« A Namur, il fait bon vivre »: pourquoi des quartiers sont 109% plus riches
La capitale wallonne s’étend sur un vaste territoire où l’on passe très vite du centre-ville à une couronne urbaine puis à une périphérie, par endroits presque rurale. Radioscopie de ces trois zones sous forme de «match». Amical, bien sûr.
«A Namur, il fait bon vivre.» La capitale wallonne entretient cette réputation depuis des décennies. Elle n’est sans doute pas près de la perdre tant, effectivement, cette douceur saute aux yeux lorsqu’on se balade dans certaines parties de la «vieille» ville ou le long de la Sambre et de la Meuse, par exemple. Cette réputation est toutefois un brin vague, ou désincarnée, appliquée à un territoire de 176 kilomètres carrés – Liège et Charleroi n’en font respectivement que 69 et 103 – et vu les caractéristiques si différentes selon qu’on se trouve dans le centre-ville, les quartiers urbains limitrophes longeant les grands axes de pénétration ou dans les villages parsemés de la périphérie.
Bref, avec ses 46 quartiers, le territoire namurois est pluriel. Territoire que l’on peut répartir en trois périmètres de référence:
– La Corbeille, avec ses trois quartiers: Namur-Centre, Cathédrale et Célestines.
– La première couronne et ses onze quartiers: Bomel, Saint-Servais, Trois Piliers, Salzinnes, Les Sources, Bas Près, La Plante, Amée, Velaine, Jambes-Centre et Herbatte.
– La zone englobant la seconde couronne (onze quartiers: Belgrade, Flawinne, Saint-Marc, Frizet, Vedrin, Comognes, Moulin à Vent, Bouge, Beez, Montagne et Fond de Malonne), les alentours résidentiels (huit quartiers: la Leuchère, Suarlée, Hauts de Malonne, Citadelle, Vierly, Fooz-Wépion, Géronsart et Erpent) et les alentours ruraux (treize quartiers: Temploux, Daussoulx, Cognelée, Champion, Gelbressée, Boninne, Marche-les-Dames, Lives, Loyers, Andoy, Wierde, Naninne et Dave).
Ce découpage correspond à trois grands stades de développement. «La Corbeille, c’est la ville historique, délimitée autrefois par la dernière enceinte, bâtie au XIVe siècle, précise Christian Jacques, collaborateur didactique au département de géographie de l’UNamur. La première couronne, qui s’identifie à la banlieue, correspond à la première extension de Namur au-delà de la Corbeille, à la période industrielle (1850-1950), dans les plaines alluviales et les bas de versants de la Sambre et de la Meuse. Ce mouvement d’urbanisation suit les voies ferrées et les anciennes grandes chaussées partant du centre-ville. Quant à l’espace périurbain, soit la couronne extérieure, il se met progressivement en place à partir des années 1950 avec la généralisation de l’accès à la voiture individuelle.»
Des morphologies différentes
Ces trois espaces présentent des morphologies très différentes. Le bâti de la Corbeille, urbain et dense, dans lequel Namur loge l’essentiel des fonctions (politique, administrative, éducative, commerciale…) qui font d’elle une capitale régionale et une ville, n’a ainsi rien de commun avec celui de la périphérie. Dans cette dernière, ce sont souvent les villas quatre façades qui dominent, construites dans des quartiers plus ou moins récents, ou les maisons de village, restées dans un certain «jus».
Entre les deux, le bâti de la première couronne se partage entre maisons mitoyennes et grands immeubles à appartements, essentiellement. «Mais il existe une diversité du bâti au sein même de cette première couronne, fait remarquer Audrey Contesse, directrice de l’Institut culturel d’architecture Wallonie-Bruxelles (ICA-WB). A Jambes, on peut voir des bâtisses Art nouveau, liées autrefois à un tourisme nautique. Ce n’est pas le cas à Bomel ou à Saint-Servais, par exemple, où se trouvent les anciens quartiers ouvriers, apparus à la période industrielle.»
Les Namurois ne se répartissent pas uniformément sur le territoire communal: 6,46% d’entre eux habitent la Corbeille. Ce qui permet aux trois quartiers de celle-ci, d’une superficie de 1,26 km2 à peine, de présenter la plus forte densité de population (5 842 habitants par km2) ; 39,84% vivent dans la première couronne, un espace «limité» de 13,79 km2 qui, par conséquent, affiche une certaine densité de population (près de 3 300 habitants par km2). Les autres 53,70% se répartissent sur les plus de 160 km2 restants, un territoire dont la densité est forcément beaucoup plus faible (380 habitants par km2).
Le centre de Namur, plus jeune et plus isolé
«Le centre-ville se caractérise par une population dont l’âge moyen est moins élevé (autour de 39 ans), analyse Christian Jacques. Les parts des moins de 20 ans et des plus de 60 ans sont moindres que sur les deux autres territoires. Mais il se caractérise aussi par la taille plus réduite des ménages (1,6 personne). Deux tiers de ces derniers sont composés d’une seule personne.» Une «tendance» qui fait écho aux subdivisions connues par de nombreux bâtiments du centre-ville.
La première couronne a des caractéristiques propres également. La taille moyenne des ménages y grimpe à près de deux personnes. Les isolés sont toujours nettement majoritaires. Mais les ménages de deux personnes (couple ou un parent avec un enfant) gagnent en importance. Notamment dans les quartiers de Jambes-Centre, La Plante, Herbatte, Velaine ou Amée, où ils représentent plus d’un quart des situations. Ceux de trois personnes ou plus (des familles avec enfants) suivent dans cette première couronne une évolution similaire. Dans les quartiers des Bas Près, de Saint-Servais, d’Amée et des Trois Piliers, ils représentent un quart des ménages également.
«L’âge moyen de la population de cette proche banlieue s’élève à presque 42 ans», complète Christian Jacques. Mais ce chiffre cache des disparités. Entre Jambes-Centre ou La Plante, par exemple, où il dépasse les 45 ans, et les quartiers du nord-ouest, où il descend sous les 40 ans.
L’espace périurbain, enfin, présente d’autres singularités encore. C’est là, notamment, qu’on trouve les ménages les plus «grands» (2,4 personnes). «Un sur trois y est composé d’une seule personne, un autre de deux personnes et le troisième de plus de trois personnes», indique Christian Jacques. Selon le géographe, c’est dans cette couronne extérieure que les habitants sont également les plus âgés (43 ans, en moyenne). Avec la plus forte proportion de personnes de 60 ans et plus.
La périphérie, beaucoup plus riche
Ces répartitions sur le territoire sont le fruit de différentes logiques. Une des plus «puissantes» est socioéconomique. On peut s’en rendre compte en jetant un œil sur les niveaux de revenus, notamment. La Corbeille affiche ainsi – déclarations fiscales 2021 revenus 2020 – trois des quatre revenus médians par quartiers les plus bas, suivie par les espaces de la première couronne puis ceux de la périphérie. Sans exception. Les écarts entre les valeurs aux extrêmes sont considérables. Ainsi, les quartiers des Célestines et de Namur-Centre présentent des revenus respectivement de 17 248 et 17 710 euros. A l’autre bout, ceux de Bonnine ou de la Citadelle s’élèvent à 36 079 et 36 157 euros. Une différence de l’ordre de 109%.
Ces revenus influencent les lieux de résidence des Namurois. Ce sont eux qui, lorsqu’ils sont suffisamment importants, leur ouvriront les portes de la couronne extérieure. Moindres, ils les cantonneront souvent dans la Corbeille ou la première couronne.
Namur: trois zones très compartimentées
La suite en découle. Contrastes de territoires et différences de revenus déterminent des «façons de vivre» très diverses. Le tout sur un espace communal qui, même s’il est vaste, entretient des proximités. L’économiste namurois Philippe Defeyt propose d’appréhender cette différence de modes de vie par les taux d’emploi: «C’est une variable fondamentale qui témoigne non seulement du niveau de vie mais aussi du degré d’intégration dans la société ou de la présence dans les quartiers pendant la journée. Or, on voit que ces taux d’emploi sont différents selon les secteurs: élevés en périphérie, beaucoup moins importants à mesure que l’on se rapproche du centre.»
«On ne vit pas de la même façon partout, c’est évident, confirme Nicolas Mormaque, futur responsable de l’action culturelle au Centre culturel de Namur. Résider dans un quartier de logements sociaux à Amée ou à Saint-Servais, c’est une façon. Habiter dans les quartiers plus riches d’Erpent ou de la Citadelle, c’en est une autre. Et dans un quartier rural comme Marche-les-Dames, Gelbressée ou Loyers, avec les difficultés de déplacement que cela peut supposer lorsqu’on n’a pas de voiture, encore une autre.»
Selon ce dernier, d’ailleurs, la morphologie du territoire namurois avec ses limites naturelles (voies d’eau, vallées…) et physiques (voies ferrées, chaussées…) ainsi que ses distances favorise cette forme de compartimentage, où le centre-ville est peut-être moins «commun» qu’on pourrait croire. «Je ne suis pas sûr que tous les habitants de la périphérie se déplacent vers le centre pour faire leurs courses, par exemple. Et pour le tissu culturel ou associatif, beaucoup de villages ont souvent leurs propres dynamiques. Autrement dit, le centre n’est pas forcément non plus cet espace vers lequel les Namurois sont inévitablement tournés.»
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