Près de quatre Bruxellois sur cent (3,8%) sont aujourd’hui Roumains. © Getty Images

Comment les Roumains sont devenus la deuxième nation la plus représentée à Bruxelles: « Des villages entiers ont déménagé ici »

Elise Legrand
Elise Legrand Journaliste

En quinze ans, la population roumaine à Bruxelles a presque sextuplé. L’adhésion de Bucarest à l’Union européenne, en 2007, a notamment boosté cette migration. Décryptage.

A Bruxelles, une personne sur trois est de nationalité étrangère. La capitale belge est d’ailleurs la seconde ville la plus cosmopolite du monde, juste derrière Dubaï. Si la multiculturalité de la population bruxelloise s’impose aujourd’hui comme une évidence, les groupes qui la composent restent encore parfois méconnus. Notamment la communauté roumaine, dont la proportion augmente pourtant de manière exponentielle au fil des années.

Les chiffres ont de quoi donner le tournis. En quinze ans, le nombre de Roumains a presque sextuplé dans la capitale. Au 1er janvier 2023, ils étaient 46.572, contre 8.776 en 2008, selon les données de l’Institut Bruxellois de Statistique et d’Analyse (IBSA). Autrement dit, près de quatre Bruxellois sur cent (3,8%) sont aujourd’hui Roumains. Leur communauté est d’ailleurs devenue la deuxième la plus représentée à Bruxelles, bien loin devant les nationalités italienne (35.929), marocaine (33.654) ou espagnole (31.569). Seuls les Français (près de 70.000) restent encore plus nombreux.

Sept années de transition

Cette présence importante puise incontestablement sa source dans l’adhésion de Bucarest à l’Union européenne, le 1er janvier 2007. Avant cette date, la communauté roumaine à Bruxelles était insignifiante – en 1995, ils étaient à peine un millier. Comparée à d’autres populations historiquement implantées dans la capitale, comme les Marocains ou les Congolais, l’immigration roumaine s’apparente donc à un phénomène relativement récent.

C’est d’ailleurs seulement en 2008 que les Roumains font leur apparition dans le top 10 des nationalités les plus représentées à Bruxelles. Avant de rapidement grapiller des places et de s’imposer dans le top 3, en 2015. « Après son adhésion à l’UE, la Roumanie a encore dû respecter une période transitoire de sept ans avant d’acquérir tous les droits européens, explique Isaline Wertz, experte au sein de la cellule Territoire et population à l’IBSA. Le permis de travail restait par exemple obligatoire pour les Roumains, comme pour les Bulgares. Ce n’est qu’en 2014 que ces restrictions à la libre circulation des travailleurs ont été levées, entraînant dans la foulée une nouvelle phase d’immigration massive de ces populations vers Bruxelles. »

Près de quatre Bruxellois sur cent (3,8%) sont aujourd’hui Roumains.

La crise financière mondiale a laissé Bucarest groggy. Au début des années 2010, de nombreux agriculteurs et travailleurs peu qualifiés issus de la ruralité ont quitté leur terre natale à la recherche de meilleures conditions économiques. Ils ont trouvé en Belgique la garantie d’un revenu décent, bien supérieur aux rémunérations locales. « Aujourd’hui, de nombreux Roumains néo-Bruxellois travaillent dans le bâtiment, indique Carmen Draghici, fondatrice d’Arthis, la maison culturelle belgo-roumaine. Beaucoup ont créé leur propre société de construction. Les Roumains représentent d’ailleurs la seconde population d’entrepreneurs à Bruxelles, après les Belges. »

« Le rêve européen »

La communauté roumaine est également très active dans le secteur des titres-services, mais aussi dans le domaine de la santé. Les médecins roumains sont d’ailleurs surreprésentés dans les hôpitaux bruxellois. A l’instar d’autres nationalités, les Roumains s’expatrient également dans la capitale belge pour travailler au sein des institutions européennes et internationales. « Bruxelles, c’est le visage de l’Europe. De nombreux jeunes diplômés viennent vivre leur rêve ici, confie Carmen Draghici. D’autres viennent également poursuivre leurs études à Bruxelles grâce aux bourses Erasmus. »

Avec un âge moyen de 32 ans, les Roumains de Bruxelles représentent d’ailleurs la communauté européenne la plus jeune de la capitale. « Cette jeunesse est à mettre en lien avec cette immigration récente, précise Isaline Wertz . Environ 7.000 Roumains arrivent encore chaque année à Bruxelles, contrairement à d’autres nationalités dont les vagues d’immigration remontent à des dizaines d’années. »

La forte présence de Roumains à Bruxelles s’explique également par les similarités entre le français et le roumain, deux langues latines, qui permettent une intégration rapide, tant sur le plan social que professionnel. Certains maîtrisent même le français avant leur arrivée, la langue de Molière étant enseignée dans les écoles locales à partir de la 2e primaire. « Mais les jeunes générations optent aujourd’hui d’avantage pour les cours d’anglais, ce qui n’entrave en rien leur intégration dans une ville devenue aujourd’hui quasi anglophone », précise Carmen Draghici. Une fois installés, certains apprennent également le néerlandais, pour des raisons professionnelles ou sociales.

8,9% de Roumains à Koekelberg

Logiquement, le bouche-à-oreille joue également un rôle dans cette implémentation roumaine dans la capitale. « Dans les années 2000, il y a des villages entiers – notamment les communes de Bosanci ou Moara, dans le nord-est de la Roumanie – qui ont déménagé ensemble en Belgique, illustre Carmen Draghici. Il y a une vraie solidarité entre ces familles. » Cette cohésion s’exprime également via le réseau professionnel. Certains patrons roumains basés dans la capitale engagent quasi-uniquement leurs compatriotes, qui viennent s’installer en Belgique une fois leur contrat en poche.

Contrairement à d’autres nationalités, plutôt établies dans le sud de la capitale (Ixelles, Saint-Gilles), les Roumains de Bruxelles sont majoritairement concentrés dans le croissant pauvre de la ville et dans sa frange occidentale. C’est à Koekelberg qu’ils sont proportionnellement les plus nombreux, représentant 8,9% de la population totale. Ils sont également fortement implantés à Anderlecht (6,3%), Jette (6,0%), Ganshoren (6,8%), ou encore Saint-Josse-ten-Noode (6,6%). « Dans ces communes, les loyers et le marché immobilier restent plus abordables que dans le reste de la ville », justifie Carmen Draghici. « Contrairement à d’autres, l’immigration roumaine est moins réseautée et moins cantonnée à certains quartiers, abonde Isaline Wertz. L’accès au logement prime par rapport à d’autres facteurs, ce qui explique leur implantation diffuse dans des quartiers plus pauvres. »

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