Pourquoi vous verrez moins de panneaux publicitaires à l’avenir dans Bruxelles
A l’avenir, les trottoirs bruxellois seront moins encombrés de panneaux publicitaires. Le nouveau règlement régional d’urbanisme prévoit de réduire leur nombre de moitié.
Ils ont passé une partie de la nuit à ouvrir discrètement des panneaux publicitaires pour en enlever les affiches ou affubler les corps semi-nus qui y étaient exposés de moustaches et de messages rebelles. Le matin suivant, peu frais mais contents, ils ont apposé leur signature au bas de la pétition lancée par le collectif Bruxelles sans pub pour réclamer la disparition de ces «réclames» dans l’espace public. Comme un bon millier d’autres citoyens bruxellois.
«Parce que la pub envahit les rues et les esprits, parce qu’elle nuit à l’environnement et à la santé, parce qu’elle est une interface du système capitaliste et de la société de consommation, il est temps de passer à autre chose», argumentent ces activistes. Non sans rappeler que la consommation électrique d’un panneau publicitaire équivaut à un peu plus de deux tiers de celle d’un ménage moyen durant toute une année, soit environ, pour un écran de 75 pouces, 2 600 kWh/an. La ville de São Paulo, au Brésil, en sait quelque chose. En démontant ses huit mille panneaux publicitaires, en 2007, elle a économisé, assure-t-elle, quelque 700 millions de kWh chaque année. Il ne faut pas en convaincre Camille, porte- parole de Bruxelles sans pub: «Les actions directes contre les publicités continueront», avertit-il.
« La pub envahit les rues et les esprits, elle nuit à l’environnement et à la santé, il est temps de passer à autre chose. »
A l’avenir, il sera toutefois moins facile à ces militants de trouver à Bruxelles des panneaux publicitaires auxquels s’attaquer. Car le nouveau règlement régional d’urbanisme, communément appelé RRU, prévoit de réduire sévèrement leur nombre en Région de Bruxelles-Capitale. Approuvé par le gouvernement bruxellois en décembre dernier, le texte doit encore faire l’objet d’une deuxième lecture en février, puis d’une troisième, pour une entrée en vigueur en 2025. Mais sur les principes de fond, l’exécutif bruxellois ne reviendra pas en arrière. Le RRU nouvelle mouture sera présenté en commission du développement territorial du parlement bruxellois, le 4 mars.
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Moins de panneaux publicitaires à Bruxelles: « L’espace public est particulièrement encombré »
«L’espace public est particulièrement encombré, argumente-t-on au cabinet de la secrétaire d’Etat à l’urbanisme, Ans Persoons (Vooruit). On se bat pour trouver de la place et la disparition d’une partie de ces dispositifs nous permettra d’en récupérer.» Cet élagage contribuera, dans la foulée, à améliorer la sécurité et la mobilité sur les trottoirs, en ce compris pour les parents avec landau et les personnes porteuses de handicap, mais aussi la visibilité de tous les usagers de la route. Sans parler du regain de beauté de la ville, ainsi débarrassée de ses sucettes publicitaires… A terme, le nouveau RRU réduira au moins de moitié le troupeau des panneaux publicitaires aujourd’hui recensés dans la capitale.
Mais la moitié de combien? Curieusement, il n’existe pas de cadastre précis des dispositifs pour publicités dans la Région de Bruxelles-Capitale. Tout juste des estimations, basées sur des extrapolations. Selon l’analyse effectuée en avril 2022 par le bureau d’études Stratec, le territoire compterait quelque 3 192 mobiliers urbains pour l’information (Mupi), c’est-à-dire d’installations publicitaires dans l’espace public. Ce total comprenait, en 2022, 525 dispositifs attachés au service Villo, ces vélos en libre service exploités par la firme JCDecaux en vertu d’un contrat qui prendra fin en 2026.
Les chiffres
Y sont également intégrés environ deux mille abribus, selon les données fournies par la Stib, dont 1 500 appartiennent, là encore, à JCDecaux. Ce type de dispositif est largement majoritaire (75%), devant les planimètres ou panneaux classiques (21%) et les plus rares colonnes d’affichage (4%). Ces chiffres ne sont pas à prendre au pied de la lettre: Stratec, qui a largement questionné les communes pour établir son analyse, n’a en effet reçu une réponse que de onze d’entre elles, sur 19.
