Comment la réduction des droits d’enregistrement pourrait doper l’exode de Bruxelles (cartes interactives)
La région bruxelloise voit bien plus d’habitants migrer vers la Flandre et la Wallonie qu’elle n’en gagne en provenance de celles-ci. La diminution des droits d’enregistrement, au nord comme au sud, risque d’accentuer cette tendance.
Après la réduction des droits d’enregistrement de 12,5 à 3% pour l’achat d’une habitation propre et unique en Wallonie dès 2025, la Flandre a elle aussi décidé d’abaisser son taux, passant de 3 à 2%. Tous les regards se tournent désormais vers la capitale, dans l’attente d’un nouveau gouvernement régional qui tarde à se dessiner. Les ménages souhaitant acheter un bien propre et unique à Bruxelles doivent toujours débourser une somme équivalant à 12,5% de la valeur du bien, en sachant que les prix moyens y sont déjà bien plus élevés. Ils bénéficient toutefois d’un abattement sur les 200.000 premiers euros, réduisant dans les faits l’ardoise de 25.000 euros – sauf pour les habitations de plus de 600.000 euros.
Les réformes flamande et wallonne font souffler des vents contraires. Indéniables bouffées d’air frais pour les nombreux ménages souhaitant devenir propriétaires, elles forcent en parallèle la main à une région bruxelloise financièrement asphyxiée. «La compétition qui existait déjà avec la Flandre va s’étendre à une seconde région (NDLR: la Wallonie), indiquait le leader du MR bruxellois, David Leisterh, à L’Echo, en juillet dernier. On ne peut pas rester sans rien faire sachant que l’exode urbain va s’accentuer, réduisant la capacité fiscale de Bruxelles et rendant la situation budgétaire encore plus compliquée à l’avenir. On n’a pas le choix.» L’exode dont il est question n’équivaut pas à une diminution globale de la population bruxelloise: celle-ci continue bel et bien de croître en raison de la natalité et des migrations internationales. Début 2024, la Région de Bruxelles-Capitale comptait 1,25 million d’habitants, contre 959.300 en 2000. En revanche, elle ne cesse de laisser filer davantage d’habitants vers la Flandre ou la Wallonie qu’elle n’en gagne en provenance de celles-ci. Et ce phénomène s’accentue sur les trois dernières décennies, comme le montre le graphique ci-dessous.
Un exode coûteux
Chaque année et depuis 2006 au moins, ces migrations interrégionales engendrent une perte de revenus imposables comprise entre 175 et 210 millions d’euros, selon une analyse de l’Institut bruxellois de statistique et d’analyse (Ibsa). Pour la Région, cela équivaut à une perte de recettes de 10 à 15 millions par an sur la période pré-Covid. Cet exode n’est pas l’apanage de la capitale. La «périurbanisation», comme la qualifie la littérature scientifique, conduit chaque année des centaines d’habitants des principaux pôles urbains à s’installer dans une commune avoisinante. Voire bien plus loin, le long des axes structurants menant entre autres vers leur lieu de travail. «Le grand schéma classique en démographie commence par l’émancipation des jeunes quittant le foyer familial entre 18 et 25 ans, contextualise Marc Debuisson, chargé de recherches à l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique (Iweps). Ils s’installent dans une ville, font des études, se mettent en couple, puis reviennent vivre en périphérie, de plus en plus loin vu les prix de l’immobilier, pour y construire ou acheter une maison quatre façades. Des phénomènes de gentrification bouleversent toutefois ce schéma.»
Qui sont ces milliers d’habitants quittant chaque année la capitale? Où et pourquoi partent-ils? «Les Bruxellois sortants sont à la fois plus nombreux et ont des revenus imposables plus élevés que les Bruxellois entrants», constatait l’étude de l’Ibsa, portant sur l’année 2019. La plupart de ces sortants sont âgés entre 25 et 40 ans. Ils seraient principalement issus de la classe moyenne intermédiaire et supérieure. Pour ceux-ci, la quête d’espace ou d’un cadre plus verdoyant est une hypothèse plausible, parmi d’autres – héritage, changement professionnel, séparation… Les communes bénéficiant le plus de ces départs restent les communes flamandes jouxtant les limites géographiques de la Région de Bruxelles-Capitale (voir la carte ci-dessous).
