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Rajae Maouane, rédactrice en chef d’un jour: « L’enjeu, c’est de faciliter l’accès des femmes au marché de l’emploi »

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Si elle était rédactrice en chef du Vif, la coprésidente d’Ecolo Rajae Maouane aimerait y publier un dossier consacré à l’accessibilité de l’emploi pour les femmes, une interview de Fatima Ouassak ou encore un reportage sur les peuples d’Amazonie.

Dans les colonnes des présidents de parti: Rajae Maouane

Le compte à rebours sera bientôt enclenché. Les élections régionales, fédérales et européennes se tiendront dans un peu plus d’un an.

A cette occasion, Le Vif a demandé aux présidents des six grands partis francophones d’endosser le costume de rédacteur en chef d’un jour. Chacun à leur tour et six semaines durant, ils exposeront les choix qu’ils effectueraient s’ils étaient à la tête de la rédaction. Eux qui s’appuient sur les médias pour défendre leur projet aiment aussi, de temps à autre, à critiquer le travail des journalistes. Les voilà libres de jouer le jeu, fictivement bien entendu.

Nous leur avons demandé de rédiger un éditorial, dans lequel ils s’adressent aux abstentionnistes, aux citoyens qui éprouvent de la désaffection envers la politique, pour les convaincre de se rendre dans l’isoloir.

Les présidents de parti proposeront également un sujet dont ils regrettent qu’il soit tabou et estiment qu’il mériterait pourtant de faire la couverture de notre magazine. Il leur a été demandé de suggérer un reportage international, une personnalité à rencontrer pour un grand entretien et, enfin, de mettre en lumière un chiffre qui compte à leurs yeux. Cinq éléments qui seront décryptés, décodés, analysés par la rédaction du Vif.

L’édito de Rajae Maouane: « Ecolo, pour un monde plus vert et plus juste »

Pandémie, guerre en Ukraine, vagues de chaleur, inflation… Face aux crises qui se succèdent, il est temps de sortir des oppositions classiques du monde politique et des combats de coqs. On doit répondre ensemble à deux questions vitales: comment protège-t-on les citoyennes et citoyens et comment accélère-t-on la transition écologique?

C’est le cœur de l’action d’Ecolo. Des communes à l’Europe, les écologistes agissent avec détermination pour une transition juste et pour répondre aux défis climatiques et de la biodiversité.Ecolo se bat sur de nombreux dossiers, parfois avec succès, avec l’envie de poursuivre plus haut et plus fort ces réalisations au-delà des échéances électorales. Le nombre de projets montre la détermination des écologistes à se battre pour que politique rime avec changements positifs et solutions.

La Belgique est, par exemple, devenue un des acteurs principaux de l’éolien dans le monde, avec des milliers d’emplois à la clé, une énergie à un coût accessible et sans CO2.

La Wallonie et Bruxelles connaissent une accélération sans précédent de la rénovation du bâti. Du jamais-vu pour économiser de l’énergie à grande échelle.

Un appel est lancé pour créer 5 243 places de crèches supplémentaires en quatre ans. Nous avons instauré la gratuité de la crèche pour les bénéficiaires du statut BIM et une diminution de 30% pour les parents solo.

En 2024, utilisez votre voix pour qu’ensemble, on continue à travailler à un monde plus juste et plus vert. »

Sa « cover taboue »: « L’enjeu, c’est de faciliter l’accès des femmes au marché de l’emploi »

La coprésidente d’Ecolo aimerait mettre en lumière les solutions facilitant l’accès à l’emploi. Et valoriser le travail «invisible» de nombreuses femmes.

Pour augmenter les droits des femmes, il faut les aider à intégrer le marché du travail. © getty images

Quel sujet, trop tabou à vos yeux, mériterait de faire la couverture du Vif?

Je ne sais pas si c’est tabou mais c’est un sujet de société qui me tient fort à cœur. Aujourd’hui, comment crée-t-on des droits dans le travail, pour les pensions, etc.? En intégrant le marché de l’emploi. Y faciliter l’accès aux femmes est donc un enjeu très important. Il est plus intéressant de parler des solutions que d’essayer d’expliquer, par exemple, que les femmes ont moins accès au travail en raison d’un «modèle méditerranéen» ou autre. Les stéréotypes ne servent personne.

Quelles solutions préconiseriez-vous?

