Piétonnier, plan Good Move… La « dévoiturisation » de Bruxelles est en marche
Depuis plusieurs années, la Région enchaîne les politiques visant à réduire drastiquement l’usage et l’empreinte de l’automobile sur son territoire. Entre enthousiasme et réticence, de la création du piétonnier central à l’instauration du plan Good Move, la grande reine voiture est déchue.
L’an dernier, une étude de la société Inrix plaçait encore Bruxelles à la troisième place (derrière Londres et Paris) des villes les plus embouteillées du monde, avec 134 heures perdues en 2021 dans les files. Elle était première en 2013 et deuxième en 2014. Les données des fournisseurs GPS ainsi que diverses analyses réalisées par Bruxelles Mobilité révèlent aussi, chaque année, que la congestion automobile a tendance à augmenter dans la capitale: le temps moyen pour parcourir une certaine distance en voiture augmente et devient de plus en plus incertain. Cela peut sembler paradoxal, car le volume du trafic automobile y est plutôt en diminution ces dernières années (- 4% sur l’ensemble de la journée entre 2012 et 2018). Dans une analyse, Bruxelles Mobilité explique ce phénomène par des causes ponctuelles, comme les événements (sommets européens, manifestations, visites de chefs d’Etat…) et les travaux publics, et par des facteurs permanents qui privilégient la circulation des piétons et cyclistes parfois au détriment des automobilistes: aménagements réduisant la capacité routière au profit d’autres espaces publics, allongement ou adaptation des phases de feux, etc.
L’usage de la bicyclette croît chaque année, depuis 2010, de 11% en moyenne à Bruxelles.
C’est qu’après de longues décennies de montée en puissance de l’automobile, démarrées dans l’immédiat après-Deuxième Guerre mondiale, Bruxelles multiplie, comme d’autres grandes villes et depuis une dizaine d’années, des politiques visant à limiter l’usage de la voiture sur une bonne partie de son territoire. Le plan de mobilité Iris 2 lancé en 2010 avait ainsi l’objectif ambitieux de réduire de 20% les distances parcourues en voiture dans la capitale entre 2001 et 2018, en agissant notamment sur les besoins de mobilité et sur l’amélioration de l’offre de transports publics et des conditions de circulation pour les piétons et cyclistes. Selon les évaluations, le plan a bien engendré une inversion de la tendance en matière de distances parcourues en voiture, mais la baisse enregistrée entre 2001 et 2016 n’était que de 2,1%. D’après un diagnostic effectué par Bruxelles Mobilité, cet échec peut, entre autres, s’expliquer par le fait que l’objectif fixé reposait principalement sur deux éléments structurants qui n’ont pas abouti: la mise en place de la taxation kilométrique pour les véhicules particuliers et le développement complet du réseau RER.
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D’autres mesures ont été concrétisées au cours des années 2010 pour contribuer à réduire la place de l’automobile dans la capitale. On peut citer l’instauration d’un plan régional de politique du stationnement pour harmoniser le parking dans les 19 communes et dégager de l’espace en voirie, le développement de zones limitées à 30 km/h (40% des voiries de quartiers en 2014 contre 22% en 2006), la piétonnisation complète ou partielle de plusieurs axes et boulevards du centre et du haut de la ville depuis 2015, la mise en service de nouvelles pistes cyclables (notamment aux abords du parc du Cinquantenaire)…
Lutter contre l’autosolisme
La réduction de la place de l’automobile est donc bien en marche à Bruxelles, où l’association Pro Velo estime que l’usage de la bicyclette croît chaque année, depuis 2010, de 11% en moyenne. Et la tendance du «mollo avec l’auto» semble s’intensifier ces derniers mois, avec la généralisation de la limitation à 30 km/h à l’ensemble du territoire bruxellois, début 2021, la création de rues scolaires et cyclistes et le nouveau plan de circulation mis en place dans le Pentagone cet été – notamment pour y limiter le trafic de transit. Ces mesures émanent du déjà fameux plan Good Move, le plan de mobilité régional pour 2020-2030, qui doit se décliner commune par commune avec des plans locaux, et qui a déclenché en septembre (à Anderlecht) et octobre (à Schaerbeek) de violentes réactions. Parmi les nombreux objectifs de Good Move, ceux de réduire l’autosolisme (fait de circuler seul dans une automobile) et de limiter à 24% les déplacements utilisant la voiture d’ici à 2030 – contre 33% actuellement. La stratégie de la Région est, d’une part, de déplacer certains usages de la voiture individuelle vers les transports en commun, le covoiturage et la mobilité douce et, d’autre part, de favoriser les véhicules de petite taille et les motorisations non thermiques pour les transports automobiles restants.
