«Le PS est mal en point à Bruxelles, et tente par tous les moyens de grignoter des voix», analyse la politologue du Crisp Caroline Sägesser.

«C’est suspect»: pourquoi le PS veut reporter l’interdiction des véhicules polluants à Bruxelles

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

Le Parti socialiste demande de reporter l’interdiction des véhicules les plus polluants dans la capitale, censée intervenir le 1er janvier 2025. Une sortie électorale qui crispe à nouveau la majorité: Ecolo sort les boucliers. «Le PS est mal en point à Bruxelles, et tente par tous les moyens de grignoter des voix», analyse la politologue du Crisp Caroline Sägesser.

La majorité bruxelloise semble avoir du mal à piloter cette fin de législature. La faute, semble-t-il de l’extérieur du cockpit, à un partenaire en particulier. Le PS serait en train de tirer le frein à main sur plusieurs dossiers. Premier ralentissement: Rudi Vervoort et les siens ont bloqué l’adoption du projet de code bien-être animal, par peur de rouvrir la boite de Pandore de l’abattage rituel sans étourdissement. Deuxième coup de pédale: les socialistes veulent reporter de deux ans l’interdiction des véhicules les plus polluants dans la capitale, censée entrer en vigueur le 1er janvier 2025.

C’est l’opérateur Touring qui, avant le PS, a demandé un report de la prochaine étape de la zone de basse émission (LEZ). Votée en 2018 par le précédent gouvernement (dans lequel les rouges possédaient déjà la ministre-présidence), cette réforme vise à interdire progressivement aux véhicules les plus polluants d’entrer dans Bruxelles. L’an prochain, les voitures diesel Euro 5 (immatriculées avant le 1er septembre 2015) et les voitures essence Euro 2 (immatriculées avant le 1er janvier 2001) seront concernées par l’interdiction de circulation.

Combien de voitures concernées par l’interdiction?

Dans un communiqué, Touring a demandé un moratoire sur l’interdiction des véhicules diesel Euro 5, plus nombreux au sein du parc automobile que les véhicules essence Euro 2. Selon le tour opérateur, 850.000 quatre-roues sont concernés, dont 32.000 dans la capitale. Conséquence: «Des répercussions majeures sur les résidents de Bruxelles, rendant un quart des voitures diesel de la ville instantanément inutilisables».

De son côté, Bruxelles Environnement rappelle que la LEZ est nécessaire du point de vue de la santé publique, sachant que la pollution de l’air cause 7.000 décès prématurés chaque année en Belgique. L’administration recadre aussi les chiffres avancés par Touring, évoquant plutôt 160.000 véhicules en circulation dans la capitale chaque mois. D’après Bruxelles Environnement, les Bruxellois ont déjà anticipé les évolutions de la zone de basse émission. «En 2018, 21,5% des voitures immatriculées en Belgique en circulation, ne répondaient pas aux critères d’accès de 2025 (Diesel Euro 5 et essence Euro 2). Mi-2023, on est passé à 12,5%.»

Il est important de donner une prévisibilité à long terme aux entreprises et aux ménages concernés

Le ministre de l’Energie Alain Maron (Ecolo)

Le PS sort de sa boite, Ecolo réagit

Du côté du cabinet du ministre de l’Energie Alain Maron (Ecolo), on ne prévoit pas de modifier le projet LEZ. «La pollution de l’air touche en particulier les plus vulnérables (personnes âgées ou malades, enfants, etc). A Bruxelles, le projet Curieuzenair a permis de démontrer qu’elle est aussi à l’origine d’importantes inégalités: ce sont les plus précarisés qui en souffrent le plus. Lutter contre la pollution de l’air est donc profitable pour tout le monde, et a un impact important sur les habitants des quartiers les plus pollués, souvent moins aisés. Il est important de donner une prévisibilité à long terme aux entreprises et aux ménages concernés. Le reporter enverrait un mauvais signal pour les citoyennes et citoyens, ainsi que pour les entreprises qui ont déjà procédé aux investissements pour s’y adapter.»

Le cabinet du ministre de l’Energie rappelle aussi que sous cette législature, le gouvernement n’a fait qu’ajouter des mesures d’accompagnement au projet, déjà fixé par l’exécutif précédent.

Le chef de groupe du PS au Parlement bruxellois Ridouane Chahid défend le report de deux ans du projet voulu par les socialistes francophones. «Nous le demandons depuis 2019, et avons interpellé Alain Maron à seize reprises pour qu’il prenne des dispositions d’accompagnement pour les ménages les plus précaires. » Plusieurs aides existent, comme la prime Bruxelles Air, une enveloppe de 1.100 euros obtenue en échange de la radiation d’une plaque d’immatriculation. «C’est bien mais insuffisant pour les personnes qui ont moins de moyens. Les 32.000 personnes concernées par l’interdiction des Euro 5 en 2025 ne pourront pas s’acheter un véhicule électrique avec un tel montant», peste Ridouane Chahid.

“Le timing de cette annonce pose question”

Comment expliquer cette volonté du PS de reporter l’interdiction des véhicules les plus polluants à Bruxelles? «Le timing de cette annonce pose question. C’est suspect qu’elle survienne aussi tard dans la législature, estime la politologue Caroline Sägesser (Crisp). Cette sortie intervient dans un contexte électoral qui n’est pas idéal pour le Parti socialiste à Bruxelles, qui n’est plus la première formation d’après les derniers sondages. Il pourrait perdre son leadership et donc la ministre-présidence.»

Le dossier de la LEZ ne devrait pas faire tomber le gouvernement bruxellois, à deux mois de la première échéance électorale. «Le PS n’est pas contre le projet en soi, assure Ridouane Chahid, puisque c’est nous qui l’avons implémenté dans la précédente majorité, à laquelle Ecolo n’était pas rattaché. Nous demandons simplement au ministre de revenir à la raison. Soit nous trouvons une solution d’ici la fin de la législature, soit le Parti socialiste remettra ce point à l’ordre du jour du prochain attelage exécutif. Quoi qu’il en soit, le report de l’interdiction des véhicules polluants reste notre priorité».

Certains véhicules diesel Euro 5 et essence Euro 2 pourront tout de même circuler à Bruxelles au-delà du 1er janvier 2025. Il existe des dérogations pour les ménages avec une carte PMR, et les conducteurs qui viennent occasionnellement dans la capitale peuvent acheter un Pass d’une journée pour 35 euros, renouvelable 24 fois par an.

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