saisie
La saisie d’actifs criminels va bon train. En novembre dernier, Europol a soutenu les autorités douanières de 23 États membres de l'UE, dont la Belgique, dans le cadre d'une vaste opération. Montant des saisies en cash: près de 2,7 millions d'euros. © Europol

Cherche acheteur pour avion ou crypto: une plongée dans la saisie d’actifs criminels

Clément Boileau
Clément Boileau Journaliste

Afin d’enrayer la spirale de violence liée au narcotrafic à Bruxelles, le procureur du roi Julien Moinil et la commissaire aux drogues Ine Van Wymersch veulent, entre autres, taper au portefeuille des criminels. Pas une mince affaire, mais la Belgique a une expérience certaine en la matière.

«Envoyer le message que le crime ne paie pas.» Le nouveau procureur du roi à Bruxelles, Julien Moinil, et la commissaire nationale aux drogues Ine Van Wymersch, l’ont bien compris: pour enrayer la spirale de violence liée au narcotrafic, notamment à Bruxelles, où les fusillades se succèdent, et à Anvers, où le port offre la plus grande porte d’importation de narcotiques en Europe, il faut frapper au portefeuille. Et frapper fort. Pour cela, des moyens seront déployés dans la capitale –davantage de «bleu» dans les rues, assure le ministre de l’Intérieur Bernard Quintin (MR)–, ainsi qu’une nouvelle section «asset recovery» (récupération d’actifs) au parquet de Bruxelles, «avec cinq magistrats qui ne font que saisir […] immeubles, voitures, biens de luxe», a récemment annoncé le procureur Moinil.

Saisir… et gérer

Pour cela, les autorités pourront, entre autres, s’appuyer sur l’organe central pour la saisie et la confiscation (OCSC), qui dispose d’une longue expérience en la matière, la structure existant depuis 2003. Et son rôle est loin d’être anecdotique puisque l’OCSC a été désigné à la fois comme «asset management office» (bureau national de gestion des biens saisis) et «asset recovery office» (recouvrement des avoirs patrimoniaux). Bref, on parle là du centre national d’expertise en matière de saisie et confiscation, lequel fournit une assistance de poids aux autorités judiciaires, aux forces de police et au ministère des Finances dans la saisie et la confiscation des biens.

«Le parquet de Bruxelles souhaite créer une Cellule ARO (récupération d’avoirs) en 2025 pour donner plus d’importance à ce type de recouvrement.»

La structure brasse en effet des avoirs et des biens dans des proportions considérables: en 2023 (derniers chiffres disponibles), l’organe a ouvert près de 11.000 dossiers et géré pour près de 110 millions d’euros saisis. La pointe de l’iceberg, certes, puisqu’on ne parle là que de sommes d’argent saisies. Mais rien de surprenant, dès lors, à ce que Bruxelles se soit tournée vers l’OCSC pour doper sa politique de saisie et de confiscation. «Le parquet bruxellois souhaite créer une Cellule ARO (récupération d’avoirs) en 2025 pour donner plus d’importance à ce type de recouvrement», nous confirme-t-on, aussi l’OCSC devrait jouer, à cet égard, un rôle important de soutien.

«Une réflexion sera menée sur la manière de renforcer encore ce rôle et d’étendre la collaboration entre l’OCSC et les sections spécialisées des entités du ministère public», veut croire l’OCSC, qui précise que le mouvement dépasse largement Bruxelles, le ministère public souhaitant «mener une politique plus active en matière d’approche axée sur la recherche, la saisie et la confiscation des avoirs patrimoniaux. Par exemple, le parquet d’Anvers, en collaboration avec les services de police fédéraux et locaux d’Anvers, sont particulièrement actifs dans ce domaine.»

Cherche acheteur pour avion et cryptos

Concrètement, il n’y a pas vraiment de barrières légales à la saisie d’actifs issus d’une activité criminelle, pourvu que celle-ci fasse bien l’objet d’une enquête pénale et que l’avantage économique de l’opération soit significatif. Du reste, la directive européenne sur le recouvrement et confiscation des avoirs s’applique et, d’après nos informations, le cadre législatif sera encore élargi notamment pour inclure la confiscation non fondée sur une condamnation. 

Ceci étant posé, la difficulté réside parfois en la transformation de l’actif saisi en monnaie sonnante et trébuchante. L’OCSC peut compter sur les Finshops du SPF Finances, ces boutiques où l’Etat propose à la vente des biens saisis. Voilà pour le tout-venant: en cas d’aliénation des actifs saisis gérés par l’OCSC, un mandat de vente est envoyé aux Finshops du SPF Finances, où peuvent atterrir des voitures et autres produits de luxe (mais pas seulement). «Le directeur de l’OCSC peut décider de ne pas exécuter l’aliénation et mettre principalement des véhicules à disposition d’un service de police ou de sécurité, qui par la suite les utiliseront dans la lutte contre le crime organisé.»

