L’ex-patron de l’Agence Bruxelles-Propreté est en quête d’une nouvelle mission. © BELGAIMAGE

Quand Bruxelles-Propreté paie deux directeurs: l’ancien patron, nommé à vie, continue à être payé (148.000 euros)

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Les autorités bruxelloises sont tenues de proposer des missions successives à l’ancien patron de l’agence, nommé à vie.

C’est une histoire qui place la Belgique au sommet de son art en matière de surréalisme politique. De quoi s’agit-il? Vincent Jumeau, ancien directeur de l’Agence Bruxelles-Propreté (ABP), vient d’adresser un courrier au ministre de tutelle, l’écologiste Alain Maron, lui demandant quel devoir professionnel il aurait à remplir à partir du 1er novembre prochain. Faute de se voir confier une nouvelle mission, l’homme pourrait en effet se retrouver fort désœuvré, sans toutefois être sur la paille. Car depuis depuis avril 2022, celui qui a dirigé l’agence bruxelloise durant 13 ans n’occupe plus cette fonction. Nommé, il conserve néanmoins son statut et la rémunération de niveau barémique A5 qui y est liée, de l’ordre de 148.000 euros brut par an, selon les données disponibles pour 2022.

Rétroactes. De 2009 à 2022, Vincent Jumeau, un économiste de formation étiqueté socialiste, ancien chef de cabinet adjoint du secrétaire d’Etat à la Propreté publique Emir Kir, dirige l’ABP. Cet organisme est en charge du ramassage des déchets ménagers et du balayage des voiries régionales de la capitale. Durant ces treize longues années, ce directeur connaît successivement quatre secrétaires d’Etat ou ministres de tutelle, majoritairement socialistes: Emir Kir, Rachid Madrane, Fadila Laanan, puis l’écologiste Alain Maron.

Son passage à la tête de l’organisme d’intérêt public, deuxième employeur de la Région de Bruxelles-Capitale avec quelque 3.000 salariés, laisse des traces. D’abord une condamnation par le tribunal de première instance francophone de Bruxelles, en 2018, pour aide d’Etat illégale. Un jugement qui entraînera le gel de 20% de la dotation de l’agence. Ensuite, trois audits, commandés sous le règne de Fadila Laanan: en 2020, ils concluent à de lourds dysfonctionnements en matière de gouvernance, de gestion du personnel, d’organisation, de concertation sociale et de contrôle des finances.

Bref. Lorsqu’en 2019, il s’agit de répartir les compétences entre les membres fraîchement nommés du nouveau gouvernement bruxellois, on ne se bouscule pas pour s’emparer de la tutelle sur la propreté publique, donc sur l’ABP: chacun sait qu’il s’agit d’une pétaudière et que les placards ne sont peut-être pas encore totalement vidés de leurs éventuels cadavres.

Des mandats de cinq ans

Héritier du poste, Alain Maron annonce d’emblée des réformes, dont l’une touche à la gouvernance de l’agence. En janvier 2021, le gouvernement bruxellois met un terme aux mandats à vie – un régime d’exception – qui prévalaient jusqu’alors et instaure des mandats de cinq ans, renouvelables une fois, pour le directeur, le directeur adjoint et l’inspecteur général de l’ABP. Ce système est déjà en place dans les administrations régionales et la grande majorité des organismes d’intérêt public. Ces mandats limités dans le temps feront l’objet d’une évaluation régulière en fonction d’objectifs préalablement définis. Une nouveauté de plus.

Un examen de recrutement pour une nouvelle direction est donc organisé, auquel Vincent Jumeau – qui en a parfaitement le droit – se présente. Sa candidature n’est toutefois pas retenue. «Le résultat de cet examen m’a fort étonné, commente l’intéressé. Face à une évaluation qui me semblait poser question, mon avocate m’a conseillé d’attaquer la décision.» Ce qu’il fait, en adressant un recours en annulation au Conseil d’Etat. A ce jour, soit près de deux ans plus tard, l’institution n’a toujours pas tranché..

C’est finalement Frédéric Fontaine, ancien chef de cabinet de la ministre bruxelloise de l’Environnement Evelyne Huytebroeck et directeur de Bruxelles-Environnement depuis lors, qui l’emporte. Il entre en fonction le 1er février 2022. Mais Vincent Jumeau est nommé. «L’arrêté du gouvernement établissant le statut prévoit que M. Jumeau maintient ses droits acquis en termes de salaire et garde l’échelle de traitement qu’il percevait en sa qualité de fonctionnaire dirigeant, précise le cabinet Maron. Comme cela a été le cas pour tous les organismes régionaux lors du lancement du système de mandats, un dispositif transitoire permet aux personnes en place – qui étaient désignées jusqu’à leur pension – et qui n’obtiennent pas le mandat de se voir attribuer une mission.»

«Ce n’est pas moi qui ai créé cette situation.»

Quatorze missions d’un mois

Voilà donc Vincent Jumeau missionné. Par le cabinet Maron. Et ses successeurs après lui. Car en vertu du contrat qui est le sien, les autorités publiques devront proposer du travail à ce quinqua jusqu’à sa pension. Déchargé de la direction de l’agence, Vincent Jumeau hérite d’abord de quatorze missions successives d’un mois. Celles-ci ont trait aux relations avec Bruxelles-Environnement et à «l’optimisation de la gouvernance, des structures et des processus entre l’agence et ses filiales», répond le ministre Alain Maron à l’interpellation qui lui est adressée au parlement bruxellois, le 25 janvier 2023. L’ancien directeur se retrouve ainsi sous la responsabilité du nouveau. «Cette situation pour le moins inconfortable découle de la décision prise à l’époque de nommer cette personne comme directeur à vie», rappelle le ministre, renvoyant la responsabilité des faits aux élus socialistes qui l’ont précédé. L’ABP paie à présent deux directeurs dont un seul dirige… «Ce n’est pas moi qui ai créé cette situation», insiste Vincent Jumeau.

Depuis mars 2023, Vincent Jumeau travaille comme conseiller stratégique pour la Commission interrégionale de l’emballage, dans le cadre de la présidence belge du Conseil de l’Union européenne, une fonction «avec une charge de travail à géométrie variable», dit-il. Il est également administrateur de l’asbl Beswa (Association belge des déchets solides), où il représente l’ABP. Un poste pour lequel il ne perçoit pas de rémunération.

Cette mission au sein de la Commission de l’emballage s’achèvera le 31 octobre 2024. «Elle sera suivie d’une autre», précise-t-on au cabinet. C’est précisément pour savoir ce qui l’attend cet automne sur le plan professionnel et ne pas subir à nouveau une multitude de missions courtes que Vincent Jumeau a écrit, par l’entremise de son avocate, au ministre de tutelle. Ni l’ancien directeur de l’ABP ni le cabinet Maron n’ont accepté de communiquer ce courrier au Vif, mais le cabinet confirme bien l’avoir reçu à la fin du mois de mars. Et affirme être en contact avec l’agence et avec son ex-patron pour définir sa prochaine mission. En attendant, le profil Linkedin de Vincent Jumeau le présente toujours comme directeur général de l’agence.

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