droits d'enregistrement
La réduction des droits d’enregistrement en Wallonie pourrait avoir un effet bénéfique sur l’immobilier dans les centres-villes, ou les zones lésées par des revenus cadastraux trop élevés. © BELGA/BELPRESS

Baisse des droits d’enregistrement: sera-t-il plus intéressant d’acheter en ville?

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Le gouvernement wallon promet d’abaisser à 3% le taux appliqué pour le paiement des droits d’enregistrement, lors de l’achat d’une habitation propre et unique. Parmi les conséquences de la mesure, il est possible que les acquisitions en ville, où les revenus cadastraux sont souvent anormalement élevés, gagnent en intérêt.

C’est une mesure-phare de la coalition tenant désormais les rênes de la Région wallonne. A partir du 1er janvier 2025, les droits d’enregistrement seront abaissés à 3% lors de l’achat d’une habitation propre et unique. C’est moins que les 12,5% en vigueur, mais aussi que les 6% d’application pour l’acquisition d’une habitation dite modeste.

L’objectif consiste bien à faciliter l’acquisition d’un premier logement, un Graal dans l’esprit de bien des Belges. L’opposition n’a pas manqué de relever quelques effets pervers, dus à la disparition concomitante de réductions, abattements et autres avantages fiscaux. Le système gagnera en lisibilité mais, s’il ne comporte pas de plafonds, bénéficiera surtout aux acquéreurs les plus nantis.

Une habitation modeste n’est pas toujours modeste

Au-delà de ces appréciations politiques, la baisse des droits d’enregistrement pourrait bien produire un autre effet, voire corriger une injustice, indirectement. Puisque le taux est ramené à 3% pour tout le monde, il n’y a plus lieu d’opérer une distinction entre les «habitations modestes» et les autres au moment de l’acquittement des droits d’enregistrement. Or, cette distinction repose principalement sur la valeur du revenu cadastral (RC). Pour un immeuble bâti, le taux réduit de 6% est appliqué lorsque le RC ne dépasse pas 745 euros, ou davantage pour les familles nombreuses.

L’ennui est que, comme le souligne Renaud Grégoire, porte-parole de la Fédération royale du notariat belge, «la notion de RC est dépassée». En de nombreux endroits, il ne colle plus du tout à la valeur actuelle du bien.

Indexés depuis le début des années nonante, les RC se basent toujours sur les valeurs établies en 1975, il y a donc un demi-siècle. Leur péréquation est une des grandes arlésiennes de la politique belge.

«Il correspond à la valeur locative nette qu’aurait théoriquement pu espérer un propriétaire de son bien, mais en 1975, rappelle Marc Bourgeois, professeur de droit fiscal à l’ULiège. Il y a un problème de valeur absolue, mais on peut s’y adapter avec les taux appliqués. Il y a aussi un problème de valeur relative. Un immeuble qui rapportait un loyer élevé en 1975 ne le ferait plus nécessairement aujourd’hui. A l’inverse, certains quartiers peu demandés à l’époque sont entretemps devenus très attractifs.» C’est typiquement l’exemple de l’ancienne fermette située en périphérie ou à la campagne, dont le RC sera faible, s’opposant à la petite maison de ville dans un quartier populaire, dont le RC sera anormalement élevé. L’une est considérée comme une maison modeste, sans l’être intrinsèquement, et l’autre nécessitera le paiement de droits d’enregistrements à 12,5%, sans que cela semble justifié.

«Cela ne vaut pas pour les constructions dont le RC a été fixé après 1975, naturellement. Par contre, si vous faites des travaux qui accroissent le confort de votre maison, vous êtes censés les déclarer, ce qui peut augmenter le RC. Mais honnêtement, pas grand monde ne l’a fait au cours des 50 dernières années», poursuit Renaud Grégoire.

La cote du quartier ou de la zone d’habitat a changé au fil du temps, souvent au détriment des villes et des centres-villes, leurs facilités et services, qui apparaissaient comme hautement valorisables. A une époque où, pour des raisons environnementales, économiques, d’aménagement du territoire, il convient de densifier l’habitat dans les centralités plutôt que de prôner l’étalement urbain, ce désavantage fiscal (qui persistera au niveau du précompte immobilier) dessert les villes.

La notion d’habitation modeste perdant de son intérêt, il est possible que les villes soient un peu moins lésées. Si tout le monde paie 3%, en milieu urbain comme en bord d’autoroute, certains acquéreurs seront peut-être tentés par la ville.

La fin d’une injustice?

«Le premier critère, pour les jeunes acquéreurs, est bien entendu le bien en lui-même, sa situation, etc., témoigne Renaud Grégoire. Mais juste derrière arrivent les questions de moyens.» Alors qu’au moment de s’engager dans un crédit hypothécaire, vous ne pouvez plus compter sur les banques pour financer les frais d’achat, le fait que votre habitation soit qualifiée de modeste ou non compte. «Payer 15.000 ou 30.000 euros, ça fait une belle différence. Il n’est pas rare de croiser des acheteurs qui, dans ces conditions, optent pour la périphérie, ce qui les conduira à faire plus de déplacements, acheter deux voitures, etc. Ca n’a plus beaucoup de sens…»

«C’est loin d’être marginal, puisque le taux réduit de 6% couvre à peu près la moitié des acquisitions en Wallonie, estime Marc Bourgeois. La qualification d’habitation modeste est très arbitraire, la supprimer serait donc une bonne chose. A l’inverse, on pourrait aussi arguer que le taux de 3% s’appliquera sans plafond, sauf décision contraire, ce qui n’est pas très progressif non plus comme mesure fiscale.»

Le fait qu’un bien en milieu urbain soit plus lourdement taxé qu’en périphérie constitue «une aberration», reconnait Jean-Marie Halleux, professeur au service de géographie économique de l’ULiège. Mais, nuance-t-il, la disparition de ce désavantage sur les droits d’enregistrement «ne devrait pas avoir d’effet bouleversant sur la densification de l’habitat». Tout au plus, la baisse des droits d’enregistrement pourra fluidifier le marché, donc favoriser la mobilité des gens au cours de leur vie. Il doute par contre de l’efficacité de la mesure sur l’accessibilité au logement, «les marchés étant principalement dictés par les niveaux de demande. Il ne suffit pas d’une mesure fiscale, les choses sont quand même plus compliquées que cela…»

«En Europe, rares sont les pays où la base fiscale correspond vraiment à la valeur du bien. Mais la Belgique est quand même une mauvaise élève, avec ses valeurs repères datant d’un demi-siècle, poursuit Jean-Marie Halleux. D’autres systèmes pourraient exister et être plus justes, mais ce n’est pas très porteur politiquement. Je pense au système du split rate, le taux scindé, avec lequel on distingue deux choses: le taux foncier et le taux lié à la construction à proprement parler.»

Yves Hanin, urbaniste à l’UCLouvain, nuance lui aussi l’effet bénéfique sur les centres-villes. «La mesure s’inscrit dans une tradition politique en Belgique: le soutien à l’acquisition, cette idée que la maison est bon placement. Cela reste une clé de voûte de la politique du logement», sans qu’un lien ne soit réellement établi, en toute transversalité, avec la politique d’aménagement du territoire.

De ce point de vue, la fin de l’injustice fiscale est presqu’accidentelle, comme un effet collatéral de l’abaissement des droits d’enregistrement plutôt que le fruit d’une volonté politique.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire