Une « hémorragie migratoire » à Bruxelles ? Pourquoi la population de la capitale devrait chuter (infographies)
Entre 2023 et 2070, le nombre d’habitants à Bruxelles chuterait de 4%, selon les perspectives démographiques du Bureau fédéral du Plan. Une tendance à la baisse qui s’explique notamment par un solde migratoire interne toujours plus négatif. Décryptage.
Changement de cap. Après des années de croissance constante, la balance démographique va s’inverser à Bruxelles. Selon les perspectives du Bureau fédéral du Plan publiées mardi, la capitale devrait connaître une baisse de 4% de sa population en moins de 50 ans, passant de 1,240 million d’habitants en 2023 à 1,195 million en 2070.
Concrètement, la population de la Région de Bruxelles-Capitale devrait encore connaître une croissance très faible jusqu’en 2040, à hauteur d’environ 500 habitants supplémentaires par an en moyenne. Place ensuite à la décroissance, avec une perte moyenne annuelle d’environ 1900 résidents jusqu’en 2070. Cette tendance à la baisse est assez inédite pour Bruxelles : il faut en effet remonter à 1994 pour observer pareil phénomène. Elle est d’autant plus frappante que la population belge dans son ensemble est, elle, amenée à continuer de croître dans le futur, avec une hausse prévue de 10% d’ici à 2070 (+17% en Flandre et +2% en Wallonie).
Exode (massif) vers la Flandre
Comment expliquer cette dynamique propre à la capitale ? En règle générale, trois composantes déterminent l’évolution démographique d’une région donnée : son bilan naturel (la différence entre les naissances et les décès), son bilan migratoire externe (la différence entre les émigrations et les immigrations vers/depuis l’étranger) et son bilan migratoire interne (la différence entre les émigrations et les immigrations à l’intérieur du pays).
À Bruxelles, c’est surtout ce troisième facteur qui justifie le tassement programmé de la population. «La Région de Bruxelles-Capitale se caractérise par un solde migratoire interne négatif depuis plusieurs années », observe Thierry Eggerickx, démographe à l’UCLouvain. Autrement dit, chaque année, Bruxelles perd des habitants au profit des deux autres régions du pays. La Flandre en sort particulièrement gagnante. Selon les prévisions du Bureau du Plan, cette tendance devrait s’amplifier à l’avenir. « Alors qu’entre 2005 et 2018, ce solde oscillait entre -12.000 et -13.000, il a atteint les -18.000 en 2023 et serait de l’ordre des -20.000 dans les prochaines décennies », précise Thierry Eggerickx. À partir de 2040, ce déficit migratoire interne ne serait plus (suffisamment) compensé par les deux autres facteurs, à savoir le bilan naturel et le solde migratoire international (lire plus loin), conduisant ainsi à une baisse générale de la population.
Crise du logement
Cette « hémorragie migratoire » interne est-elle le reflet d’un mal-être bruxellois ? « Cette tendance est commune à de nombreuses grandes villes et capitales : ce n’est pas une spécificité bruxelloise », recadre d’emblée Antoine de Borman, directeur général de perspective.brussels, le centre d’expertise régional de référence pour le développement régional et territorial bruxellois. Pour Thierry Eggerickx, deux analyses sont possibles. « On pourrait interpréter les choses négativement, en se disant que cette tendance traduit un certain rejet de la ville, expose le démographe. Mais je crois plutôt que cette migration est simplement liée au cycle des âges de la vie. » Alors qu’entre 18 et 25 ans, les jeunes optent pour une « migration d’émancipation » vers la capitale, la tendance s’inverse une fois la stabilité professionnelle et familiale acquise. D’autres choix résidentiels s’opèrent vers la trentaine, plutôt tournés hors de la ville. « Ce processus de périurbanisation s’étend dans le temps : de plus en plus de Bruxellois quittent la ville pour s’installer en périphérie, notamment dans les deux Brabants. »
Un phénomène encore accentué par un marché immobilier et locatif devenu quasi inabordable dans la capitale. Début février, l’OCDE s’alarmait d’ailleurs de la crise « aiguë » du logement à Bruxelles. Pour Antoine de Borman, la Région doit pourvoir répondre à cet enjeu et ainsi déjouer les prévisions. « Nous pouvons agir au niveau de la stratégie régionale, insiste le directeur de perspective.brussels. C’est à nous de développer un cadre de vie attractif et de proposer des habitations qui répondent aux besoins des Bruxellois. Et si tel est le cas, il est probable que ce solde négatif diminue. »
Population: des projections à prendre avec des pincettes
Le CEO de perspective.brussels rappelle d’ailleurs que les prévisions du Bureau fédéral du Plan ne sont que des projections, dépendantes d’un tas de facteurs imprévisibles. « Baser toute notre stratégie régionale sur ces hypothèses serait dès lors dangereux. »
« Chaque année, Bruxelles perd des habitants au profit des deux autres régions du pays. La Flandre en sort particulièrement gagnante. »
Les flux migratoires internationaux sont, par exemple, relativement difficiles à anticiper. « En 2022, le taux d’immigration s’est révélé bien plus élevé que prévu, en raison de l’afflux important de réfugiés ukrainiens, contribuant ainsi à une explosion démographique à Bruxelles, rappelle Antoine de Borman. Certes, cet évènement était ponctuel et inédit, mais il démontre toute la fragilité de telles projections. » Un constat partagé par Thierry Eggerickx. « D’une année à l’autre, la courbe de migration internationale présente des oscillations très importantes, bien plus marquées que celle du bilan naturel ou du solde migratoire interne, car elle reste très influencée par la conjoncture internationale. »
Et dans les autres régions ?
Alors que les prévisions du Bureau fédéral du Plan tablent sur une décroissance démographique à Bruxelles à l’horizon 2040, le constat est différent pour la Wallonie et la Flandre.
Au sud du pays, la croissance du nombre d’habitants devrait rester positive dans les trente prochaines années, mais tendre progressivement vers zéro. À partir de la fin des années 2040, le solde naturel, devenu très négatif, engendrerait ainsi une croissance négative de la population wallonne. In fine, en 2070, la Wallonie devrait compter près de 3,8 millions d’habitants, soit une augmentation de 2% par rapport à 2023 (+ 74 000 habitants).
Au nord du pays, la croissance de la population devrait rester soutenue. La population augmenterait en moyenne de 24 000 habitants par an sur la période 2023-2070, pour atteindre les 7,9 millions d’habitants en 2070, soit une augmentation de 17% par rapport à 2023 (+ 1,1 million d’habitants). Le solde migratoire interne devient le facteur principal de cette croissance.
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