Des femmes veulent travailler et il faut leur faciliter la vie, notamment en améliorant l’accès aux crèches. Bénédicte Linard a mis en œuvre un plan pour débloquer plus de cinq mille places depuis qu’elle est ministre (NDLR: de l’Enfance à la Fédération Wallonie-Bruxelles). On peut rendre les crèches gratuites pour les bénéficiaires du statut BIM (Bénéficiaire de l’intervention majorée), réduire de 30% le prix pour les parents solo, etc. Une autre façon d’aider les femmes consiste à lutter contre les discriminations. A Bruxelles, il y a eu une avancée avec l’ordonnance testing (NDLR: instaurant des tests de discrimination à l’embauche). Les personnes d’origine étrangère ont trois à quatre fois plus de risque d’être discriminées. Il faut aussi permettre davantage de pauses dans les carrières et les «banaliser», en quelque sorte, pour éviter que réintégrer le parcours professionnel ultérieurement devienne compliqué. Certaines femmes font le choix d’une pause pour s’occuper de leurs parents, de leurs enfants, etc. Elles le paient plus tard sur le plan de l’accès aux droits, notamment à la pension. Notre proposition est le «splitting», cette solidarité dans le couple, notamment dans le cadre classique du couple hétéronormé où monsieur travaille et madame fait une pause pour s’occuper des enfants. La solidarité doit être partagée, volontaire, consentie. L’idée est de répartir à parts égales les montants des pensions entre conjoints, pour en finir avec ce déséquilibre, encore pire quand les personnes sont séparées. On parle ici du travail invisible fourni par beaucoup de femmes.

Travail invisible qu’il faut davantage valoriser?

Nous plaidons pour une prise en compte dans le calcul des pensions des congés parentaux, de maternité, d’allaitement, pour prendre soin des proches, etc. Ces arrêts ne sont pas toujours bien vus. Or, ce sont des services utiles à la collectivité. La question est comment les valorise-t-on et comment ne pas invisibiliser les femmes qui font ces choix.

Comment décliner le sujet?

Deux volets: des chiffres et du vécu. Il faut chiffrer la différence sur les pensions ou les salaires, par exemple. C’est très éloquent. Or, le travail de ces femmes qui s’occupent de leurs proches, combien cela permet-il d’épargner à la collectivité, au final?

Est-ce objectivable?

Pas totalement, sans doute, mais on peut l’évaluer. Une chercheuse française avait estimé le coût du patriarcat (NDLR: Lucile Peytavin, dans Le coût de la virilité, Ed. Anne Carrière, 2021). Après, il y a le volet témoignages. C’est transversal, on peut sortir des clichés. Il ne s’agit pas juste de familles classiques d’origine maghrébine. Cela touche aussi des milieux huppés où les femmes font le choix de ne pas travailler. Parfois sans le vouloir et cela peut rendre les femmes dépendantes.

Le sujet ne se retrouve pas suffisamment dans les médias?

On n’en parle pas assez, ou alors par le petit bout de la lorgnette: par le prisme des pensions quand le sujet est sur le table, le 8 mars, etc. Le sujet mériterait un traitement de fond.

Son reportage international: à la rencontre des peuples autochtones d’Amazonie

Les peuples d’Amazonie subissent de plein fouet les conséquences du dérèglement climatique. © belgaimage

«Il y a quelques mois, ici à Bruxelles, j’ai rencontré des représentants de peuples autochtones d’Amazonie», raconte Rajae Maouane, qui se dit marquée par l’expérience. Il s’agit, en l’occurrence, des peuples Huni Kuin, Munduruku, Karajá, Pataxó et Sateré-mawé, énumère-t-elle. «Je pense qu’aller à leur rencontre ou les rencontrer lors d’un de leurs passages en Europe pourrait être très riche.»

Les représentants de ces peuples sensibilisent aux conséquences du dérèglement climatique, qu’ils subissent de plein fouet. «Le dérèglement climatique, on sait que c’est un problème très important mais, souvent, ça ne nous touche pas encore dans notre quotidien. C’est lointain dans le temps et l’espace, en quelque sorte. Evidemment, nous avons connu des sécheresses et des inondations, ces dernières années, qui rendent les conséquences du dérèglement de plus en plus proche», observe la coprésidente d’Ecolo.

Ces peuples, eux, sont en prise directe avec ses conséquences. «Quand on les rencontre, ils expliquent comment cela influence leur quotidien: pour se nourrir, se déplacer, accéder à l’eau, etc. Je me souviens d’une des femmes exposant la façon dont elle ressentait les effets du dérèglement climatique jusque dans sa chair. Ces gens sont tellement en interaction avec les éléments de la nature qu’ils ressentent cela de façon incarnée», analyse encore Rajae Maouane.

Son chiffre: 100.000

«C’est le nombre d’emplois directs qui pourraient être créés en Belgique à l’horizon 2030, dans la seule économie circulaire.» L’estimation provient d’une étude de PwC, qui évalue, en fonction des scénarios, la possibilité de créer 15 000 à 100 000 emplois et une valeur ajoutée de un à sept milliards. «Cela démontre une fois de plus qu’il faut investir dans la transition économique», soutient Rajae Maouane, alors qu’Ecolo tenait un congrès sur l’économie le 15 avril. «Contrairement à certaines idées reçues sur l’écologie politique, ces investissements, en réalité, rapportent et font du bien à la planète, à la société, au portefeuille.»

