%), signe, sans doute, de l’importante concurrence que se livre la gauche francophone. Mais une compétition se joue également à droite, entre le MR, à qui l’on reproche une droitisation, et Les Engagés, lancés dans une rénovation pleine de recrutements et de punchlines.
L’ancien CDH paraît toutefois disposer de davantage de marges vers le centre (12,7% de son potentiel net sont mobilisés sur le pouvoir d’achat, 10,1% sur la lutte contre les inégalités et la pauvreté) que vers la droite (8,1% se préoccupe davantage d’immigration) ou que vers le réel concurrent qu’est Ecolo (6,7% du potentiel net des Engagés mentionnent le climat et l’environnement).
Tout le monde veut garder l’index
Sachant ainsi sur quoi insister, il reste encore aux partis à trouver comment le faire, et comment en parler. Une autre entrée de l’enquête électorale du Vif pourra leur être utile, celle qui soumettait une série d’affirmations aux sondés.
Elles permettent de voir ce qui, globalement, peut favoriser la constitution d’un bloc majoritaire autour d’une idée, tout d’abord.
Ainsi, la plupart des Belges soutiennent l’indexation automatique des salaires (74% sont opposés à sa suppression), trouvent qu’il faudrait introduire un impôt sur la fortune pour pouvoir baisser la taxation du travail (à 70%), sont favorables à la construction de nouvelles centrales nucléaires (52% sont d’accord ou plutôt d’accord avec l’affirmation), estiment que les chômeurs devraient perdre leur allocation après deux ans d’inactivité (51%), et semblent témoigner d’une lassitude vis-à-vis du fédéralisme belge (aucune autre affirmation que l’impôt sur la fortune ne met autant les Belges d’accord que «il faudrait ramener des compétences régionales au niveau belge», qui en récolte 62%).
Ces degrés d’adhésion varient toujours entre sondés flamands et répondants francophones, parce que les uns penchent plus à gauche que les autres.
Mais l’affirmation qui expose la plus forte différence de fond entre les deux opinions publiques, Bart De Wever dirait «les deux démocraties», porte sur le statut du Vlaams Belang. En effet, 54% des Flamands sont tout à fait ou plutôt d’accord avec l’idée que «le Vlaams Belang devrait avoir une chance de monter dans un gouvernement», tandis qu’il n’y a que 24% de francophones pour défendre cette hypothèse, et que 60% de ces derniers s’y opposent.
La normalisation de l’extrême droite dans l’espace politique flamand, à laquelle s’est attelé Tom Van Grieken depuis son élection comme président en 2014, porte donc incontestablement ses fruits. Après l’électorat du Belang lui-même, qui y est favorable à près de 90%, c’est parmi les électeurs de la N-VA que l’enthousiasme est le plus répandu.
Deux tiers d’entre eux y sont plutôt ou tout à fait favorables, l’hypothèse récoltant une majorité relative parmi les soutiens de l’Open VLD (43% sont plutôt ou tout à fait d’accord de lui donner une chance) et du CD&V (44% de favorables).
Même à gauche, le chômage à vie plaît peu
Ces positions ponctuelles, qui prolongent celles affichées sur la thématique principale des électeurs, aideront à moduler un message de campagne. Côté francophone, ainsi, le Mouvement réformateur gagnera incontestablement à réaffirmer sa volonté de limiter les allocations de chômage à deux ans, pas seulement parce que tous les Belges y sont majoritairement favorables, mais surtout parce que, dans son électorat potentiel, 56% des sondés partagent ce point de vue, et que c’est davantage que dans n’importe quel potentiel net wallon et bruxellois.
A l’inverse, et même si ces marges électorales possibles se préoccupent beaucoup de pouvoir d’achat, le MR sera beaucoup plus heureux de ne pas porter trop haut ses revendications sur la compétitivité des salaires et sur une éventuelle réflexion sur l’indexation automatique des salaires. En effet, ses électeurs ne sont que 13% à souhaiter la suppression de l’indexation automatique des salaires, comme 23% de son électorat potentiel net.
De l’autre côté du clivage gauche-droite, Ecolo, PS et PTB éviteront de faire campagne sur le maintien du chômage illimité dans le temps, puisque respectivement 45, 33 et 40% de leurs électeurs actuels y sont opposés, tout comme respectivement 40, 42 et 40% de leur électorat potentiel net.
C’est la loi du campagne réussie: il vaut encore mieux savoir comment le dire que de quoi parler.
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