Le paysage bruxellois est, enfin, piqueté de publicités non installées dans l’espace public mais visibles depuis celui-ci. Ainsi en va-t-il des panneaux fixés sur des pignons de d’immeubles, sur des clôtures de chantiers ou sur les bâches publicitaires camouflant ceux-ci. La majorité sont gérés par les acteurs majeurs du secteur, Clear Channel, JCDecaux et Belgian Posters. Les dispositifs installés le long des voies ferrées dépendent, eux, de la filiale de la SNCB, Publifer. Selon les chiffres transmis par ces quatre firmes, la Région de Bruxelles-Capitale compterait 515 dispositifs publicitaires installés en espace privé mais observables depuis la voie publique. Tous types de supports compris, la Région abriterait donc 3 707 panneaux pour pubs, pour une surface totale de 14 200 m2.
Un cadre plus strict pour les panneaux publicitaires à Bruxelles
Ces près de 15 000 m2 sont toutefois à la veille d’une sérieuse cure d’amaigrissement. Car à l’avenir, les dispositifs publicitaires ne seront autorisés dans l’espace public qu’à de strictes conditions: s’ils sont joints à des abris de bus, de trams ou à des stations de métro – avec un seul dispositif autorisé par lieu – et un maximum de 2 m2 par affiche ; s’ils sont apposés à des clôtures de chantier durant la réalisation des travaux ; s’il s’agit de publicités limitées dans le temps, annonçant un événement à caractère culturel, sportif ou social, une foire ou un salon. Deux panneaux ne pourront être installés à moins de cinquante mètres de distance l’un de l’autre. Aujourd’hui, à titre d’exemple, on en compte onze à la station Louise, dix à celle des Etangs Noirs, cinq à la gare d’Etterbeek.
La publicité sera expressément interdite dans une série de lieux: dans et à proximité des réserves naturelles et forestières et des espaces verts, dans un site ou près d’un monument classé, à moins de vingt mètres d’un carrefour, d’un feu de signalisation, d’une école ou d’une crèche et à moins de cinq mètres d’une traversée piétonne ou cyclable. Les publicités lumineuses devront être éteintes entre 1 heure et 6 heures. Leur luminosité devra automatiquement s’adapter à la lumière extérieure, grâce à des capteurs. En situation d’urgence et de crise, ces panneaux lumineux seront réquisitionnés pour diffuser des messages d’utilité publique. Les messages incitant à l’interaction en temps réel seront prohibés.
Sous la colle des affiches, des sous
En attendant l’entrée en vigueur du RRU, prévue pour 2025, les contrats en cours, d’une durée de six ou de neuf ans selon les modèles de panneaux, pourront suivre leur cours jusqu’à leur terme, histoire d’assurer une élémentaire sécurité juridique à ceux qui les ont signés. Ensuite, les dispositifs qui ne répondent plus aux nouvelles normes devront être démantelés. «La disparition des panneaux se fera donc de manière progressive, indique-t-on au secrétariat d’Etat bruxellois à l’urbanisme. Le nouveau RRU s’appliquera d’emblée pour les demandes de permis qui seront introduites dans le futur.»
Vider Bruxelles d’une partie de ses panneaux publicitaires ne changera pas que l’espace public. «Cela représentera un sacré défi pour les annonceurs comme JCDecaux et Clear Channel, dit-on au cabinet d’Ans Persoons. Outre la disparition d’un certain nombre de panneaux, la concurrence sera beaucoup plus forte pour obtenir d’utiliser ceux qui restent.» Contactée par Le Vif, la firme JCDecaux n’a pas réagi à nos demandes. «Vu les circonstances actuelles et le vandalisme croissant, nous préférons adopter une approche discrète dans les médias en ce qui concerne certains aspects de notre activité pour ne pas susciter de tensions supplémentaires», glisse-t-on chez Clear Channel.
Aujourd’hui, on compte onze panneaux publicitaires à la station Louise, dix à celle des Etangs Noirs.
Quelles conséquences sur les finances ?
