«Culture du secret» : pourquoi la caisse de retraite des députés wallons pose encore question
Toute la lumière n’a pas été faite sur les dérapages budgétaires de l’ère Janssens, en particulier ce qui concerne la caisse de retraite des députés, dont le refinancement, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros, a été mis en stand-by. Une première depuis dix ans.
Avant sa dissolution puis son renouvellement à la suite des élections, le Bureau du parlement de Wallonie a finalement renoncé à octroyer à la caisse de retraite de ses députés, logée dans une asbl éponyme, un ultime subside «exceptionnel» de refinancement. Une première en dix ans.
Pour rappel, la caisse, mal gérée et en difficulté jusqu’à maintenant, a bénéficié, au total, d’au moins 38 millions d’euros d’argent public depuis 2014, d’après les comptes de dépense du Bureau, auxquels nous avons eu accès. Pourquoi ce renoncement, alors même que des dizaines et des dizaines de procès-verbaux –que nous avons également pu consulter– font état, depuis de longues années et selon plusieurs études actuarielles, de problèmes de solvabilité à plus ou moins court terme?
Déficit «artificiel»?
«Une nouvelle étude actuarielle sera commandée et en fonction des observations formulées, le [nouveau] Bureau décidera –ou non– de verser un subside complémentaire», répond le socialiste André Frédéric, ex-président du parlement (et par extension du Bureau), qui vient de passer la main au réformateur Jean-Paul Wahl. Une information confirmée par d’anciens membres du Bureau, alors même que la dernière étude en date, réalisée courant 2021, chiffrait le déficit entre 78 et 84,6 millions d’euros, mettant «en péril à très court terme» le taux de couverture des pensions.
«Nous avons une couverture qui semble beaucoup trop élevée par rapport aux besoins réels, le déséquilibre de la caisse pourrait dès lors être artificiel», tempère un ancien membre du Bureau, que la trajectoire budgétaire chaotique de la caisse n’inquiète pas plus que ça.
D’autres mâchent un peu moins leurs mots. C’est le cas de László Schonbrodt (PTB), qui a rejoint pendant deux ans le Bureau après «l’affaire du greffierJanssens» et la démission du président Jean-Claude Marcourt (PS) et du reste de l’équipe –où tous les partis étaient représentés. Pas de quoi éclaircir grand-chose. «Cette caisse ne répond à aucun critère de contrôle démocratique. Il y a vraiment un gros manque de transparence, obtenir des informations concrètes était extrêmement compliqué. On a regardé ce qui était face à nous, avec des experts qui parfois se contredisaient. On s’est arraché les cheveux sur les comptes (NDLR : de la caisse). Evidemment qu’on les a regardés, épluchés, qu’on a posé des questions. Mais si je demandais un PV datant de l’ancien Bureau, je devais avoir l’approbation… de l’ancien Bureau pour y avoir accès. André Frédéric, dans sa compréhension du règlement, devait donc demander l’autorisation à Marcourt…»
Un autre membre confirme cette réticence de la présidence à lâcher en masse les PV demandés, faisant toutefois valoir le manque de précision de László Schonbrodt dans ses demandes. «On pouvait consulter les anciens PV, sans conditions», s’étonne cet autre membre, admettant que sa propre analyse comptable de la caisse de retraite, soumise à un expert de son groupe politique, s’est arrêtée à l’année «polémique» de 2022, qui avait vu la démission du «Bureau Marcourt».
«Cette caisse ne répond à aucun critère de contrôle démocratique.»
Largesses comptables
Alors que le PTB comme Ecolo ont été éjectés du noyau dur de l’instance nouvellement formée sous la présidence de Jean-Paul Wahl, László Schonbrodt alerte sur les largesses comptables et décisionnelles prises au fil des ans. «Le calcul était le suivant: si la caisse devait payer tous les droits à la pension maintenant, elle ne le pourrait pas. La règle pour ce genre d’asbl, c’est qu’elle doit être en capacité de payer 100% des pensions à l’instant. Mais on n’y est pas du tout, du tout, du tout. C’est pour ça qu’il est plus confortable de dire qu’on s’en fiche puisque ça n’arrivera jamais. Donc mieux vaut dire qu’on pourrait juste couvrir 70%, ainsi on raie le déficit d’un coup de stylo.»
Le nœud du problème, selon lui? Une «culture du secret qui fait qu’on se retrouve avec des caisses isolées et dirigées par des gens qui n’ont aucune compétence pour le faire. Raison pour laquelle le PTB plaide pour une dissolution de cette caisse et une reprise en main par le SPF Finances.» «La réalité, c’est qu’on est sur un régime spécial de pensions où transitent des sommes folles», observe-t-il, saluant toutefois l’embauche d’un directeur financier en bonne et due forme chargé de remettre de la clarté dans les comptes et perspectives de la caisse. Un travail auparavant effectué par le greffier Janssens lui-même. Qui fut parfois rappelé à l’ordre par le Bureau pour n’avoir pas intégré certains subsides aux comptes de l’asbl, comme Le Vif l’avait précédemment révélé.
Un Bureau finalement élargi
Reste qu’après les scandales qui ont secoué le Bureau, encore récemment pointé du doigt pour ses dépenses somptuaires passées, certains partis entendent bien garder un œil sur les décisions qui y sont prises, y compris en ce qui concerne cette fameuse caisse de retraite. Témoin, la volonté du PTB d’obtenir une modification du règlement afin de rejoindre un Bureau «élargi». «Les partis à l’origine des affaires du parlement de Wallonie décident d’exclure du Bureau le seul parti qui a dénoncé le scandale. Mais on ne se laissera pas museler», avait tonné Germain Mugemangango, chef de groupe du PTB au parlement, proposant de supprimer «les rémunérations des fonctions spéciales. Tous les partis pourront ainsi être représentés au Bureau sans que cela ne coûte un centime au citoyen. Si le MR et Les Engagés ont vraiment cette volonté de réduire certains coûts liés aux politiciens, qu’ils commencent par là», avait-il ajouté. Il a, semble-t-il, été entendu: lui et Stéphane Hazée, chef de groupe Ecolo, font désormais partie du Bureau élargi.
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