Tout comprendre au scandale des pensions à la Chambre: « Ce deux poids, deux mesures est révoltant »
Vendredi, le PTB a mis la main sur un document témoignant de l’accord de l’ensemble des partis politiques pour dépasser le plafond légal de la pension des députés. Sofie Merckx, cheffe de groupe PTB à la Chambre, se dit « choquée » par la méthode utilisée et dénonce la « construction de privilèges » d’un entre-soi politique.
À chaque jour sa nouvelle révélation. Après la polémique liée aux indemnités complémentaires de pension accordées à d’anciens présidents et hauts fonctionnaires de la Chambre, un nouvel esclandre est venu secouer les instances politiques belges en début de semaine. Mardi, il est en effet apparu que, depuis 2014, la pension de dizaines de députés a pu dépasser de 20% le plafond en vigueur dans le secteur public, à savoir le fameux plafond « Wijninckx ». Concrètement, certains anciens parlementaires, ayant exercé d’autres fonctions par le passé, ont ainsi touché chaque mois près de 1600€ brut supplémentaires, portant le montant maximal de leur pension à 9.375€ brut par mois, contre les 7.813€ brut légalement autorisés.
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Ce dépassement du plafond légal a été rendu possible par une décision prise il y a dix ans par « l’ensemble des partis politiques », révèle vendredi matin le PTB, preuve à l’appui. Un rapport manuscrit datant de 2013, exhumé par la formation d’extrême-gauche, fait ainsi état de la décision unanime de l’assemblée générale de l’ASBL « Pensions des députés » d’améliorer le cumul des retraites. Selon le document, plusieurs grands noms de la politique auraient validé ce dépassement, parmi lesquels les socialistes Yvan Mayeur et André Flahaut, le nationaliste Jan Jambon, le libéral Daniel Baquelaine ou encore l’écologiste Georges Gilkinet.
Pas de PV officiel
« Cela fait plusieurs semaines qu’on essaie de comprendre l’origine des décisions liées aux avantages des pensions, et ce rapport était une pièce qui nous manquait, commente la cheffe de groupe du PTB à la Chambre, Sofie Merckx. Finalement, il semble que ce document n’a jamais fait l’objet d’un PV officiel et n’a jamais été dactylographié. »
« On se trouve vraiment dans une construction de privilèges entre-soi, sans aucun contrôle externe. C’est extrêmement choquant. »
En se basant sur l’invitation à l’Assemblée Générale de l’ASBL, que le PTB a également pu se procurer, et en consultant les statuts de l’ASBL, le parti a pu reconstruire le fil des événements. « On voit bien que le règlement sur le cumul a été modifié ce jour-là, à l’issue de la réunion », poursuit Sofie Merckx. « Ce que le document nous montre, c’est que l’affaire a finalement été conclue assez rapidement, en faisant une simple simulation chiffrée. Tous les partis étaient présents autour de la table et ont validé cette décision, déplore la députée. On se trouve vraiment dans une construction de privilèges entre-soi, sans aucun contrôle externe. C’est extrêmement choquant. »
Vers une gestion par le SPF Pensions?
Le PTB déplore le « deux poids- deux mesures » qui régit actuellement le système des pensions en Belgique. « Aujourd’hui, pour lutter contre la fraude, on organise des contrôles à domicile chez les bénéficiaires de la Grapa (Garantie de Revenus aux personnes âgées), soit les pensions les plus basses du pays, alors qu’à côté de ça, des régimes privilégiés existent depuis des années pour les parlementaires, s’indigne Sofie Merckx. C’est vraiment révoltant. »
Afin de garantir davantage de transparence, le PTB exige la dissolution de l’ASBL et appelle à confier la gestion des pensions des députés au SPF Pensions, comme c’est le cas pour l’ensemble des citoyens. « La seule manière de mettre fin à ces inégalités est que le système soit pris en main par des fonctionnaires indépendants du SPF », insiste la députée PTB.
« Un culte de l’ASBL »
Selon Emilie Van Haute, professeure de sciences politiques à l’ULB, ce système d’ASBL est caractéristique d’un mode de fonctionnement « à la belge ». « La délégation de la gestion de politiques publiques à des ASBL, on la retrouve dans tous les secteurs. Même la gestion des soins de santé ou la rémunération des allocations de chômage est déléguée à des ASBL ou des acteurs intermédiaires, pointe la politologue. Le « culte de l’ASBL » est bien présent en Belgique, ce qui pose une série de questions en termes de transparence et de contrôle des pouvoirs publics. »
« Le culte de l’ASBL est bien présent en Belgique »
Pour Emilie Van Haute, le fait d’être « juge et partie » et d’être dans « l’entre-soi » rend extrêmement compliquée la dénonciation de ce mode de fonctionnement. « C’est pour ça qu’un peu partout en Europe, on se dirige de plus en plus vers une externalisation des questions de transparence et de contrôle, vers des organes et des autorités indépendantes », explique la politologue. Et de rappeler les progrès qui restent à faire chez nous. « Le groupe des Etats contre la corruption a rendu un rapport en 2009 à la Belgique, en lui demandant de mettre en œuvre ce système d’externalisation. Il établissait un total de 11 recommandations. On est en 2023 et il n’y en a aucune qui a été mise en œuvre. Cela pose réellement question. »
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