Pierre Havaux
Vent du Nord de Pierre Havaux: Harry Potter, drôle d’ami de la nature flamande
Comme par magie, il s’est pointé en Flandre début novembre pour y poser ses valises, en principe jusqu’à fin février. Harry Potter au plat pays pour «A forbidden forest experience» – «une expérience en forêt interdite» –, c’est tout un événement qui débarque pour la première fois sur le continent après avoir fait fureur au Royaume-Uni avec quelque 200 000 visiteurs au compteur.
Voilà qui fait un peu tache à l’heure des appels solennels à moins martyriser la nature.
Il fallait bien dénicher un cadre approprié au monde fantastique des sorciers, que petits et grands sont invités à savourer dans l’obscurité. C’est dans le domaine boisé de Groenenberg, dans l’entité de Leeuw-Saint-Pierre, non loin de Bruxelles, qu’Harry Potter et son univers ont pris leurs quartiers, avec l’aimable autorisation, quoique sous conditions, du propriétaire des lieux, l’agence régionale de la nature et des forêts.
Mais n’est-il pas étrange d’installer pareil campement dans un beau parc naturel de 45 hectares, «oasis de silence» s’il faut en croire les services touristiques du Brabant flamand? C’est qu’il faut sortir le grand jeu pour émerveiller le client. Dérouler des kilomètres de câbles, déployer force éclairage et sono pour assurer les effets spéciaux. Neuf générateurs au diesel branchés 24 heures sur 24 ne sont pas de trop pour alimenter toute une machinerie chaque soir jusqu’à minuit.
C’est donc «l’oasis de silence» qui en prend un coup et l’Agentschap voor Natuur en Bos qui en prend pour son grade. La présence du sorcier à lunettes n’enchante guère riverains et usagers du domaine qui s’évertuent à le préserver d’une trop grande affluence, pas plus que la vaste communauté des amis de la nature qui juge pareil spectacle son et lumière hautement déplacé dans un écrin de verdure inscrit à l’inventaire du patrimoine flamand et ainsi mis à disposition par un organe public voué à la préservation de la biodiversité.
Voilà qui fait un peu tache à l’heure des professions de foi en faveur du climat, des appels solennels à se montrer écoresponsable et à moins martyriser Dame Nature.
L’ incompréhension et la vive irritation sont remontées par voie parlementaire jusqu’aux oreilles de la ministre en charge de l’Environnement, Zuhal Demir (N-VA), tenue dans l’ignorance de cette «exception» en faveur de Mister Potter à propos de laquelle elle livre un avis qu’on n’ a pas jugé bon de lui demander: l’Agence régionale au rapport, l’affaire sera tirée au clair et des leçons retenues. «Si le dossier était parvenu à mon cabinet, je ne l’aurais pas accepté en l’état, c’est très clair. En matière de prix, j’aurais en tout cas exigé plus que ce que mes services ont convenu.» Car c’est bien là ce qui achève de stupéfier la ministre: à cinquante euros l’entrée au tarif adulte, l’organisateur de l’événement peut miser sur une coquette recette qu’il lui faudra amputer de la modique contribution de cinquante mille euros + 0,75 euro par visiteur à verser à l’agence régionale, montant de toute évidence insuffisant pour compenser les coûts liés aux désagréments occasionnés. «C’est scandaleusement peu. Les pouvoirs publics pourraient facilement se montrer un brin commerciaux mais ne sont pas encore assez futés pour cela», se désole Zuhal Demir. Au moins réclamer une juste part du gâteau, c’est pas sorcier, tout de même.
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