Permis obligatoire pour adopter un animal: « Les poissons rouges souffrent aussi »
Depuis le 1er juillet, en Wallonie, un permis est désormais nécessaire pour détenir un animal de compagnie. Une mesure vraiment utile ? Pour Sébastien de Jonge, président de l’Union wallonne pour la protection animale, il s’agit d’en finir avec les achats impulsifs et les abandons.
Sébastien de Jonge, qui est aussi directeur du refuge Sans Collier, voit dans l’introduction d’un permis de détenir un animal un réel espoir de désengorger des refuges saturés.
L’intérêt d’imposer la présentation d’un permis de détenir un animal de compagnie à l’achat ou à l’adoption est-il réel?
Oui. Il faut rappeler que, depuis le 1er janvier 2019, tout le monde disposait automatiquement et tacitement d’un permis de détenir un animal, sans avoir de démarche à accomplir. Jusqu’à présent, il était impossible pour les commerces et refuges de vérifier si une personne avait été déchue de cette autorisation, pour une période déterminée ou définitivement, pour négligence ou maltraitance animale, sur décision judiciaire ou émanant d’une administration. Ce qui est actuellement le cas d’une petite quarantaine de personnes en Région wallonne.
Fallait-il vraiment en passer par là?
Tout ça pour ça, dira-t-on peut-être. On aurait pu effectivement, en guise d’alternative, imaginer des contrôles spontanés et réguliers chez les personnes privées du droit de détenir un animal. Mais l’autre intérêt de la mesure entrée en vigueur le 1er juillet, c’est qu’elle permettra de lutter contre les achats impulsifs et de s’attaquer à la triste réalité des abandons d’animaux qui en sont souvent la conséquence. Le fait d’être obligé de se rendre à l’administration communale pour obtenir ce permis de détention imposera automatiquement un délai de réflexion, ce qui ne pourra être que dans l’intérêt des animaux. C’est un excellent moyen de tester la motivation réelle du candidat à l’acquisition d’un animal. On peut franchement douter qu’une personne qui rechignera à se déplacer jusqu’à la commune pour obtenir le document, fera aussi l’effort de se rendre chez un vétérinaire le jour où son animal se blessera ou tombera malade.
On peut douter qu’une personne qui rechignera à se déplacer jusqu’à la commune pour obtenir le document fera l’effort de se rendre chez un vétérinaire.
On peut donc espérer moins d’abandons d’animaux à l’avenir?
La lutte contre les achats compulsifs devrait permettre de désengorger les refuges. En Wallonie, ils enregistrent plus de 25 000 prises en charge d’animaux abandonnés ou errants par an, toutes espèces confondues. Le problème est structurel, il croît d’année en année et les comportements adoptés durant la crise sanitaire, où l’on voulait un animal de compagnie chez soi, n’ont pas arrangé les choses. Pouvoir réduire de 10 à 15% cette prise en charge serait déjà très bien.
Il s’agit donc d’une avancée majeure dans la cause de la protection du bien-être animal?
Toute avancée est bonne à prendre et il faut s’en réjouir. Cette mesure trouve sa genèse dans le Code wallon du bien-être animal, adopté en 2018, qui a introduit cette idée que la puissance publique peut s’arroger le droit de décider que quelqu’un n’est pas apte à détenir un animal. Il ne faut pas sous-estimer la portée symbolique de ce principe, encore rare en Europe. En Suisse, certains cantons ont été plus loin encore en liant une formation à l’octroi du permis de détention, mais on observe une marche en arrière.
Même le poisson rouge a droit à cette couverture protectrice…
Oui, je sais que cela peut prêter à sourire mais l’impératif de protection doit porter sur toutes les espèces animales. La douleur, la souffrance, est aussi ressentie par un poisson rouge qui a une durée moyenne de vie de quinze ans et qui, comme tous les petits animaux – cobayes, souris ou tortues –, figure parmi les principales victimes des achats compulsifs. Il est important que la société prenne conscience qu’il n’existe pas de «sous-animaux».
Peut-on compter sur l’adhésion de la population qui risque de ressentir cette démarche à accomplir comme une énième tracasserie administrative?
Les réseaux sociaux relaient des réactions parfois négatives, comme l’atteinte portée à la liberté individuelle ou le soupçon selon lequel l’introduction de ce permis de détention cacherait une volonté de taxer. En fait, la responsabilité du respect de la mesure pèse sur l’établissement agréé, l’éleveur, le commerce, le refuge. C’est lui qui est désormais tenu de demander à tout candidat à l’achat ou à l’adoption d’un animal de compagnie de fournir un extrait du fichier central de la délinquance environnementale et du bien-être animal, de tenir un registre des achats ou adoptions qui reprendra la référence de l’extrait, de conserver cet extrait durant cinq ans et de présenter le registre aux services de contrôle.
Les contrôles, suivis d’éventuelles sanctions, seront-ils à hauteur de la mesure?
Ce sera une autre histoire. Les annonces d’animaux à vendre foisonnent toujours sur les réseaux sociaux, en dépit de l’interdiction de vendre ou de donner des animaux en ligne, et ce, faute de contrôles et de sanctions.
L’obligation de présenter une attestation de non-maltraitance animale ne fera-t-elle pas le bonheur ou la fortune de filières d’acquisition clandestines?
Je ne suis pas certain du risque de voir les achats d’animaux se déplacer vers des filières clandestines réellement organisées qui, en outre, sont peu nombreuses chez nous. Mais cela peut renforcer les ventes ou les dons entre particuliers, notamment sur Internet, qui passent encore sous les radars de contrôle très compliqués à envisager.
Refuges, commerces, élevages: tout le secteur est-il prêt à jouer le jeu?
L’ introduction du permis de détention concerne finalement assez peu les refuges qui disposent déjà de filtres, qui ne sont pas guidés par des soucis de rentabilité et qui n’ont, par exemple, aucun intérêt à placer plusieurs fois un même animal qu’ils sont obligés de récupérer. Certains commerçants ou éleveurs qui fourguent parfois n’importe quel animal ne manqueront pas d’invoquer une surcharge administrative ou une perte de clients. Mais la mesure permettra d’assainir le secteur des animaleries qui, d’ailleurs, dans son ensemble, l’approuve.
Un saut en Région bruxelloise ou en Flandre suffira pour acheter ou adopter un animal sans avoir à exhiber un permis de détention…
Le risque existe, mais il faut toujours que quelqu’un fasse le premier pas, en espérant que cette avancée dans la protection animale réalisée en Région wallonne fera tache d’huile.
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