Mais que faire quand l’objet saisi est un avion (le cas s’est déjà présenté) ou des cryptomonnaies? «Si les Finshops ne sont pas capables de procéder à la vente, il est fait appel à des spécialistes. L’OCSC a déjà vendu des avions via un courtier aérien. Les cryptoactifs saisis sont, eux, vendus par un prestataire de services cryptoactifs. L’OCSC vend également tous les cryptoactifs confisqués à la demande du SPF Finances. En ce qui concerne des biens immobiliers saisis, la loi OCSC prévoit qu’ils sont vendus par l’intermédiaire d’un notaire, donc sans intervention des Finshops mais sur mandat de l’OCSC», déroule encore l’organe.

© Europol

Saisie d’actifs criminels: coopérer, c’est la clé

A ce titre, surtout dans le contexte de la lutte contre le narcotrafic –une forme de criminalité à forte coloration internationale, souvent liée à des opérations de blanchiment d’argent–, la coopération entre pays européens est primordiale. Dont les fruits, quand ils sont cueillis, sont abondamment exhibés par Europol et Eurojust, qui coordonnent les efforts de coopération judiciaire en Europe et ne manquent pas de mettre en avant les saisies effectuées, parfois simultanément, dans plusieurs pays.

Là aussi, l’OCSC, membre fondateur du réseau de coopération informelle international Carin (Camden Asset Recovery Inter-Agency Network), joue un rôle majeur. «Nous recevons un nombre croissant de demandes, tant de la part d’autorités étrangères pour avoir des infos de la Belgique que de la part des services de police et des magistrats belges pour l’envoi d’une demande à l’étranger», abonde l’organe, qui déplore toutefois que le réseau ait pu perdre des membres ces dernières années, ou que «certains [soient]très frugaux dans leur coopération».

Reste que l’OCSC, actuellement nanti de trois magistrats dédiés, joue un rôle crucial en matière de coopération internationale, notamment pour conseiller d’autres magistrats sur la préparation des demandes d’entraide judiciaire et des certificats de l’UE en vue de saisir des avoirs patrimoniaux à l’étranger. «Et par la suite, veiller à faire exécuter à l’étranger les décisions judiciaires de confiscation dans les dossiers confiés à l’OCSC par le ministère public.»

L’OCSC en chiffres

À l’heure actuelle, l’OCSC compte un magistrat en moins sur les quatre dont disposait l’organe en 2023, année du dernier rapport d’activité en date. Il ne s’agit que d’une partie des effectifs, qui se montaient à 45 personnes au total fin 2023, dont des officiers de liaison au SPF Finances et de la police.

Outre les quelque 110 millions d’euros saisis cette année-là (un pour moins que les quelque 115 millions saisis en 2022), plus de 800 véhicules avaient été aliénés, et une vingtaine d’avoirs patrimoniaux mis à disposition de la police.

Le montant total versé à l’État belge a atteint 39,6 millions d’euros, près de 16 millions d’euros ayant été confisqués. Les ventes via les FinShops, sous mandat de l’OCSC, se sont montées, elles, à plus de 5 millions d’euros.

L’OCSC dispose en outre d’un portefeuille de cryptoactifs, dont la valeur se montait, fin 2023, à presque 7 millions d’euros. C’est deux fois plus qu’en 2022.

Les préventions ayant conduit aux différents montants gérés par l’OCSC sont diverses et variées — comme toujours. Entre autres, on parle de recel et de blanchiment ; d’association de malfaiteurs, de détournement et d’abus de confiance, d’escroquerie, de fraude informatique, de fraude sociale, de trafic de diamants et d’or… mais aussi d’actifs issus de l’exploitation sexuelle.

Et les stupéfiants, alors? Avec presque 13 millions d’euros, c’était la troisième prévention en termes de volume d’argent géré, derrière le recel et le blanchiment (quelque 27 millions d’euros) et l’association de malfaiteurs/prise d’otages/participation à une organisation criminelle (15 millions d’euros).

Toujours en 2023, les demandes parvenant à l’OCSC en «matière d’asset recovery» via le réseau de coopération internationale «CARIN» concernait principalement des cas de fraude (50%) et de blanchiment (23%), le trafic de drogue représentant 9% des demandes.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire