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De l’amiante à l’Observatoire de Cointe : la Région n’avait pas informé les occupants

Sur les hauteurs de Liège, le bâtiment récemment vendu par la Région wallonne au privé s’apparente à une ruine… truffée d’amiante. Un rapport d’expertise, daté de 2018, indique la présence de cette substance hautement cancérigène dans les zones encore fréquentées de l’Observatoire de Cointe. La Région n’aurait rien fait.

Cinq ans. Cinq ans qu’un rapport d’expertise a conclu à la présence d’amiante à l’Observatoire de Cointe, sur les hauteurs de Liège. Et cinq ans qu’aucune mesure de protection n’a été prise, alors que l’endroit accueille occasionnellement du public. « Une fois de plus, cela montre la négligence de la Région wallonne quant à l’entretien des bâtiments. Elle s’est débinée de ses responsabilités », clame Marko Sojic, président de la Société Astronomique de Liège (SAL), qui occupe gracieusement un local dans l’enceinte de l’édifice. Dalles apparentes, signalétique inexistante, mauvaise communication. Pendant plusieurs années, l’exécutif wallon n’a pas pris de mesures afin de sécuriser le site et prévenir toute intoxication. Alors la SAL y a poursuivi sa mission de vulgarisation scientifique en accueillant des familles lors de journées portes ouvertes.

A l’Observatoire de Cointe, de l’amiante à tous les étages

Retour en 2017. L’Observatoire de Cointe s’apprête à être mis en vente par l’exécutif wallon. A l’époque, les coûts de rénovation du site en décrépitude grimpent à 9 millions d’euros. Une charge financière trop lourde pour une Région qui peine à trouver des budgets. Simultanément, l’Institut Scientifique de Service Public (ISSEP) mène un inventaire sur l’éventuelle présence d’amiante sur le site.

Les résultats tombent le 15 janvier 2018. Le RTG, un local occupé par l’association d’astronomes amateurs, contient de nombreuses traces d’amiante chrysotile (le type d’amiante le plus répandu) dans les cloisons, les toitures, sur la façade mais aussi au sein des colles des dalles. Ces dernières présentent, selon le rapport, un « risque important » et nécessitent une intervention rapide.

L’amphithéâtre universitaire désaffecté au sein de l’Observatoire de Cointe (qui n’est pas la partie qui contient de l’amiante) © Belga Images

Absence de communication

Pourtant, la Région wallonne laisse le problème perdurer. Marko Sojic affirme que l’administration n’a jamais informé la Société Astronomique des résultats complets de l’expertise. Seule l’existence d’un danger au niveau des colles au sol semble avoir été communiquée aux occupants des lieux. Selon Marko Sojic, l’association a procédé elle-même à l’installation d’un roofing de fortune recouvrant partiellement les pavés dangereux. Le tout sans respecter les mesures drastiques de sécurité obligatoires pour ce type de travaux.

Ne connaissant pas l’étendue de l’amiante, les astronomes liégeois ont continué à perforer dans les cloisons, à déplacer du matériel sur des dalles mises à nues mais aussi à accueillir des familles pendant les traditionnelles journées portes ouvertes. Or, c’est lors de mouvements, de frottements, de passages répétés que les fibres d’amiante sont susceptibles de se libérer dans l’air. Et, par conséquent, d’être inhalées. Un danger qui augmente avec la dégradation du bâtiment.

Un risque mesuré mais pas inexistant

Alfred Bernard, toxicologue à l’UCLouvain, tient à rassurer. C’est avant tout l’exposition chronique à l’amiante qui multiplie les dangers de développer une maladie. « Si vous passez dans ce bâtiment seulement quelques heures de votre vie, vous n’aurez pas un risque significatif. » Pas de panique, donc, pour les visiteurs d’un jour.

Mais si le danger reste mesuré, il n’est pas non plus inexistant. « Le chrysotile, présent dans le bâtiment, provoque essentiellement de l’asbestose (NDLR : maladie pulmonaire grave liée à la respiration répétée de poussières d’amiante provoquant des essoufflements) ou des cancers bronchiques avec un risque amplifié chez les fumeurs », explique Alfred Bernard. Parmi les catégories les plus exposées, on retrouve les membres de la SAL, mais aussi les plus jeunes. « On ne dispose pas de données chez les enfants mais on suppose qu’ils seraient davantage à risque car plus proches des sols », précise le professeur louvaniste.

Amiante à l’Observatoire de Cointe: à qui la faute ?

Du côté du gouvernement wallon d’antan, l’ancienne Ministre de la Santé et de la Fonction publique de l’époque, Alda Greoli (Les Engagés) déclare ne pas se souvenir de ce rapport. « En cas d’alerte amiante, j’aurais agi », assure-t-elle. Son successeur sur ce dossier, l’hennuyer Jean-Luc Crucke (ex-MR, passé aux Engagés) affirme également ne pas avoir connaissance de cet inventaire.

Alors à qui la faute ? Nicolas Yernaux, porte-parole du SPW, nuance : « La question de l’amiante reste une responsabilité de l’employeur. Le bâtiment concerné n’étant pas, ou n’ayant pas été occupé par des travailleurs du SPW, il incombe aux occupants de déterminer si des travaux doivent être réalisés, au regard de l’usage fait du bâtiment ». Contacté, le cabinet de l’actuel Ministre wallon des Infrastructures Philippe Henry (Ecolo) n’a pas donné suite à nos demandes.

Recommandations ignorées

C’est pourtant la Région, toujours propriétaire de l’Observatoire de Cointe en 2018, qui a commandé ce rapport sur l’amiante dont les conclusions et les recommandations ne semblent pas avoir été portées à la connaissance de la SAL. Pour le professeur émérite Alfred Bernard, la procédure dans ce type de situation est claire : « Dans le cas où on détecte de l’amiante, soit on procède à des tests supplémentaires, soit on désamiante. Mais à tout le moins, il reste nécessaire d’informer. L’ISSEP se montre précis à ce sujet. Vous devez placer une étiquette sur les matériaux comportant de l’amiante. C’est élémentaire et ça ne coûte rien ».

L’Observatoire de Cointe à Liège. © Â© Heinz-Dieter Falkenstein

Des recommandations mentionnées dans l’étude mais ignorées par la Région wallonne. « Le rapport est un peu indigent. Pour s’assurer qu’il n’existe aucun risque, il aurait aussi fallu faire des mesures dans les poussières », complète Alfred Bernard. Sans ces prélèvements, difficile d’évaluer le danger réel encouru par les personnes présentes sur les lieux.

Une chose demeure certaine, le facteur amiante devra être pris en compte par les nouveaux propriétaires. Pour rappel, le 26 juin dernier, le ministre du Budget Adrien Dolimont (MR) cédait l’Observatoire au privé pour une somme de 1.625.000 euros. Dès le lendemain, trois associations (urbAgora, la SAL et les amis de l’Université de Liège), soucieuses de préserver le bâtiment dans le giron public, annonçaient contester en justice la vente. La procédure serait toujours en cours. Entre les batailles d’avocats, la promotion immobilière et les lourds travaux de désamiantage à prévoir, la saga de l’Observatoire de Cointe ne semble pas prête de s’essouffler.

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