Bientôt des « Active Clubs » en Wallonie? Au sud du pays, on doit la violence d’extrême droite à des marginaux, mais…
De mémoire d’experts, aucune faction wallonne n’opère comme un Active Club. Au sud du pays, on doit la violence d’extrême droite à des marginaux. Mais l’adhésion progressive de collectifs à la symbolique martiale questionne, d’autant qu’ils tissent des liens avec des groupes étrangers qui imitent le mouvement des Active Clubs.
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Dans l’arène sportive de l’extrême droite belge, Dries Van Langenhove, le fondateur du mouvement nationaliste flamand Schild & Vrienden, fait figure d’exception. Son asbl Weerbaar, qui entend «rendre la jeunesse flamande plus résiliente, mentalement et physiquement», n’a pas d’équivalent en Wallonie où la mouvance reste fragmentée et peine à se trouver des leaders charismatiques capables d’implanter durablement leurs idées. La plupart des groupes politiques légalistes et des groupuscules partisans restent éphémères.
«Les formations se font et se défont, sont rebaptisées, subissent des scissions et voient certains transfuges quitter leurs rangs pour rejoindre la concurrence. Cette transformation constante est un phénomène qui s’observe depuis longtemps. Le parti Chez Nous en est le dernier exemple, constate Benjamin Biard, politologue au Crisp, le Centre de recherche et d’information sociopolitique. Le militantisme antifasciste et l’application du cordon sanitaire médiatique réduisent fortement la visibilité des formations.»
L’exception «Nation»
«Le lien entre violence et extrême droite ne date pas d’hier, rappelle Manuel Abramowicz, cofondateur du journal en ligne spécialisé RésistanceS. Je pense notamment au Front de la jeunesse (FJ) et au Vlaamse Militanten Orde (VMO) flamand. Quand je parle de violence, je pense aux incendies de locaux d’immigrés et aux jets de cocktails Molotov, à l’attentat criminel contre le journal Pour en 1981 ou encore aux opérations qui ont opposé extrême droite et antifascistes. Le centre-ville de Bruxelles s’en souvient.»
La mouvance extrémiste change volontiers de visage mais elle conserve un même corpus idéologique. Ses registres d’actions et ses méthodes évoluent, son image de marque est lissée pour plus de respectabilité. «Aujourd’hui, on a affaire à ce qu’on appelle “le syndrome de la cravate” avec une extrême droite qui tente de se rendre fréquentable. Elle ne présente plus, ou très peu, d’opposition radicale et fait semblant de respecter les institutions», détaille Manuel Abramowicz.
A l’heure actuelle, Nation reste la seule formation qui compte, ou a compté, en son sein des individus radicaux ayant joué la carte électoraliste et celle des actions violentes. Nation a été fondé en 1999 sous l’impulsion de militants qui ont connu des déboires avec la justice pour des faits violents, dont Hervé Van Laethem, ancien sous-officier de l’armée et ex-leader du groupe néonazi L’Assaut. «Ces aspects sportifs, voire combatifs, ont parfois trouvé des échos chez Nation, notamment à travers l’organisation de ses “camps Hobbit”, avance Benjamin Biard. Ces camps visent à développer “un esprit de camaraderie” entre militants identitaires, notamment à travers des activités physiques (NDLR: Nation affirme toutefois ne pas savoir ce qu’est un Active Club).» Dans son ouvrage Les Mouvements nationalistes en Belgique. De 1950 à 2000 (Synthèse nationale, 2020), Van Laethem est d’ailleurs catégorique. Pour lui, «la rue appartient à celui qui y descend!».
La violence de rue de type insurrectionnel fait partie de l’ADN de Nation. Plusieurs condamnations et procédures judiciaires ont ponctué l’histoire du parti et de ses membres, pour «incitation à la violence, à la haine et à la discrimination raciale» mais aussi pour des actions violentes.