En Région bruxelloise, plus de la moitié des ménages ne possèdent pas de voiture.
Pour ce faire, les parkings en voirie devraient être réduits à moins de 200 000 places (contre 265 000 actuellement) d’ici à 2030, et plusieurs grands axes urbains (dont le viaduc Herrmann-Debroux et la fin de l’A12 à Laeken/Neder-Over-Heembeek) devraient être transformés en boulevards multimodaux, pour offrir davantage de place aux cyclistes, piétons et transports en commun. Des aménagements de pistes cyclables et de trottoirs sont déjà en cours sur la petite ceinture, d’autres sont à l’étude – notamment pour la rue Belliard.
En parallèle de l’évolution des infrastructures, la circulation automobile en Région bruxelloise est aussi encadrée par de plus en plus de normes. La capitale est devenue, en 2018, une zone de basses émissions (LEZ), ce qui signifie que la circulation des véhicules les plus anciens et les plus polluants (jusqu’à la norme Euro1 pour les essences et Euro 4 pour les diesels) n’y est déjà plus autorisée. Ces restrictions continueront à se durcir dans les prochaines années, avec l’interdiction totale de transit en 2030 pour les voitures diesel/hybrides et en 2035 pour celles à essence. Bruxelles n’a pas non plus abandonné l’idée de mettre en place une taxe kilométrique pour les véhicules, et teste actuellement un dispositif «intelligent» via le projet SmartMove. Son principe: taxer les automobilistes en fonction de l’usage (kilomètres, moments de la journée…) et non de la possession de leur véhicule. Bref, pour faire diminuer l’utilisation de la voiture, la capitale mise aussi bien sur la carotte que le bâton.
Où sont les voitures?
Le contexte est cependant particulier: en Région bruxelloise, plus de la moitié des ménages ne possèdent pas de voiture, contre seulement 22,9% en Flandre et 25% en Wallonie selon Statbel, le Service fédéral de statistique. La capitale est donc, et de loin, l’endroit de Belgique où le nombre d’automobiles par ménage est le plus faible: 0,58 en moyenne contre 1,06 à l’échelle nationale et plus de 1 dans toutes les autres Régions et provinces.
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Une étude de l’IBSA, l’Institut bruxellois de statistique, révèle cependant que la géographie de l’équipement automobile à Bruxelles et en périphérie proche est particulièrement contrastée. La part des ménages équipés de véhicules motorisés a ainsi tendance à augmenter à mesure qu’on s’éloigne de la Grand-Place – donc des zones où l’usage de la voiture est déjà le plus compliqué et le plus combattu – vers la périphérie: elle passe de 26% dans le Pentagone à 38% au sein de la première couronne (Anderlecht, Etterbeek, Ixelles, Koekelberg, Molenbeek, Schaerbeek, Saint-Gilles et Saint-Josse) et 56% pour la deuxième couronne (Uccle, Watermael-Boitsfort, Auderghem et les deux Woluwe). Ces chiffres grimpent encore plus significativement dans la périphérie proche, où en moyenne 8 ménages sur 10 disposent d’au moins un véhicule.On peut toutefois effectuer des distinctions au sein même de ces zones, avec par exemple davantage de ménages motorisés à l’ouest de la première couronne et dans le sud-est de la deuxième, où les habitants bénéficient plus fréquemment de voitures de société.
