Huit Bruxellois sur 10 (81%) déclaraient «bien» ou «parfaitement» maîtriser le français en 2024, contre 95% en 2001. © Getty Images

Voici le top 10 des langues les plus parlées à Bruxelles: pourquoi le français est en net recul (analyse)

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

Plus d’une centaine de langues sont quotidiennement parlées à Bruxelles, devenue une véritable tour de Babel. Si le français reste la langue la plus populaire, son usage diminue depuis une quinzaine d’années.

Une prise de bec en portugais observée dans le métro, une addition commandée en arabe dans le resto du coin, trois mots d’italien saisis au détour d’un chantier: Bruxelles vibre chaque jour par sa diversité culturelle.

Le dernier baromètre linguistique de la VUB, paru en mai dernier, confirme le caractère cosmopolite de la capitale belge et européenne. Selon les données compilées par l’enquête, au moins 104 langues y sont couramment parlées. Un nombre en augmentation quasi-constante depuis 2001, date du premier recensement effectué par l’université bruxelloise. A l’époque, seules 72 langues avaient été dénombrées, avant de passer à 96 en 2007, 106 en 2013 puis 96 en 2018. «Cela indique clairement que la base culturelle et linguistique de Bruxelles continue de s’élargir, et ce, de manière rapide», observe Mathis Saeys, chercheur à la VUB et auteur de l’étude.

Cette évaluation reste toutefois largement sous-estimée, car réalisée sur un échantillon de 1627 répondants. Loin du 1,2 million d’habitants que compte la métropole. Le nombre de nationalités qui se côtoient chaque jour à Bruxelles est d’ailleurs, lui, estimé à 180. «Cette année, deux langues européennes ne figurent par exemple pas dans le baromètre, contrairement aux dernières éditions, note Mathis Saeys. Cela ne veut évidemment pas dire qu’elles ne sont plus parlées dans la capitale, mais simplement qu’elles n’ont pas pu être captées par l’échantillon.»

Un regain du néerlandais

Dans le top 10 des langues les plus couramment employées, le trio de tête est, sans surprise, dominé par le français, l’anglais et le néerlandais. Ainsi, plus de 8 Bruxellois sur 10 déclarent «bien» ou «parfaitement» maîtriser la langue de Molière, près d’un sur deux celle de Shakespeare et plus d’un sur cinq celle de Vondel. Malgré l’ultra-domination du français, son usage ne cesse de régresser et a franchi un seuil jamais atteint auparavant. De 95,5% en 2001, il est passé à 88,5% en 2013, puis à 87,1% en 2018 et enfin à 81% en 2024. «La diversité linguistique grandissante a des effets collatéraux sur la maîtrise du français, plus que sur les autres langues, souligne Mathis Saeys. Son usage change: il reste toujours très utilisé au travail et dans les administrations, mais pour beaucoup de Bruxellois, ce n’est plus leur langue maternelle.»

L’anglais continue par contre sa progression exponentielle, bondissant de 33% en 2001 à 46,9% en 2024. Un peu à la peine ces dernières années, le néerlandais connaît un regain de maîtrise dans la capitale, passant de 16,3% en 2018 à 22,3% en 2024. Une augmentation partiellement justifiée par le nombre de Flamands ayant récemment déménagé à Bruxelles (notamment dans les quartiers Nords), explique Mathis Saeys. «Mais cette hausse doit surtout au nombre important de jeunes adultes bruxellois qui ont suivi leur enseignement en néerlandais, conscients de l’importance de la langue sur le marché du travail », précise le chercheur. Car ce n’est pas sur l’enseignement des langues dans les écoles francophones qu’il faut miser: seuls 6,5 % des Bruxellois qui en sont diplômés disent maîtriser le néerlandais, contre à peine 4,3% de Wallons.

Des Bruxellois multilingues

Globalement, le top 10 est resté relativement stable ces dernières années, à l’exception de quelques apparitions et disparitions. Ainsi, l’espagnol, l’arabe, l’italien, l’allemand et le portugais restent largement pratiqués dans la métropole depuis vingt ans. Une première langue de l’est a toutefois fait son entrée dans le classement en 2018: le roumain. Aujourd’hui parlée par 2,1% de Bruxellois, son usage croissant va de pair avec une arrivée massive de la communauté roumaine dans la capitale, concomitante à l’entrée du pays dans l’Union européenne en 2007. «Les Roumains sont d’ailleurs aujourd’hui la deuxième nationalité la plus représentée à Bruxelles, grâce à une migration en chaîne notamment via les cercles familiaux et professionnels», rappelle Mathis Saeys.

A contrario, deux langues ont récemment disparu du top 10: le lingala (utilisé majoritairement par la communauté congolaise) et l’amazigh (le berbère). «Le lingala reste couramment parlé (1,4%) et a simplement perdu sa place au profit du roumain, nuance le chercheur. Concernant l’amazigh, il est parfois délaissé par les répondants, qui préfèrent affimer qu’ils maîtrisent plutôt l’arabe, considéré comme plus prestigieux. »

Enfin, au-delà de la diversité linguistique, le multilinguisme ne cesse de croître au sein de la population. Le nombre de Bruxellois capables de maîtriser à la fois le français et une autre langue (hors néerlandais) a notamment doublé en 23 ans, passant de 9,2% en 2001 à 18% aujourd’hui. «On assiste à un véritable glissement du monolinguisme vers le multilinguisme à Bruxelles», conclut Mathis Saeys.

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