Instrumentalisation culturelle
Depuis sa création, Nation rêve de décrocher un mandat aux élections, sans succès. Encore aujourd’hui, le parti subit des remous et sa survie ne repose que sur l’engagement de quelques militants. Toutefois, depuis le 28 janvier, les membres de la section jeunesse du parti – Jeune Nation – s’activent pour renouveler le courant identitaire et nationaliste au sud du pays.
Ils ont récemment musclé leur propagande, en publiant des interviews d’artistes identitaires francophones sur leur compte Telegram. Après avoir tendu le micro à Kontingent, groupe musical militant depuis 1985 et passé par une phase skinhead, ils se sont entretenus avec les musiciens nationalistes d’Aliénation. «L’arène culturelle reste un combat majeur, confirme Benjamin Biard. Plus récemment, le nouveau parti Chez Nous a affiché sa proximité avec le rappeur français Millésime K. En Belgique francophone, les chansons font souvent écho à des paroles développées ou portées par Léon Degrelle dans la deuxième partie des années 1930, donc ouvertement rexistes.»
Le milieu musical d’extrême droite diffuse son idéologie auprès d’une population qui n’a pas nécessairement envie de s’engager politiquement. En Allemagne, le NPD l’a bien compris. Ce parti, qui a plusieurs fois frôlé l’interdiction dans le paysage partisan, invite des artistes dits «identitaires» à ses congrès depuis de nombreuses années. En Belgique, l’an dernier, la commune d’Ypres a annulé le festival Frontnacht à la dernière minute. Organisé la veille de l’IJzerwake, la grand-messe flamande de l’extrême droite, l’événement avait notamment invité des groupes liés à la mouvance néonazie.
Aujourd’hui, les actions violentes sont devenues anecdotiques. Certains skinheads, clubs de motards et hooligans légitiment parfois la violence et la propagande extrémiste. Il n’est pas rare d’entendre des cris de singe ou des chants antisémites dans les tribunes du stade à Bruges, ou de distinguer des croix celtiques en bordure de terrain au Beerschot. Il n’est pas rare non plus de remarquer des références identitaires ou nazies au sein des ultras du RWDM ou de Charleroi.
Pour Benjamin Biard, cette violence dans les stades, comme l’activisme de rue, s’exprime entre deux camps. «Dans les stades et à l’extérieur, il y a de la violence de la part d’individus d’extrême droite. Il y a aussi de la violence de la part des antifascistes, notamment au Standard ou à l’Union saint-gilloise. Les antifascistes y sont très mobilisés car ils perçoivent une certaine forme d’extrémisme de droite qui s’exprime aussi au sein de ces lieux.»
Nation et Bourguignons sont sur un bateau
Même s’ils restent marginaux, quelques groupes d’action wallons commencent à adopter des dynamiques semblables aux déclinaisons flamandes des Active Clubs. Installés en Belgique depuis 2020, Les Bourguignons de Belgique représentent la branche belge du groupe français Les Braves. Cette fraternité belgicaine convoque un imaginaire païen et suprémaciste, ainsi qu’une idéologie de la natalité, thème récurrent de l’extrême droite. Chaque nouvelle naissance fait l’objet d’une annonce en grande pompe sur toutes les plateformes du mouvement.
A côté des camps Hobbits de Nation, les Bourguignons de Belgique embrassent certains codes édictés par Robert Rundo, cofondateur du mouvement antisémite Rise above: placardage de stickers, vidéos aux messages «codés», drapeaux déployés lors de randonnées en pleine nature, activités physiques. Pour convaincre de nouveaux adhérents, le programme détaillé sur le site des Braves annonce même des séances de sports de combat: «Sportif en herbe? Vous pourrez participer à des séances d’entraînement à divers sports de combat dispensés par des hommes d’expérience dans un cadre sécurisé.»