Pour faire diminuer l’utilisation de la voiture, la capitale mise aussi bien sur la carotte que le bâton.
L’analyse de l’IBSA révèle aussi que la motorisation des ménages bruxellois est généralement plus faible dans les secteurs de logements sociaux, les sites d’enseignement supérieur et la plupart des secteurs à proximité des chaussées (de Waterloo, d’Alsemberg…). Par ailleurs, la part des ménages équipés de voiture(s) est en moyenne plus faible dans les zones les plus denses et les mieux desservies par les transports en commun – et vice versa. Mais l’IBSA souligne que ce contexte résidentiel n’explique pas à lui seul le phénomène de motorisation ou non des ménages. La possession d’une ou plusieurs voitures est aussi liée aux revenus, à la position dans le cycle de vie, à la composition du ménage ou à l’appartenance générationnelle.
En plus, évidemment, du degré de conviction d’un changement de comportements face aux enjeux climatiques et environnementaux et d’aspiration à une ville où vivre est agréable, et pas seulement où circuler est infernal.
Six grands objectifs de Good Move
Les objectifs pour 2030, sur le territoire bruxellois.
35%1. Réduction de 35% par rapport à 2005 des émissions de gaz à effet de serre.
30 km/h2. Instauration d’un seul régime de vitesse définissant le 30 km/h par défaut sur l’ensemble de la Région, avec des dérogations à 50 km/h, voire 70 km/h, pour certains axes majeurs.
200 0003. Diminution du nombre d’emplacements de stationnements sur la voirie de 265 000 (en 2020) à 200 000.
4. Mise en accessibilité de soixante à septante arrêts de surface de transport public par an.
24%5. Limitation à 24% des déplacements à Bruxelles effectués en voiture.
6. Création de cinquante «mailles apaisées», ou quartiers «où les fonctions de séjour prennent le pas sur les fonctions de déplacement qui doivent se limiter aux accès locaux. Le trafic motorisé à destination y est assuré, mais nécessite dans certains cas quelques détours pour favoriser les déplacements à pied ou à vélo. Le trafic automobile de transit y est en revanche fortement découragé».
L’évolution de l’ automobile à Bruxelles
1949 Esquisses d’un vaste programme de modernisation du réseau routier belge et bruxellois pour en faire «l’un des carrefours routiers les plus importants de l’Occident», selon le ministère des Travaux publics et de la Reconstruction.
1956-1958 Aménagement de 128 kilomètres de chaussées, 119 carrefours, 36 ponts, six tunnels (dont Rogier, Louise et Botanique) et un viaduc pour l’Expo 58. Construction d’un premier tronçon du Ring entre Strombeek-Bever et Grand-Bigard.
Années 1960 Réaménagement de l’avenue Louise sur le modèle de la petite ceinture, construction des tunnels Trône, Loi et Bailli. Augmentation de la capacité routière, notamment à la rue de la Loi avec cinq bandes destinées aux voitures.
Années 1970 Début de la construction du ring et création de plusieurs tunnels dont celui du Cinquantenaire et ceux de Reyers (en parallèle de l’échangeur Reyers). Mise en service du viaduc Herrmann-Debroux (1973).
1978 Construction du viaduc de Vilvorde et fin du tracé du ring.
1986 Mise en service du tunnel Léopold II en remplacement du viaduc du même nom.
1989 Naissance de la Région Bruxelles-Capitale et changement de vision avec l’apparition des premiers plans axés sur une approche bruxelloise de la mobilité.
1993 Création du tunnel Belliard.
2015 Création du piétonnier dans le centre-ville.
2018 Mise en place de la zone basses émissions (LEZ).
2021 Généralisation de la limitation à 30 km/h sur l’ensemble du territoire régional (80% des voiries).
2022 Nouveau plan de circulation pour le Pentagone et début de l’instauration du plan Good Move.
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