«Les économies opérées ces dernières années ont trop rarement des mesures à caractère structurel», écrivent le MR et Les Engagés, qui se sont partagés la compétence budgétaire depuis quinze ans. Leur choc administratif portera-t-il ses fruits? © BELGAIMAGE

Wallonie: des économies grâce à un «choc administratif»? Pourquoi il y a des raisons d’en douter

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Le «choc administratif» voulu par le MR et Les Engagés permettra-t-il de faire des économies? L’échec du «budget base zéro» wallon prouve que ce sera tout sauf simple.

Le ton est donné dès les premières pages des nouvelles Déclarations de politique régionale (DPR) et communautaire (DPC). «Choc de simplification» en Wallonie, «choc administratif» à la Fédération Wallonie-Bruxelles et «rationalisation» à tous les étages, ce dernier terme revient respectivement à seize et six reprises. Ces formulations renvoient à une volonté commune aux deux niveaux de pouvoir et identiquement décrite: rendre le «service public plus efficace», pour en «renforcer la qualité des services rendus aux usagers». Au premier abord, la nouvelle majorité MR-Engagés souhaiterait donc faire mieux avec moins, partout où c’est possible. Dans un contexte où l’endettement ne cesse de se creuser en Wallonie (21 milliards d’euros en 2023) et en FWB (12 milliards), Georges-Louis Bouchez et Maxime Prévot ont en effet promis une cure d’assainissement –ne dites surtout pas «austérité». A la Région, les deux présidents de parti prévoient ainsi un retour à l’équilibre budgétaire d’ici à dix ans et un réduction de moitié du déficit en cinq ans.

Il y a du pain sur la planche, sachant que les tranches budgétaires seront plus fines, comme l’atteste un plan de relance resserré. «Les prestations publiques […] devront être analysées scrupuleusement pour réduire les doublons, mesurer ce qui est efficace et efficient, corriger le tir quand des gabegies sont constatées ou que de l’argent public est indûment gaspillé», écrit la nouvelle majorité, dont les deux partis ont eu la main sur la simplification administrative pendant sept ans. «Les économies opérées ces dernières années ont surtout été une compilation d’effets conjoncturels ou d’aubaines, trop rarement des mesures à caractère structurel. Nous sommes arrivés au bout de cet exercice», ajoutent le MR et Les Engagés, qui se sont aussi partagés la compétence budgétaire depuis quinze ans, hormis un interlude socialiste (celui de Christophe Lacroix) de 2014 à 2017.

Il convient de rester prudent face à tout discours promettant d’importantes économies grâce à la simplification administrative.

Réussiront-ils l’ambitieux pari de faire des économies dans l’administration, sans que cela n’affecte significativement l’emploi ou la qualité des services aux citoyens? En apparence, la marge paraît conséquente, vu les critiques récurrentes à l’égard de la lourdeur administrative et la multiplicité des acteurs. Dans les faits, il convient de rester prudent face à tout discours politique promettant d’importantes économies grâce à la simplification administrative et la rationalisation. En 2019, la Wallonie avait déjà tenté de rabattre les cartes, sous l’impulsion de Jean-Luc Crucke, alors ministre MR du Budget, avant de démissionner début 2022 et de passer chez Les Engagés. Il avait convaincu le gouvernement Di Rupo III d’instaurer un «budget base zéro» (BBZ), une technique élaborée dès 1969 et visant à le confectionner en partant littéralement de rien, plutôt que de reprendre perpétuellement le budget de l’année précédente.

De 1,5 milliard à seulement 200 millions

A l’époque, le consultant privé désigné pour sa mise en œuvre, Roland Berger, avait annoncé pouvoir dégager des moyens à hauteur de 1,5 milliard d’euros en Wallonie. Il ne s’agissait pas de réduire la voilure budgétaire, plutôt de réallouer les ressources vers les politiques publiques les plus efficaces ou jugées prioritaires. L’intention se solda par un échec manifeste, puisque après trois ans, elle ne permit finalement d’obtenir que 200 millions d’euros. «En matière de dépenses de fonctionnement, 111 millions d’euros ont été réorientés par l’administration, 50 millions sont en cours de développement et 100 millions n’ont pas fait l’objet d’un accord politique, détaillent Loris Gathy, aspirant FNRS, et Damien Piron, professeur de finances publiques à l’ULiège, dans un récent Courrier hebdomadaire du Crisp (1). En matière de dépenses d’intervention, seuls 40 millions d’euros ont été dégagés sur une marge de manœuvre estimée à un milliard d’euros.»

Successeur de Jean-Luc Crucke au Budget, Adrien Dolimont (MR) n’avait pas éludé cet échec, imputable selon lui à des «propositions politiquement impossibles» du consultant, comme il l’avait indiqué à L’Echo en janvier 2023: «Il n’a pas tenu compte des réalités politiques dans son analyse en proposant un gel de l’indexation du fonds des communes ou des allocations familiales […] Le résultat de BBZ allait de facto ne pas être bon. Mais on l’assume. Nous avons maintenant cette liste de courses et on pourrait la ressortir à un moment donné.» L’option reste bel et bien ouverte, puisque Adrien Dolimont, élevé au rang de ministre-président wallon sous cette nouvelle législature, reste en charge du Budget. Elle ne figure toutefois pas dans la nouvelle DPR.