Tout au plus apprendra-t-on que Clear Channel réinvestit environ la moitié de son chiffre d’affaires – septante millions d’euros en 2023 – dans les infrastructures publiques et les services aux collectivités. Un peu moins de la moitié (46%) du chiffre d’affaires de JCDecaux est affectée à ce même poste. Les annonceurs estiment déjà que la baisse d’activité consécutive à ce changement de réglementation pourrait déboucher sur le licenciement de 55 personnes, aujourd’hui chargées d’entretenir les dispositifs publicitaires et d’en renouveler l’affichage. La diminution des surfaces disponibles pour affichage se marquera surtout le long d’axes de trafic très fréquentés, c’est-à-dire à des endroits où les emplacements se vendent aux prix les plus élevés.
La mesure ne sera pas sans conséquences non plus sur les finances des communes et de la Région. Car la pub rapporte de l’argent grâe aux redevances perçues pour occupation de l’espace public – du moins dans les rares communes qui l’appliquent – et via des taxes sur les dispositifs publicitaires. Combien? Là encore, il faut se contenter d’estimations car les montants réclamés ne sont pas harmonisés à l’échelon de la Région et varient d’un contrat à l’autre. Mais en considérant que la taxe sur la publicité visible dans l’espace public rapporte, en moyenne, deux cents euros par mètre carré et par an pour les publicités statiques et 460 euros/m2/an pour les autres, la recette totale s’élèverait à 3,14 millions d’euros, selon le bureau d’études.
« Les publicités statiques nous rapportent 236 euros par m2 »
«Les publicités statiques nous rapportent 236 euros par m2, confirme l’échevin ixellois Yves Rouyet (Ecolo). Et cinq fois plus – soit 1 180 euros/m2 – s’il s’agit d’un panneau numérique.» Soit bien plus que l’estimation évoquée ci-dessus. Les affiches installées dans des espaces privés représenteraient à elles seules 1,8 million d’euros.
D’après les réponses obtenues par Stratec, ces rentrées annuelles sont comprises, selon les communes, entre dix mille et 660 000 euros. En moyenne, elles pèsent moins de 1% des budgets municipaux. A Ixelles, par exemple, les panneaux publicitaires font entrer 280 000 euros dans les caisses chaque année. Et les dispositifs Villo, 55 000 euros. «C’est très peu par rapport à l’impact négatif de la pub», assure Yves Rouyet, échevin Ecolo de l’urbanisme à Ixelles. Le son de cloche est tout autre du côté de Saint-Josse-ten-Noode. «Ces recettes nous permettent de financer nos politiques, rappelle le bourgmestre Emir Kir (Indépendant, ex-PS). Si l’on supprime des panneaux, nous serons confrontés à un manque à gagner indéniable. Nous demanderons des compensations à la Région.» Une éventualité qui n’est pas envisagée par celle-ci, précise- t-on au cabinet Persoons.
Ce que les panneaux publicitaires rapportent à Bruxelles chaque année
La Ville de Bruxelles, qui a la particularité d’être propriétaire du mobilier urbain lié aux transports en commun, récolte, quant à elle, chaque année 2,7 millions d’euros de redevances et 656 000 euros de taxes. Sans surprises, les communes interrogées semblent frileuses à l’idée de se couper de cette source de revenus. Or, il est impossible de savoir comment ces recettes évolueront. «Si le nombre de panneaux disponibles diminue à l’avenir, la valeur de ceux qui resteront augmentera», insiste-t-on au secrétariat d’Etat à l’urbanisme.
Du côté de la Stib, on fait aussi ses comptes. Car la mise à disposition des abribus, en grande partie par JCDecaux, représente environ quarante millions d’euros financés par la publicité, soit vingt mille euros pour chacun des deux mille abribus recensés. «Une éventuelle suppression de la publicité sur le réseau Stib nous ferait perdre des revenus directs générés à hauteur de trois millions d’euros, détaille la porte-parole Françoise Ledune, mais aussi des échanges publicitaires avec les médias avoisinant les 3,5 millions d’euros. Sans pub, l’acquisition, le placement et l’entretien du mobilier urbain devraient être opérés par la Stib.» Dans le cadre de son nouveau contrat de gestion, la Stib devra d’ailleurs établir pour 2025 un cadastre de ses espaces publicitaires, y compris sur ses véhicules. Histoire de savoir, finalement, de quoi on parle.
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