Philippe Close raconte les coulisses d’une nuit de terreur: «J’ai convaincu Alexander De Croo» (interview)
Il est l’un des premiers politiques dont le téléphone a dû sonner hier soir, après que des coups de feu ont retenti Place Sainctelette, dans le centre de Bruxelles. « Si on commence à avoir peur, on ne prend pas les bonnes décisions ». Le bourgmestre de la Ville, Philippe Close (PS), raconte comment on gère un attentat terroriste de l’intérieur. Ou quand sang-froid, méthode et prise de décisions difficiles doivent prendre le dessus sur les émotions.
Philippe Close, que faisiez-vous au moment de l’attentat ?
Philippe Close: Quand je suis mis au fait des premiers coups de feu, je suis en conseil communal. Au début, on reste mesuré : il peut s’agir de pétards ou autre. Et puis, le quartier de Dixmude est connu pour la consommation de stupéfiants, donc on se demande s’il y a eu un règlement de comptes. Assez vite, j’apprends que les victimes sont des Suédois, et donc on fait le lien avec le match de foot. Par contre, on n’a pas pensé tout de suite aux autodafés de Coran qui s’étaient produits en Suède. Nous l’avons compris quelques minutes après l’annonce des coups de feu.
La première décision à prendre concerne le match. J’en discute avec le chef de corps, et on se dit que c’est plus facile de gérer les supporters dans le stade que dans la nature. Surtout en ce qui concerne les supporters suédois, clairement ciblés (par cet attentat terroriste, NDLR). Le match commence, et nous réfléchissons à un moyen d’évacuer le stade.
En parallèle, deux réunions se tiennent : l’une au centre fédéral de crise, l’autre au centre régional de crise, où je me trouve avec les chefs de corps, représentants des pompiers et de la Stib. On communique par vidéo mais chacun travaille de son côté : au fédéral pour l’enquête, afin d’intercepter l’auteur, et au régional pour l’organisation sur le terrain, c’est-à-dire faire évacuer le Stade Roi Baudouin.
« On lutte contre le terrorisme, afin qu’une vie plus ou moins normale continue à avoir lieu«
Philippe Close (PS), bourgmestre de la ville de Bruxelles
Quelles ont été les premières décisions ?
Les joueurs suédois décident de ne pas remonter sur la pelouse – et je les comprends – donc nous diffusons des messages de sécurité dans le stade. Je tiens d’ailleurs à saluer les supporters, qui se sont montrés exemplaires. Ils ont compris la gravité de la situation et fait preuve de patience. Pendant leurs 2 heures d’attente, nous faisions les comptes : on savait que 6.000 supporters étaient venus en voiture, d’autres parmi les 35 cars et 2.000 en transport en commun. Le petit ‘couac‘ de cette évacuation sécurisée est que les Suédois étaient basés dans plusieurs dizaines d’hôtels différents. C’était plus compliqué mais tout s’est finalement bien passé et ils ont pu rentrer chez eux.
Dans le même temps, on obtient l’information du domicile du terroriste. Des brigades d’intervention sont dépêchées sur les lieux, même si elles feront chou blanc. Puis, les opérations se calment un peu, car nous devons décider de ce que nous ferons le lendemain matin. Les deux questions qui m’occupent sont celle des transports en commun, et celle des écoles, avec comme objectif d’éviter un lockdown, erreur qui avait été commise en 2015 (lors des attentats de Paris, NDLR). On sait qu’on prend un risque mais de cette manière on lutte contre le terrorisme, afin qu’une vie plus ou moins normale continue à avoir lieu.
J’ai Caroline Désir au téléphone, qui plaide pour qu’on garde les écoles ouvertes autant que possible. À 4h30 du matin, la ministre de l’Intérieur (la CD&V Annelies Verlinden, NDLR) m’appelle pour m’exposer les décisions prises par le conseil fédéral de crise : vigilance accrue, renforcer la présence de la police, supprimer les événements extérieurs liés à la visite d’Etat du Portugal. On a fait preuve de méthode et de sang-froid pour éviter de se retrouver avec une ville morte.
Philippe Close, en quoi cet attentat est-il différent de ceux que vous avez déjà dû gérer en tant que bourgmestre de la ville de Bruxelles ?
Ceux que j’ai vécu en tant que bourgmestre sont arrivés après les attentats de 2016, avec un niveau de menace qui était encore assez haut. Souvenez-vous : il y avait des militaires dans la rue. Je ne plaide pas pour un retour des militaires. Je pense qu’il est encore trop tôt pour faire monter l’armée sur Bruxelles.
On a quand même eu deux morts donc on ne peut pas dire que tout se soit bien passé du côté de la prévention autour du match des Diables. On a probablement sous-évalué la menace qui pesait sur les intérêts suédois. On était au courant des autodafés de juillet dernier en Suède, mais peu d’entre nous imaginaient que ces événements allaient mener à des attentats terroristes au-delà du sol suédois. On n’a eu de contact ni avec les autorités scandinaves, ni avec les autorités belges au sujet d’une potentielle menace sur les intérêts suédois, en lien avec les autodafés de Coran.
« C’est moi qui ai convaincu le Premier ministre qu’il fallait évacuer le stade »
Philippe Close (PS), bourgmestre de la ville de Bruxelles
Quand on est en charge de décider lors de tels événements tragiques, comment mettre ses émotions de côté ?
Le plus important : avoir de la méthode et du sang-froid. Il faut se dire qu’il y a des processus qui existent dans de telles situations, et ne surtout pas s’énerver. Il faut aussi pouvoir prendre et assumer des décisions difficiles. Je vous donne un exemple. C’est moi qui ai convaincu le Premier ministre qu’il fallait évacuer le stade après deux heures d’attente. À ce moment-là, je sais que je prends un risque, mais je demande à Alexander De Croo de me faire confiance. Bien sûr, c’est lui qui reste le chef d’orchestre des opérations. Mais il écoute beaucoup les conseils, ce qui est important dans de telles situations.
Vous savez, on ne peut pas gérer une situation de crise sans décider. Sur le terrain, les équipes doivent sentir que quelqu’un dirige les opérations, et que les autorités parlent d’une même voix, dans le même sens. Il ne faut pas trop communiquer non plus, et en particulier vers l’extérieur, même si c’est frustrant pour vous, les médias. On n’a pas le temps de répondre aux questions. Nous devons régler une chose à la fois : d’abord évacuer les 35.000 Belges et protéger les 400 supporters suédois présents dans le stade. Puis se demander s’il y a d’autres cibles, des complices éventuels. Si vous commencez à avoir peur, vous gérez mal. Donc il faut rester focalisé sur son objectif et avancer avec sang-froid.
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