Remplacer les ministres par des experts? Pourquoi l’idée séduit (analyse)
Six Flamands sur 10 verraient bien un gouvernement d’experts à la tête de la Belgique. Les récents scandales, couplés à une défiance toujours aussi grande envers la classe politique, sont une partie de l’explication. Analyse avec Dave Sinardet, politologue et professeur à la VUB.
Les résultats du dernier sondage politique en Flandre sont édifiants. D’après l’enquête De Stemming menée par la VRT et le Standaard, 60% des Flamands préfèreraient que des experts prennent les décisions en politique plutôt qu’un gouvernement.
Déjà observée pendant la crise sanitaire, cette tendance est remise au goût du jour avec les différents scandales observés dernièrement. « Il y a une méfiance généralisée autour de la classe politique, observe Dave Sinardet, politologue et professeur à la VUB. Mais ce constat n’est pas neuf. Des virologues comme Marc Van Ranst et Erika Vlieghe bénéficiaient d’une meilleure cote de popularité lors de la période Covid. Certaines personnes ont l’impression que les élus sont guidés par leurs propres intérêts ou ceux de leur parti, là où les experts bénéficient d’une impression de neutralité ». Si Dave Sinardet plaide pour une meilleure prise en compte des experts en politique, il estime que les décisions doivent continuer à être prises par les élus.
Le fait que plus d’un Flamand sur deux soit favorable à cette mesure s’explique aussi par le contexte dans lequel le sondage a été réalisé. C’était en mars, dans la foulée de deux accords politiquement sensibles : l’azote en Flandre et la migration au fédéral. « L’accord sur l’azote est intervenu après une longue crise, et en laissant tout un tas de points non réglés. Quant à l’accord sur la migration, peut-être que certains estiment que c’est une mauvais chose », analyse le politologue.
Politique: les experts au gouvernement, aussi en Wallonie ?
Qu’en est-il au sud du pays ? Pour le savoir, il faut s’intéresser aux résultats de l’enquête Bye Bye, la démocratie ? menée par la RTBF et La Libre en octobre 2022. D’après les conclusions de l’étude, 13% des Wallons et 18% des Bruxellois estiment que les experts seraient les plus à même de diriger le pays efficacement. Pour autant, ces chiffres ne sont pas comparables aux 60% flamands, qui étaient interrogées sur une autre question dans le cadre du sondage De Stemming, précise le professeur à la VUB.
Au-delà des pourcentages, le phénomène de crise de la démocratie représentative est bien réel. « C’est une tendance européenne qui s’explique par la fragmentation du paysage politique et l’impression que les gouvernements ne trouvent pas les réponses aux défis climatique et de l’immigration », note Dave Sinardet. En Belgique, « il y a peut-être trop de démocratie », estime le politologue, rappelant qu’il y a 6 gouvernements, 8 parlements et 9 partis au pouvoir au moins dans un de ces gouvernements. « Cela peut donner l’impression que rien n’avance. On annonce une réforme fiscale mais le MR ne veut pas, puis le PS pas vraiment non plus, etc. Les gens qui ne suivent pas la politique peuvent se perdre dans toutes ces déclarations ». Jusqu’à pousser certains à vouloir un pays dirigé par un leader unique, au pouvoir fort ?
Un leader unique plutôt qu’une coalition, l’idée fait son chemin
Des deux sondages, il ressort aussi qu’une certaine partie de la population souhaiterait être gouvernée par un leader unique. Dans le Stemming, 35% des Flamands se prononcent en faveur « d’un dirigeant fort qui n’a pas à se préoccuper du parlement et des élections ». Un chiffre qui monte, sans surprise, à 47% pour les électeurs du Vlaams Belang. Dans Bye Bye, la démocratie ?, 40% des Wallons et 28% des Bruxellois estimaient que le pays serait mieux géré si une personne seule était au pouvoir. « Des gens pensent peut-être qu’un leader unique permettrait de mieux faire avancer les choses. Et si ce n’est pas le cas, il serait sanctionné dans les urnes à la prochaine élection », avance Dave Sinardet.
Dans une démocratie représentative, le peuple donne par le vote un mandat à une assemblée pour le représenter et le gouverner. Un système dominant en Europe occidentale, mais qui a du plomb dans l’aile. Au point d’être bientôt remplacé par un autre système politique ? « Des partis plaident en faveur d’une démocratie majoritaire, d’autres d’une démocratie délibérative, rappelle le politologue. Mais tout le monde doit être d’accord. Pour avoir une telle réforme, il faut une majorité des deux tiers (afin de réviser la Constitution, NDLR) ». Des progrès sont quand même réalisés du point de vue démocratique, à l’image des citoyens invités à s’exprimer ponctuellement dans les différentes assemblées du pays.
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