Scandale des indemnités illégales à la Chambre, acte 2: «Le plus frappant est qu’on a affaire aux personnes les mieux rémunérées»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

L’affaire des indemnités illégales à la Chambre prend une nouvelle dimension. Des révélations du journal Le Soir montrent que de nouvelles indemnités illégales -à hauteur de 7 millions en 25 ans- ont été rendues sciemment opaques. Ce rebondissement soulève des questions éthiques, et « met également le Sénat sur la sellette », décrypte Jean Faniel, directeur général du Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP).

Indemnités illégales à la Chambre : suite et (pas) fin. Selon des informations du journal Le Soir, des indemnités ont été distribuées illégalement à 13 fonctionnaires et ex-présidents de la Chambre depuis 1998. Tout cela sous une opacité savamment pensée. Pour le quotidien, si ces indemnités sont restées secrètes pendant si longtemps, c’est parce que certains (notamment le Collège des questeurs) ont tout fait pour qu’elles restent sous les radars. Que penser de ce nouvel élargissement de l’affaire ? Décryptage avec Jean Faniel, politologue et directeur général du Centre de recherche et d’information socio-politiques (CRISP).

Jean Faniel, que peut-on déduire de ces nouvelles révélations sur les indemnités illégales à la Chambre ?

Elles viennent à la fois documenter et préciser ce qu’il s’est produit à la Chambre, mais elles allument aussi sérieusement la mèche pour le Sénat. Avec un trou de 25 années dans les documents, et le non-recevoir laissé aux demandes de documentation des journalistes. Cela va mettre le Sénat sur la sellette à son tour. Il n’est donc pas du tout certain que cette affaire soit finie : ces révélations amènent des réponses, mais soulèvent surtout d’autres questions.

Qu’est-ce que cette amplification de l’affaire sur les indemnités dit de notre système politique ?

On constate que des décisions ont été prises par des fonctionnaires pour leur propre profit -ou celui d’un cercle très rapproché-, ce qui pose question. Mais aussi la couverture et/ou l’amplification par certains mandataires politiques. Soit seul – Yvon Harmegnies (alors président du Collège des questeurs, NDLR) – est mentionné nommément. Soit collectivement avec le Collègue des questeurs. D’une part, on retrouve donc une question d’éthique personnelle : comment des acteurs, qu’ils soient fonctionnaires ou élus, ont pu et voulu mettre cela en œuvre, à leur propre profit ? D’autre part, la question légale est aussi centrale, car on parle d’un plafond qui a été sciemment dépassé.

Qu’est-ce qui vous interpelle le plus ?

Ce qui est frappant, c’est qu’on a affaire aux personnes qui sont déjà les mieux rémunérées. Les questeurs avaient un complément de rémunération supérieur aux autres élus. Et les hauts fonctionnaires dont on parle étaient les plus gros salaires de l’Assemblée. Tout cela a été orchestré dans le but d’assurer leurs arrières, pas dans l’optique de surmonter une fin de mois difficile.

On peut parler d’omerta ?

Pas à proprement parler. Dans la mesure où les révélations sont venues de l’intérieur, et de dirigeants qui sont actuellement en place. Par contre, on constate clairement une volonté de dissimulation, mise en œuvre de différentes manières : en classant certains documents ou en les rendant introuvables.

Le Collège des questeurs est particulièrement ciblé. Quel est (était) cet organe, relativement peu connu ?

Il n’existe plus, mais a été remplacé par un Comité de gouvernance. Cet organe était composé de membres de chacune des deux chambres, et n’existait pas dans les parlements des Communautés et des Régions. Le collège devait décider de la bonne tenue financière de l’Assemblée parlementaire fédérale. Pour les entités fédérées, c’est un rôle qui est tenu par le Bureau.

D’une certaine manière, cette affaire rejoint les questions qui entourent le Parlement wallon et l’affaire Frédéric Janssens. Quel est le rôle du Bureau, son degré d’autonomie et de contrôle ? Cependant, ce nouveau scandale diffère avec celui du parlement wallon dans la mesure où un système de rémunération a, dans ce cas-ci, été mis en place à l’avantage des acteurs concernés. Lorsque l’opposition n’a pas accès à ce Bureau, cela soulève des questions en termes de contrôle.

Peut-on également redouter que ces indemnités illégales soient également perçues dans les parlements régionaux ?

On ne peut pas l’exclure. Une mesure de prudence consisterait, pour chaque assemblée parlementaire, à investiguer sur la question. Car sans le travail journalistique, l’affaire de la Chambre aurait pu rester sous les radars encore un certain temps. On pourrait donc imaginer un travail de salubrité dans chaque assemblée. En vertu de l’autonomie de chacune, c’est à elle à faire le travail individuellement. Ils seraient bien inspirés de le faire. Certains pourraient trembler, sachant qu’on pourrait découvrir la même chose pour leur assemblée parlementaire. Si on finit par le découvrir et qu’ils n’ont pas pris les devants, à un moment où les questions sont mises très clairement sur la table, cela pourrait se transformer en abstention coupable, du moins moralement.

Plus globalement, les scandales politiques s’accumulent à une fréquence soutenue, et ce à plusieurs niveaux de pouvoirs (parlement wallon, fédéral et européen). La Belgique, de par son fonctionnement politique complexe, est-elle une terre propice à la corruption ?

Elle n’en a pas spécialement l’apanage. Dans beaucoup de systèmes politiques, on rencontre ce type d’affaires illégales et/ou immorales. Je ne suis pas sûr que la Belgique soit plus sujette à la corruption que d’autres systèmes politiques. Mais elle n’est pas pour autant plus vertueuse. D’un côté, en termes de perception, il ne peut pas vraiment en aller autrement : il est rare que des scandales se dégonflent. Ce n’est pas pour cela que ce n’est pas interpellant. Avec le parlement européen, le fédéral et le wallon : il y en a en effet pour tout le monde. Et l’image renvoyée est loin d’être excellente. On sait qu’en Belgique, le sentiment de défiance à l’égard de la politique est présent depuis de longue date. Et ça ne s’arrange pas.  

Que peuvent/doivent faire les politiques pour retrouver cette confiance citoyenne ?

Un examen parlement par parlement, par ses propres services, ou par un organe indépendant -pour limiter les suspicions- pourrait être une manière de montrer qu’un travail d’anticipation et de prévention est réalisé. Ça ne semble pas infaisable : on doit pouvoir vérifier ce qui a été versé à qui et en vertu de quoi.

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Jean Faniel, directeur général du CRISP.

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