Son grand entretien: Fatima Ouassak ou l’écologie pour tous

Rajae Maouane apprécierait un long entretien avec Fatima Ouassak. «Elle est politologue, militante et a cofondé le Front de mères, un syndicat de parents d’élèves en banlieue parisienne. Elle a milité pour une alternative végé à la cantine scolaire, ce qui l’a amenée à l’écologie.»

Une personnalité qui l’inspire. «Elle parle d’écologie comme on n’a pas l’habitude d’en parler, c’est-à-dire pas de façon intellectuelle, réservée à une classe un peu supérieure. Là, il y a un angle mort pour l’écologie politique. En Belgique, comme en France et ailleurs, on a du mal à s’adresser aux classes populaires. Elle le fait très bien, elle en est issue, tout en étant politologue.»

La coprésidente d’Ecolo explique se retrouver pleinement dans la vision développée par Fatima Ouassak, qui a publié La Puissance des mères (La Découverte, 2020) et, récemment, Pour une écologie pirate (La Découverte, 2023). «Le projet écologiste ne peut pas être déconnecté des luttes antiracistes, féministes, pour l’émancipation. Sa vision renforce en moi la conviction que justice environnementale et justice sociale sont les deux faces d’une même pièce», commente-t-elle encore.

Décryptage | Les écolos sont-ils vraiment différents?

«Quand on est au pouvoir, on agit», lance Rajae Maouane. Tel est le message qu’elle entend faire passer à travers son édito: Ecolo est un parti qui obtient des avancées, Ecolo est un parti qui se démarque des autres, Ecolo n’est pas un parti traditionnel.

Le dire est une chose, en convaincre l’électorat en est une autre. C’est qu’Ecolo s’est probablement installé dans l’esprit de nombreux Belges dans la catégorie des partis de pouvoir, pas tellement différent des autres. Il est vrai qu’Ecolo n’émane pas de l’une des trois familles traditionnelles, ce que l’on peut également dire du PTB, de DéFI ou de la N-VA, soit dit en passant. Par contre, il est vrai aussi qu’on a régulièrement retrouvé les verts au sein des coalitions gouvernementales au cours du dernier quart de siècle.

Bien sûr, à l’heure de se présenter devant les électeurs, les écologistes pourront s’appuyer sur des avancées obtenues dans les différents exécutifs. Rajae Maouane en évoque quelques-unes dans son éditorial. Ils devront également traîner quelques fardeaux, c’est-à-dire assumer le fait d’avoir été mis en difficulté sur la gouvernance, à travers la démission de Sarah Schlitz, d’être associés au dossier polémique des pensions des parlementaires, d’avoir participé aux tensions internes au gouvernement bruxellois ou encore, on l’a tant de fois relevé, d’avoir dû courber l’échine à propos du nucléaire, un de leurs thèmes fondamentaux.

Les récentes déconvenues ont aussi laissé apparaître quelques tensions à l’intérieur du parti. C’est inhérent à chaque formation politique, mais cela ne fait qu’accentuer cette petite musique selon laquelle Ecolo, au final, n’est pas un parti tellement différent.

Logiquement, les verts continueront de miser sur quelques-uns de leurs axes forts, qui transparaissent dans les choix opérés par Rajae Maouane.

Le 15 avril, le parti organisait un congrès wallon consacré à l’économie, au cours duquel il a été rappelé à quel point il est nécessaire d’accélérer la transition, la faire transcender dans l’ensemble du tissu économique. La rengaine est de mise: contrairement à une idée reçue, répètent les écologistes, la transition engendre des opportunités plutôt que des freins. Ce n’est pas pour rien que la coprésidente cite le nombre de créations d’emplois qui, selon des projections de PwC, pourrait être atteint à l’horizon 2030 dans l’économie circulaire.

A travers le témoignage des peuples autochtones d’Amazonie, ce sont les désastres causés par le dérèglement climatique, dès à présent palpables, sur lesquels Rajae Maouane entend mettre un coup de projecteur. La Belgique en a fait quelques douloureuses expériences ces dernières années, mais les implications dans le quotidien de ces habitants du «poumon de la Terre» se manifestent à un degré supérieur, avance-t-elle. Il n’y a rien d’anormal, évidemment, à ce que le parti fondé sur la défense de l’environnement continue d’en faire son combat principal.

Enfin, à travers la question de l’emploi des femmes et la figure de la militante française Fatima Ouassak, Ecolo se positionne sur le combat féministe et la lutte contre les discriminations. Sarah Schlitz n’avait pas encore démissionné au moment où Rajae Maouane nous livrait ses choix éditoriaux. Mais paradoxalement – et quoi qu’on pense du fond de l’affaire –, l’épisode malheureux pour Ecolo aura aussi remis ces enjeux au premier plan du débat public.

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