Jan Jambon réclame une diplomatie pleine et entière pour la Flandre: « Il peut toujours rêver »
La Flandre a ses représentants diplomatiques. Or, l’appellation n’est pas légale. Le fédéral le fait savoir au ministre-président flamand. Qui persiste.
La Flandre aspire à rayonner. Partout dans le monde, de préférence sous ses propres couleurs. Mais il se fait qu’il existe encore une Belgique fédérale, toujours pas d’humeur à lui offrir ce plaisir en lui reconnaissant une force de frappe diplomatique digne de la soif de reconnaissance et de visibilité que le nord du pays exprimera une fois de plus ce 11 juillet, jour de fête «nationale».
Le bras de fer qui s’éternise, est aussi affaire de titre, de statut, de rang dans l’ordre protocolaire. Jan Jambon (N-VA), ministre-président, y est sensible. Le chef du gouvernement flamand tient en cela à faire honneur à son portefeuille de ministre des Affaires étrangères, qui n’a pas d’équivalent wallon ou bruxellois. Il est plus que temps, à ses yeux, d’extraire les acteurs diplomatiques flamands de leur humble condition de représentants d’une Région pour en faire les égaux des serviteurs de la diplomatie fédérale. Leur faire gagner du galon ne se décrète pas d’un trait de plume. Mais impossible n’est pas Jambon. Qui a pris sur lui de convertir officiellement les «délégués généraux du gouvernement flamand» en «représentants diplomatiques de Flandre». L’appellation en jette assurément, voilà pourquoi le pouvoir fédéral a beau courtoisement prier le ministre-président d’en revenir à la seule terminologie juridiquement fondée et admise, Jan Jambon tient bon. Oppose un «je maintiendrai» qui fait la devise du royaume des Pays-Bas. Chacun sa bravade, chacun son coup de force. Après tout, les francophones se sont bien autoproclamés membres d’une Fédération Wallonie-Bruxelles à la légitimité constitutionnellement boiteuse.
Une diplomatie ne peut jamais représenter qu’un Etat. Et cet Etat est belge.
L’incident diplomatique belgo-flamand n’est à ce jour pas clos. Jean De Ruyt, ancien représentant permanent de la Belgique auprès de l’Union européenne, lui trouve «une dimension quelque peu pathétique. Depuis le début de son gouvernement, Jan Jambon fait semblant de créer un corps diplomatique, sans aucune influence concrète.»
Cette façon de vouloir se donner des grands airs trahit une réelle impatience à pouvoir, sinon jouer, du moins s’approcher un peu plus de la cour des grands de ce monde. Or, cette furieuse envie flamande de s’élever dans le concert des nations reste contrariée par un modus vivendi d’un autre âge, scellé dans des accords de coopération entre niveaux de pouvoir qui remontent à 1994 et 1995. Depuis, Régions et Communautés ont grandi, pris de l’envergure sans que la mue ne soit encore formellement actée dans les usages soigneusement codifiés de l’art diplomatique. La Flandre n’y voit plus qu’entraves inutiles. Karl Vanlouwe, député régional et spécialiste de la matière à la N-VA, a le sens de la formule pour planter le décor: «La Flandre se passe volontiers du parapluie belge là où d’autres entités fédérées aiment toujours s’y abriter.»
Question puérile d’étiquette, querelle d’ego mal placés? Pas seulement. Il y va des privilèges, notamment matériels, attachés au statut diplomatique. Il y va aussi de l’accès à certaines informations privilégiées, à des réseaux informationnels ou à des invitations à des tours de table réservés à la «crème» de la diplomatie. Les acteurs de la politique étrangère flamande peinent ainsi à trouver un vrai confort sous l’incontournable pavillon noir-jaune-rouge. Et quand leurs patrons ont l’occasion de s’épancher, comme ce fut le cas devant un parlement flamand occupé à refaçonner la Belgique au sein d’un groupe de travail, c’est pour confier la difficulté concrète de vivre un statut de second rang. «Heureusement, nous sommes plus avancés qu’autrefois, lorsque nous étions insérés dans la liste diplomatique juste après le chauffeur et la femme d’ouvrage. Il n’empêche que l’on use toujours du “protocole” comme argument pour rendre impossible un passage à l’échelon supérieur», rappelait ainsi la CEO de Flanders Investment & Trade, le bras armé du monde économique flamand à l’étranger, pour mieux souligner ce qui peut contrarier la bonne marche du business dans le monde. «Un nouvel ambassadeur belge, invité par une entreprise qui a investi en Belgique, est reçu avec tous les égards mais oublie d’emmener avec lui le représentant économique flamand. Ce qui, sans être un drame, affaiblit sa position.»
Il y a plus agréable comme sensation. «Nous sommes un module flamand semi-autonome de la représentation permanente belge», résumait pour sa part le chef de la représentation diplomatique flamande auprès de l’Union européenne, Axel Buyse. Et de citer, pour l’anecdote, le «douloureux» cas de figure de cet attaché flamand en charge du Transport qui s’est vu refuser l’accès à la réunion d’un conseil européen exclusivement consacré aux ports, au profit d’un représentant fédéral mal outillé pour défendre les intérêts portuaires flamands.
Ce n’est pas que l’entente ne soit pas cordiale avec l’échelon fédéral. Vue de Flandre, elle est même qualifiée d’excellente dans 95% des cas. Elle a d’ailleurs franchi un cap apprécié à sa juste valeur au nord du pays: la première admission d’un représentant flamand – et d’un wallon – au sein d’une délégation belge à la table d’un Conseil européen, en février dernier. Jan Jambon n’en disconvient d’ailleurs pas: «Dans de très nombreux cas, je constate que la coopération entre les postes fédéraux et flamands est correcte et constructive, empreinte de respect mutuel. Mais en certains lieux, elle est beaucoup plus pénible, surtout pour des motifs de relations interpersonnelles plus difficiles.» Cette soumission aux humeurs de la «grande» diplomatie belge soucieuse aussi de défendre son pré carré, c’est plus que Jan Jambon peut encore supporter. Le ministre-président veut dépasser le stade du pragmatisme et de la bonne ou mauvaise volonté. Il réclame pour la Flandre une diplomatie pleine et entière, portée par des représentants reconnus comme tels et qu’il a, de ce fait, unilatéralement proclamés comme tels. Il peut toujours rêver, tranche l’ancien diplomate Jean De Ruyt: «Une diplomatie ne peut jamais repré- senter qu’un Etat. Et cet Etat est belge.» Et si c’était là, le vrai problème?
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