En esquissant la volonté de faire mieux avec moins, la nouvelle majorité place résolument la barre très haut. Trop haut ?

En dépit des maigres marges dégagées, l’expérience du BBZ ne fut pas totalement vaine. «Elle a eu le mérite d’acculturer l’administration aux manières de se réformer, d’accroître leur efficience, voire de réaliser des économies», souligne Damien Piron. Cependant, son apport demeure discutable pour le nouveau gouvernement. D’abord parce qu’il ne s’agissait pas d’un véritable BBZ, qui aurait été bien plus chronophage et contraignant. «Plus précisément, c’était un budget base zéro accéléré, une méthode dont Roland Berger est propriétaire, mais qui ne correspond pas à celle d’un BBZ au sens de la littérature, commente Loris Gathy. Alors que les administrations s’attendaient à ce qu’on reparte de zéro, ce n’est pas du tout ce qu’il s’est passé. La démarche s’est davantage apparentée à une large revue de dépenses.»

Elle souffrait, en outre, d’une autre lacune, que les nouvelles DPR et DPC reprennent partiellement. «Au-delà du nom de BBZ, l’objectif était ambigu dès le départ, poursuit Damien Piron. En fonction des acteurs désignés, l’accent était soit mis sur l’amélioration de leur efficacité et de leur efficience, soit sur les économies à réaliser.» Si la majorité MR-Engagés fait souvent référence aux notions d’efficacité, d’efficience et d’économie, celles-ci ne constituent pas nécessairement une suite logique. «L’efficacité d’une politique publique, c’est sa capacité à atteindre les objectifs fixés, qui peuvent être revus à la hausse ou à la baisse, précise le professeur de l’ULiège. L’efficience, elle, consiste à maximiser l’utilisation des ressources pour atteindre cet objectif. On a souvent tendance à considérer qu’il s’agit de faire autant avec moins, mais cela peut également revenir à faire mieux avec un peu plus.» En esquissant la volonté de faire mieux avec moins, la nouvelle majorité place résolument la barre très haut.

Le simplisme de la râpe à fromage

Trop haut? En insistant à maintes reprises sur la rapidité des rationalisations à venir, les gouvernements de la Wallonie et de la FWB pourraient s’engouffrer dans le même piège que connut le BBZ accéléré, à savoir la tentation de réclamer des efforts uniformes à l’ensemble des acteurs publics wallons, sans tenir compte de leurs spécificités. «Ce BBZ accéléré demandait à chaque entité publique concernée de dégager 10% à 15% de marges de manœuvre, rappelle Loris Gathy. C’est la logique du cheese slicing (NDLR: principe de la râpe à fromage, ou coupe décrémentielle), comme l’appelle la littérature: tout le monde est mis à la même enseigne et doit donc fournir les mêmes efforts d’efficacité et d’économie. Le problème? Dans les faits, il est plus facile de dégager des moyens dans certains services que dans d’autres. Ceux qui avaient déjà réussi à optimiser le maximum de ce qu’ils pouvaient, se voyaient pénalisés par rapport aux autres. Et comme les consultants s’étaient engagés auprès du gouvernement à obtenir un certain résultat, ils ont eu tendance à chercher des marges de manœuvre là où il n’y en avait pas.»

Sachant que le BBZ accéléré n’a pas produit les effets escomptés, la nouvelle majorité pourra-t-elle réinventer la roue des économies à dégager dans les prestations publiques? Après les élections, l’ancien ministre wallon de l’Economie et désormais président de l’assemblée, Willy Borsus, annonçait sur RTL TVI que la nouvelle législature «passera complètement en revue les budgets, dans un exercice budget base zéro […] On réexamine l’ensemble des dépenses et des articles budgétaires pour décider des mesures ou des dispositifs qui sont vraiment les plus intéressants.» Les DPR et DPC mentionnent la volonté du gouvernement de systématiser leur évaluation grâce à une méthodologie «commune à l’ensemble des parties prenantes», ce qui laisse entrevoir le simplisme évoqué plus haut. En insistant sur l’élaboration d’indicateurs de performance, elles augurent des décisions budgétaires potentiellement dictées par des résultats chiffrables. «Or, il serait caricatural de mettre un chiffre sur tout le travail d’une administration, outre les biais qu’une telle logique suscite», avertit Loris Gathy. Du BBZ aux revues de dépenses, il n’existe pas de solution miracle et prête à l’emploi pour révolutionner le budget, soulignent les experts. Un rappel plus que jamais utile, à l’heure des grandes promesses politiciennes.

(1) «Les finances de la Région wallonne à l’épreuve de l’Union européenne: normes comptables, budget base zéro (BBZ) et revues de dépenses», Courrier hebdomadaire du Crisp n° 2595-2596, par Loris Gathy et Damien Piron.

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