Cependant, les personnes aux revenus plus modestes, déclarant des revenus inférieurs à 15.000 euros, représentent tout de même un quart des habitants quittant Bruxelles. «Ces populations sont potentiellement en quête de petits logements locatifs plus abordables, décode Jean-Pierre Hermia, démographe à l’Ibsa. Côté wallon, elles partent alors vers des villes plus lointaines comme Charleroi ou La Louvière. En Flandre, vers une série de communes de la vallée de la Dendre, elles aussi plus éloignées de Bruxelles: Alost, Ninove, Grammont… Nos collègues de Statistiek Vlaanderen ont expliqué que dans ces communes, on retrouve beaucoup de petits logements anciennement ouvriers, qui n’intéressent plus les populations locales mais bien d’anciens Bruxellois. Tous ces pôles restent connectés à la capitale par le réseau ferroviaire.»
Pour les bas comme les moyens revenus, le coût du logement, à la location comme à l’acquisition, apparaît donc comme une cause majeure de l’exode bruxellois, éventuellement combinée avec d’autres externalités négatives (dégradation de la mobilité, de différents services, de la salubrité énergétique…). Selon le baromètre de notaire.be, il faut débourser 284.775 euros en moyenne pour un appartement à Bruxelles, contre 278.520 en Flandre et 195.285 en Wallonie. L’écart est encore plus conséquent pour une maison: 554.137 euros dans la capitale, 362.647 euros au nord du pays et 236.265 euros au sud du pays. Sur le plan strictement financier, un ménage souhaitant acheter à Bruxelles en 2025 est, à l’heure actuelle, doublement perdant: il paie non seulement un prix bien plus élevé à l’achat pour un bien de taille équivalente, mais aussi davantage de droits d’enregistrement, sapant son indispensable apport personnel.
«A l’exception des privilégiés qui pourront toujours y acheter, Bruxelles va devenir encore davantage une ville de locations, comme c’est le cas de Paris.»
Caroline Lejeune
Présidente de la Fédération des agents immobiliers francophones (Federia)
«C’est simple: la classe moyenne ne sait plus acheter à Bruxelles, déplore Caroline Lejeune, présidente de la Fédération des agents immobiliers francophones (Federia). Nous sommes face à une vraie crise du logement, indépendamment du fait que les réductions de droits d’enregistrement en Wallonie et en Flandre boosteront probablement l’exode. A l’exception des privilégiés qui pourront toujours y acheter, Bruxelles va devenir encore davantage une ville de locations, comme c’est le cas de Paris.» A l’heure actuelle, il y aurait légèrement plus d’offre que de demande de biens de classe intermédiaire à vendre dans la capitale, relate-t-elle. Cela ne se traduit toutefois pas encore par une diminution des prix, sauf pour les logements énergétiquement peu performants.
Si les migrations de Bruxelles vers la Wallonie se sont stabilisées depuis une vingtaine d’années, autour de 15.500 départs par an, elles ont encore récemment explosé vers la Flandre: celle-ci a encore capté 28.000 Bruxellois en 2023, contre 14.600 seulement en 2000 (voir ci-dessous). Ceci est en partie dû au fait que les communes attenantes à la capitale, les plus prisées, sont toutes situées en Flandre. Mais pas exclusivement: en 2015, une étude du Steunpuntsocialeplanning de la Province du Brabant flamand portant sur les relations entre Bruxelles et cette dernière avait démontré que le fait d’y parler la langue de Vondel n’était, au fil du temps, plus considéré comme un obstacle pour les Bruxellois d’origine non belge en quête d’un logement. «Alors que, pendant de longues années, l’extension de la ville a concerné presque exclusivement la classe moyenne d’origine belge, ce n’est plus le cas actuellement», concluaient les experts.
C’est une évidence: les ex-Bruxellois n’ont pas attendu les réductions de droit d’enregistrement avant de quitter la capitale. Les écarts de prix entre la capitale et les autres Régions –singulièrement la Wallonie– sont tels depuis des décennies que le critère de la concurrence fiscale apparaît marginal par rapport aux autres. Mais les réformes flamande et wallonne enfoncent indéniablement un clou de plus dans l’attractivité comparative de Bruxelles sur le plan de l’accès au logement. Si le futur gouvernement bruxellois parvient à dégager des moyens pour une réduction des taux, celle-ci sera probablement plus graduelle qu’en Wallonie. Indépendamment des mesures attendues, il y a bien une éclaircie à l’horizon, aux allures de paradoxe. D’un côté, Bruxelles n’a effectivement jamais vu autant d’habitants partir vers la Flandre que sur ces trois dernières années, et ce depuis au moins 60 ans. De l’autre, elle est tout de même parvenue à attirer 14.358 Flamands en 2023, ce qui n’était plus arrivé depuis 1968.
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