Le groupuscule multiplie surtout les références nationalistes et raciales. Une photo à l’effigie du roi Léopold II accompagnée d’une inscription «Rex» en témoigne. Si le mot signifie «roi» en latin, cette allusion à peine masquée au Rexisme de Léon Degrelle ne passe pas inaperçue. Le collectif a d’ailleurs fait de la croix de Bourgogne son drapeau – même étendard que le parti fasciste. Sur le compte Telegram Ouest Casual, on voit que les couleurs des Bourguignons et de Nation ont été brandies sur un pont à Bouillon, en juin 2022, pour «rendre un hommage à Léon Degrelle». Les banderoles accompagnaient un portrait géant du «Führer wallon» et une plaque commémorative marquée du texte «un immense regret».
L’analyse de leurs réseaux laisse transparaître une pensée idéologique claire: ils arrachent les stickers de lutte contre le racisme et manifestent devant un centre pour réfugiés à Aywaille. Sur Instagram, ils commentent: «Même dans les endroits les plus beaux de la Belgique, ils trouvent le moyen… La Belgique est pleine, nous devons diminuer le nombre d’extraeuropéens, pas l’augmenter. Bref, un jour, tout ceci prendra fin, mes frères, en attendant, on s’amuse un peu.»
«Les Bourguignons, Nation ou Voorpost (NDLR: le groupe d’action nationaliste du Vlaams Belang) s’inspirent de la théorie du “soldat politique” de Pierre Vial, analyse Manuel Abramowicz. Vial est un historien militant qui a fondé de nombreuses chapelles liées à la mouvance nationale-révolutionnaire. Il adhère à un racisme biologique, la loi du sang, et défend une Europe des ethnies et non des nations.» Sa théorie rappelle l’accélérationnisme puisque «les partisans nationalistes doivent être entraînés psychologiquement, intellectuellement et physiquement pour mener un combat culturel et au combat politique».
Réseautage international
A l’image de l’extrême droite wallonne, une certaine porosité caractérise les Bourguignons. D., un ancien cadre de Nation et administrateur de leur page Facebook, apparaît régulièrement à visage découvert dans les communications. Dans plusieurs d’entre elles, ce trentenaire habitué du camp Hobbit de Nation fait un signe OK de la main, référence à la mouvance suprémaciste blanche. Sur son compte Instagram personnel, des séances de sport côtoient des croix celtiques ou une citation de Magda Goebbels, femme du ministre de la Propagande de l’Allemagne nazie. L’homme avait déjà été épinglé par RésistanceS lorsqu’il avait affiché une photo de lui en train de tirer au fusil d’assaut, début 2022.
De nombreux signes laissent penser que Les Bourguignons de Belgique s’inspirent de la communication des Active Clubs: un membre opte pour une photo de profil aux allures martiales et Les Bourguignons cultivent les contacts chez nous et à l’étranger. Ils étaient déjà aux côtés de Nation lors des manifestations contre le pass sanitaire. En 2022, ils se sont aussi déplacés à Rungis (France) pour réseauter au sein de la droite catholique traditionaliste.
Un cap a cependant été franchi le 18 novembre 2023, lorsqu’ils ont noué des contacts, à Bruxelles, avec le groupuscule nationaliste néerlandais Diest Collectief en vue de réaliser des actions conjointes. Certains membres de cet Active Club néerlandais font ouvertement le salut hitlérien et sont liés au mouvement antisémite et néonazi hongrois Légió Hungária, coorganisateurs de l’European Fight Night, le tournoi de MMA qui rassemble des nationalistes européens radicaux à Budapest. Alors que la nébuleuse s’étoffe, reste à voir si Nation et Les Bourguignons résisteront aux effets du temps.
Cette enquête a été réalisée avec la participation du collectif d’investigation Bellingcat, de Lotte Lambrecht et Brecht Castel (Knack), ainsi que Samuel Verschoor et Or Goldenberg (De Groene Amsterdammer).
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