Réforme des pensions: pourquoi il fallait absolument un accord
Le gouvernement fédéral, faute de s’entendre sur la réforme fiscale, est parvenu à atterrir sur le dossier des pensions. Ce n’est pas une réforme majeure, mais un accord mineur. Par contre, échouer n’était pas une option.
Etonnante annonce que celle arrivée aux aurores, le 10 juillet. Au début du week-end, le comité ministériel restreint s’était engagé dans une énième session de négociations autour de la réforme fiscale portée par Vincent Van Peteghem (CD&V). Or, ce sont bien les contours d’une réforme des pensions qu’ont présentée le Premier ministre, Alexander De Croo (Open VLD), entouré de la ministre des Pensions, Karine Lalieux (PS), et de David Clarinval (MR), en charge des Indépendants et des PME.
L’opposition, mais aussi plusieurs économistes ont eu vite fait de disqualifier l’accord survenu dans la nuit de dimanche à lundi, le traitant de trop à la marge, manquant d’ambition, à des années-lumière d’une réforme structurante et à la hauteur de l’enjeu. Mais enfin, c’est un accord, qui a le mérite d’avoir été applaudi par l’ensemble des factions gouvernementales.
Le gouvernement s’est entendu pour plafonner la péréquation des pensions des fonctionnaires, ce mécanisme selon lequel les pensions des fonctionnaires retraités suivent les salaires des fonctionnaires en activité. Les pensions les plus basses seront épargnées, promet-on.
Ensuite, à partir de 2028, la contribution dite «Wijninckx» sur les primes payées dans le cadre de pensions complémentaires passera de 3 à 6%. Le rabotage de la quatrième tranche d’augmentation de la pension minimum, décidé lors du conclave budgétaire de mars, est confirmé.
Le gouvernement a également confirmé la nécessité de prester vingt ans de carrière effective pour accéder à la pension minimale, mais a élargi le cadre des périodes assimilées, dans le but de réduire les inégalités dont pâtissent les femmes. Y sont ajoutés des congés thématiques, des crédits-temps pour des soins palliatifs ou des soins à un enfant porteur de handicap, le congé d’adoption, etc.
Enfin, et c’est dans doute la mesure la plus «tangible», le gouvernement confirme la réintroduction d’un bonus pension pour les travailleurs qui choisiront de ne pas partir en pension anticipée. C’est un incitant pour maintenir les seniors au travail. Nouveautés: le montant sera net et, surtout, la possibilité existera de le recevoir en un versement unique lors du départ à la retraite. Ce montant sera progressif, en fonction du nombre d’années supplémentaires prestées, pour atteindre 22 645 euros au bout de trois années, voire davantage si la carrière se prolonge.
Au total, ces mesures représentent, selon les estimations avancées par le gouvernement, un progrès dans la soutenabilité du système de pensions, à savoir une économie de 0,5% du PIB, environ trois milliards d’euros, à l’horizon 2070.
Alors que le kern s’échine depuis plusieurs semaines à avancer sur la réforme fiscale, pourquoi donc a-t-il trouvé un accord semblant tomber du ciel sur les pensions? L’affaire a l’air d’avoir été réglée en deux coups de cuillère à pot. Mais le gouvernement De Croo avait de très bonnes raisons de ne pas échouer en ce dimanche de juillet.
La menace européenne
Les ministres s’en défendaient, arguant qu’il ne fallait pas interpréter l’accord comme une réponse aux remontrances européennes. Mais il est impossible de dissocier la viabilité du système belge des pensions des financement européens promis dans le cadre du plan de relance, pour lequel la Belgique espère obtenir un montant global de 4,5 milliards d’euros.
La Belgique n’a toujours pas introduit sa demande auprès de la Commission européenne pour recevoir sa première tranche de subsides (847 millions d’euros). Une menace pèse également sur les deux tranches suivantes, la Commission européenne conditionnant le fait de délier les cordons de la bourse à l’adoption d’une réforme qui rende le financement des pensions viable sur le long terme. Or, comme l’a constaté l’Europe, le premier paquet de mesures adopté il y a un an alourdissait la facture, au lieu de l’alléger. De ce point de vue, l’accord du week-end dernier peut être interprété comme une correction.
Sera-ce suffisant? La secrétaire d’Etat au Budget, Alexia Bertrand (Open VLD), avançait, voici quelques semaines, la nécessité de faire un effort de 1 ou 1,2% du PIB, au terme d’une réunion avec une haute fonctionnaire européenne. Le PS ne consentait a priori qu’à faire un effort de 0,3%. A l’arrivée, le récent accord se contente de 0,5% du PIB, ce qui devrait satisfaire aux exigences européennes. Tel est du moins l’avis du secrétaire d’Etat à la Relance, Thomas Dermine (PS).
