Le manque de grands terrains est-il un handicap pour la Wallonie?
Pour Jean-Marc Lambotte, coordinateur scientifique du Centre de recherche sur la ville, le territoire et le milieu rural (ULiège), la problématique des grands terrains disponibles varie selon les sous-régions.
Faute d’avoir pu trouver vingt hectares en Wallonie, l’entreprise Futerro a récemment choisi d’installer ailleurs son usine. Comme bien d’autres avant elle?
La Wallonie manque-t-elle vraiment de grands terrains à vocation économique et industrielle?
La problématique des grands terrains disponibles varie selon les sous-régions. Il est vrai qu’on a du mal à trouver des hectares dans certains arrondissements, plutôt au nord du sillon Sambre-et-Meuse: du côté de Mouscron, dans le Brabant wallon, à Huy-Waremme… A d’autres endroits, c’est encore possible, notamment dans le Borinage ou la région du Centre. En région liégeoise, on a bien prévu des terrains autour de Bierset, mais on sait qu’ils seront dévolus à des entreprises en lien avec l’activité aéroportuaire. Le manque de disponibilités foncières se résout parfois temporairement, avec l’expansion d’un parc d’activité. Mais il est vrai qu’il est de plus en plus criant pour les intercommunales de développement économique.
On se doit de faire de la place pour des entreprises capables de générer beaucoup d’emplois à l’hectare.
Jean-Marc Lambotte
En parallèle, la Wallonie peine pourtant à trouver des acquéreurs pour d’autres grands sites comme, par exemple, celui de Caterpillar à Gosselies.
Il faut bien distinguer les terrains qui disposent de la bonne affectation au plan de secteur et ceux qu’une intercommunale de développement peut réellement vendre à des entreprises. Du fait des bâtiments qui l’occupent, le site de Caterpillar n’est pertinent que pour un nombre très limité d’activités. En région liégeoise, on vient à peine de commencer les démolitions du site de Chertal (NDLR: 190 hectares entre Herstal et Cheratte). Sa reconversion prendra au moins une dizaine d’années. En outre, on rencontre des problèmes de financement de certains parcs d’activité économique, comme celui des Hauts-Sarts, à Herstal. En ce qui concerne l’aménagement du territoire, tout est désormais réglé. Mais à présent, il faut équiper le terrain, ce que l’intercommunale, la SPI, est censée financer grâce à des subsides et une avance des communes. Or, Herstal dit avoir déjà assez donné ces dernières années.
Les intercommunales n’ont-elles pas trop longtemps gaspillé les superficies disponibles dans leurs zonings, notamment en vendant des terrains à des acteurs qui auraient pu s’installer en ville?
Ce fut très longtemps le cas, dans des proportions variables selon les opérateurs. Certains ont arrêté depuis plus de vingt ans de vendre des terrains pour accueillir du commerce de détail, des bureaux d’avocats. D’autres ont attendu, mais les choses ont globalement évolué positivement. Autre difficulté: même si une intercommunale se dote dès le départ d’une politique restrictive en matière de types d’activités, certaines s’y insèrent malgré tout lors de la revente d’un bâtiment.
Comment procéder pour reconstituer une réserve stratégique de quatre cents à six cents hectares de grands terrains en Wallonie?
Il faut faire des révisions régulières de plan de secteur. Mais cela ne doit pas se traduire par des disponibilités dans chaque sous-région. D’autant que les ventes de terrains de grande superficie sont peu régulières. Les recommandations que nous avions formulées au précédent gouvernement, en 2016, valent donc encore aujourd’hui: la réflexion doit se faire à l’échelle d’une province ou de maximum deux régions dans une même province.
Faut-il nécessairement regretter que certaines grandes entreprises ne s’installent pas en Wallonie, faute de place?
Il importe de réfléchir au type d’entreprises que l’on souhaite accueillir ou non: si c’est pour créer moins de dix emplois à l’hectare et en consommer dix à quinze, il y a des questions à se poser. En revanche, on se doit de faire de la place pour une entreprise capable d’en générer 25 à l’hectare.
Certaines activités logistiques, qui forment l’un des pôles wallons de compétitivité, génèrent très peu d’emplois à l’hectare. Doit-on renoncer à accueillir des secteurs sur la base de ce critère?
Dire que cela vaut pour tout le secteur logistique, ce n’est pas vrai. A l’aéroport de Bierset, par exemple, on essaie de développer la biologistique, qui peut apporter une haute valeur ajoutée et un volume conséquent d’emplois par rapport au foncier consommé. Mais n’oublions pas que la Wallonie compte un nombre considérable de travailleurs avec une faible qualification, qui ne se tourneront pas vers les sociétés de la connaissance. Il faut donc aussi tenir compte des spécificités de notre main-d’œuvre. Dans le Brabant wallon, l’intercommunale in BW n’accepte de vendre du terrain qu’à un entrepreneur proposant au moins trente emplois à l’hectare. Mais si on applique de tels ratios partout en Région wallonne, on se coupera de secteurs essentiels pour le développement économique.
Où les trouver, ces grands terrains qui manquent à la Wallonie?
Il est clair que la création de parcelles de grande envergure se fera très peu par la réhabilitation de friches. Il y a bien sûr des sites comme Caterpillar ou Chertal. Avec la difficulté, pour ce dernier site, que ses bâtiments ultraspécifiques n’ont pas été conçus pour devenir autre chose qu’une aciérie. Hormis quelques cas, on devra malheureusement solliciter des terrains au départ occupés par des agriculteurs. En privilégiant, bien entendu, ceux qui sont déjà de la bonne couleur au plan de secteur. En revanche, au nord du sillon Sambre-et-Meuse, on sera obligé de faire des révisions pour réaffecter des terrains aujourd’hui en zone agricole.
Comment concilier ce besoin avec la fin de l’artificialisation nette des sols d’ici à 2050, comme le prévoit le Schéma de développement du territoire (SDT), soumis à enquête publique?
Il faudra, en parallèle, une compensation intégrale, c’est-à-dire transformer une zone actuellement urbanisable en zone agricole. Il reste des tas de terrains impropres à l’urbanisation, pour lesquels un déclassement ne nécessite pas d’indemnisation. Mais cela ne sera pas toujours possible à l’échelle communale ou sous-régionale. Dans certaines zones, toute la difficulté sera de faire accepter que la compensation ait lieu dans une autre sous-région, principalement au sud du sillon Sambre-et-Meuse. Je tiens toutefois à préciser que ce n’est pas à l’échelon des zones d’activité économique que le problème de l’artificialisation est le plus criant. On gaspille beaucoup plus le foncier pour la fonction résidentielle en Région wallonne. C’est là qu’il faut produire l’essentiel des efforts pour atteindre le «zéro artificialisation nette».
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