Il convient d’interpréter avec prudence les rappels à l’ordre de l’administration européenne, soutient-il, dès lors que la délivrance des subsides constitue un choix politique de la Commission européenne. Or, considère Thomas Dermine, la seule base légale émanant de la Commission européenne est le CID (Council Implementation Decision) qui balise, sans les chiffrer explicitement, les améliorations à apporter au régime de pensions: une soutenabilité financière et sociale, des mesures pour encourager les travailleurs aptes à prendre leur pension anticipée à rester en activité, la garantie d’une pension minimale décente et d’un équilibre entre les genres, une convergence entre les différents régimes de pensions.
La réforme fiscale ne semble plus absolument nécessaire que pour le seul ministre des Finances.
Toutes les cases sont désormais cochées, selon le secrétaire d’Etat. Ce vendredi, le Conseil des ministres devrait avaliser les ajustements au plan de relance, qui permettront à la Belgique d’introduire à la mi-septembre une demande de paiement en bonne et due forme. Il faudra alors attendre plusieurs semaines pour que la Commission européenne délivre les montants. Ou ne les délivre pas, si la réforme ne satisfait pas ses attentes, ce qui est à peine envisageable, à en croire Thomas Dermine.
Pensions et fiscalité: une réforme plus mûre que l’autre
Le gouvernement fédéral a conclu un accord avec Engie sur le nucléaire. Restaient, à l’agenda fixé par le Premier ministre avec le 21 juillet pour échéance, les réformes fiscale et des pensions. C’est bien l’impossibilité de conclure sur la première qui a permis de précipiter un accord sur la seconde, le week-end dernier. Le PS et sa ministre Karine Lalieux se tenaient prêts, depuis de longs mois, répète-t-on chez les socialistes, où l’on était suspendu au bon vouloir du Premier ministre, maître de l’agenda.
Dimanche, les divergences gauche-droite étant encore trop importantes sur la réforme fiscale, les négociations étaient promises à l’échec. Politiquement, c’eût peut-être été insoutenable pour Alexander De Croo, qui insiste sur le fait que les discussions se poursuivent.
En attendant les clarifications sur la réforme fiscale, donc, l’idée est survenue de sauver les meubles en s’attaquant à la réforme des pensions, cruciale à long terme et brûlante à court terme. Et d’appeler Karine Lalieux à se joindre aux discussions, dimanche, elle qui se trouvait à Paris à l’occasion d’un séjour d’ordre privé. Cela n’aura pas été au goût de Vincent Van Peteghem, qui a vu l’aboutissement de «sa» réforme fiscale lui passer sous le nez. Même si quelques avancées en la matière ont été enregistrées, assure Alexander De Croo.
Si la note présentée par De Croo et Lalieux dimanche a abouti en quelques heures à un accord, c’est aussi parce que l’air de rien, les longs mois de palabres lui auront permis d’être suffisamment mûre. C’est en tout cas ce qu’on laisse entendre auprès de plusieurs membres du kern, où l’on reconnaît à Karine Lalieux le fait d’avoir intelligemment discuté de sa réforme avec les différentes composantes de la Vivaldi, à l’occasion de réunions bilatérales. «Ce travail-là, Vincent Van Peteghem ne l’a pas fait. Il veut passer en force», glisse un négociateur. Quant à savoir si les prochains jours permettront au gouvernement de trouver une formule sur la fiscalité, fût-elle minimale, cela relève encore de l’inconnu. Cela ne semble plus être une absolue nécessité que pour le seul ministre des Finances.
Un bon vieux compromis autour des pensions
Le principe est connu: dans une coalition à sept partis, à défaut d’engranger des réformes structurantes, l’enjeu consiste bien à trouver des accords qui satisfassent suffisamment tout le monde sans rebuter personne.
A ce propos, la question de la péréquation des pensions de fonctionnaires est emblématique. Il s’agit du gros morceau de la réforme, puisque sur les efforts de 0,5% du PIB, ce seul point englobe 0,39% (environ 2,4 milliards d’euros), selon les estimations. Pour schématiser, le MR voulait supprimer le système, le PS ne comptait pas y toucher. Le compromis, un plafonnement du système à 0,3% de la masse des pensions des fonctionnaires, aura été une des clés pour trouver le point d’équilibre.
Cette concession de la ministre des Pensions trouve sa réponse dans un contribution «Wijninckx» accentuée, visant les plus grosses pensions complémentaires. Une forme du mécanisme de solidarité des pensions les plus élevées, du point de vue socialiste.
Une autre mesure qui aura permis d’accorder les violons, comme l’indiquait d’ailleurs David Clarinval, est l’incitant à reculer l’âge de départ à la retraite – le bonus pension – qui pourra être perçu en un versement unique. Les libéraux y voient une récompense du travail, les socialistes une réduction des inégalités pour les catégories de la population les moins aisées, dont l’espérance de vie est moindre. Une mesure «sexy» en apparence, inspirée à Karine Lalieux par une mesure similaire en Espagne. Certains économistes ont pointé une forme d’injustice pour les femmes, dont l’espérance de vie est plus importante. Et même si la mesure ne résout pas en profondeur la question du taux d’emploi des seniors, elle a au moins la saveur d’un accord politique qui rassure un peu une coalition qui en avait bien besoin.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici