Quintin le préféré, De Wever le British, Franck le nerveux… Ce qu’il faut retenir des exposés des ministres de l’Arizona (analyse) 

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

A la Chambre, les exposés d’orientation politique des ministres fédéraux ont un peu précisé les intentions de l’Arizona. Mais toujours sans données chiffrées: il faudra pour ça attendre le vote du budget.

Depuis le 18 mars, et, pour ceux qui n’auront pas terminé en une séance, les quinze ministres du gouvernement De Wever présentent en commission de la Chambre leurs exposés d’orientation politique respectifs. Il s’agit d’un moment important d’une législature, juste après les débats en plénière sur la confiance. Chaque ministre y est censé défendre, face aux députés spécialisés dans ses matières, les futures lignes de son action pour les quatre prochaines années. C’est la première vraie confrontation de l’exécutif et du législatif, et Le Vif peut déjà tirer quelques conclusions d’un exercice fondateur d’une action politique mais qui sort rarement du rituel parlementaire, avec ses faux arguments, ses blocages majorité-opposition et ses morceaux de bravoure destinés aux réseaux sociaux.

Les chiffres sont fantaisistes

Les comptes de l’Arizona manquaient déjà de sérieux. Les économistes le déploraient. Désormais, ils sont officiellement en infraction avec les dispositions réglementaires les plus basiques. Même les non-juristes l’ont remarqué. L’opposition l’a rappelé à chaque séance ou presque. Surtout dans celle où Bart De Wever, Premier ministre, est venu présenter quelques blagues ainsi que ses ambitions de réforme de l’Etat, le 19 mars, en commission de la Constitution et du renouveau institutionnel.

Il faut dire qu’elle avait commencé avec deux heures de retard, deux heures pendant lesquelles le kern, avec Theo Francken, ne s’était pas mis d’accord sur la révision d’une trajectoire budgétaire que l’opposition de gauche et de droite, étançonnée de tous les organes de monitoring du royaume et étayée de tous les économistes de Belgique, trouvait déjà fin janvier audacieuse, voire farfelue, et pour laquelle il faudra, réarmement oblige, trouver 17 milliards de munitions d’ici à 2029.

La récrimination infligée à Bart De Wever en commission de la Constitution ne valait pas seulement pour lui mais pour les quatorze collègues de son gouvernement. Le Premier s’en est sorti par une blague, ses quatorze comparses ont plus ou moins fait semblant de rien. L’infraction est patente mais restera impunie: après un exposé d’orientation politique, chaque commission vote, la majorité l’emporte sur l’opposition, et rien ne se passe. Pourtant, l’article 121 bis du règlement de la Chambre des représentants est limpide. Il dit que «les exposés d’orientation politique contiennent les choix stratégiques et les lignes directrices de la politique des membres du gouvernement pour la durée de la législature, en exécution de l’accord de gouvernement. Ils précisent les objectifs, le cadre budgétaire et le calendrier d’exécution». Aucun des ministres n’a pu préciser de cadre budgétaire, et l’infraction à ce règlement limpide a donc ajouté du flou à l’imprécision des objectifs et du calendrier d’exécution de l’accord de gouvernement.

Le prochain vrai rendez-vous des ministres avec leurs commissions, après l’adoption du budget 2025 par leur gouvernement, ce sera pour la discussion de leur note de politique générale, d’ici à quelques semaines. Où il leur faudra mettre le flou persistant de ces chiffres au clair définitif.

Bernard Quintin est activiste

Déjà tous les membres de la commission de l’Intérieur sont sous son charme: il est bilingue, diplomate de profession et de tempérament, il écoute en opinant, répond bien à toutes les questions. Et puis il dit qu’il fera les choses très vite et que ce n’est plus à discuter. Bernard Quintin est déjà le ministre préféré des députés francophones de l’opposition et de la majorité. Même si, dans l’une comme dans l’autre, tous les Bruxellois ne trouvent pas que le bonhomme d’Etat ganshorenois a raison de faire ce que tous les Wallons et tous les Flamands réclament, et vite. La fusion des six zones de police bruxelloises se fera avec beaucoup moins de concertation qu’annoncé aux 19 bourgmestres, et sans doute plus vite encore que redouté par ces derniers. Un texte sera déposé dès les prochaines semaines, a-t-il annoncé. Et pour son futur métro, la Région peut toujours courir pour recevoir davantage que les 400 millions donnés par le fédéral via l’accord de coopération Beliris. Le tout si rapidement que les députés d’opposition n’ont même pas eu le temps de ravaler leurs compliments.

Bart De Wever est séparatiste

Il est entré grave, sortant d’un kern sur la guerre pour entrer dans une salle de commission sur le conflit linguistique, et il s’est assis déjà guilleret. Comme si en s’asseyant, il se délestait d’un lourd habit de gravité et retrouvait sa tenue favorite, celle de l’humoriste flegmatique, un peu British flamingant. Son exposé, a-t-il blagué devant l’opposition unie pour psalmodier l’article 121 bis du règlement, contenait peu d’implications budgétaires, et certainement pas des dépenses nouvelles. «On va gagner de l’argent en supprimant le Sénat, et c’est pour ça que je compte sur vous, parce qu’il ne vous a pas échappé que mon gouvernement n’a pas de majorité des deux tiers», a-t-il rappelé. Puis il a reparlé de son projet de réforme lointaine, que lui et son cabinet devraient préparer pour la prochaine législature, mais que l’opposition estime cachée des francophones mais connue des Flamands. François De Smet (DéFI) lui a demandé s’il était un nationaliste déguisé en Premier, ou un Premier déguisé en nationaliste, et s’il proposerait des refédéralisations de compétences, ce qui inclinerait vers la seconde option de l’alternative. Bart De Wever a répondu, il ne proposera jamais de refédéralisations de compétences, uniquement des régionalisations, et il n’est jamais déguisé, sauf peut-être par son tailleur, «qui me donne toujours des costumes du XIXe siècle. Pour le reste, what you see is what you get», toujours flegmatique, un peu British flamingant. D’où le costume.

Frank Vandenbroucke est rassuriste

Le socialiste flamand incarne la Santé publique depuis le coronavirus, alors il submerge habilement l’opposition sous les détails techniques. Il l’accuse de fake news. Et surtout, il rassure les députés de la majorité. Même à la N-VA, on s’en était inquiété, chez Les Engagés aussi. Non, dit Frank Vandenbroucke devant la commission Santé, ce 18 mars, il ne va pas faire fermer les plus petits hôpitaux. Mais oui, il faudra réfléchir à ce que deviendront les hôpitaux de moins de 250 lits. Non, il ne fera pas faire d’économies au budget des soins de santé. Mais oui, il intégrera à ce budget des accords sociaux existants qui ne s’y trouvaient pas, et oui, la croissance du budget sera moindre que sous le gouvernement De Croo, mais c’est à cause de l’épidémie. Dans la majorité, on se rassure: il est fort, c’est sûr. Dans l’opposition, on murmure: il accuse de fake news, c’est dur.

Les comptes de l’Arizona sont en infraction avec les dispositions réglementaires les plus basiques.

Theo Francken est expansionniste

Il a fait ses preuves ministérielles sous le gouvernement Michel, qu’il a fait craquer sur le pacte de l’ONU sur les migrations. Il enfile un costume encore plus grand dans le gouvernement De Wever, alors le ministre de la Défense est déjà à l’attaque. Il a surpris ses collègues des autres partis en les poussant à augmenter très vite son budget. En commission, il était si nerveux qu’il faisait les cent pas pendant que les députés le questionnaient. Il n’en a jamais assez car il veut en obtenir beaucoup. Ses 17 milliards de plus d’ici à 2029, il verra comment il les dépensera, mais il sait déjà qu’ils lui donneront un ascendant sur un tas de collègues, parce qu’ils en feront presque tous profiter leurs départements. En collaboration avec la Défense, le ministre de l’Intérieur a déjà dit qu’il aimerait pouvoir utiliser de futurs hélicoptères, par exemple. Sans gros budget au départ, la compétence du Commerce extérieur, accordée en fin de négociation à Theo Francken, lui offrait déjà de l’aisance face au ministre des Affaires étrangères Maxime Prévot. Ces 17 milliards supplémentaires seront un lourd investissement dans sa diplomatie personnelle, au nom de la Défense nationale.

Anneleen Van Bossuyt est minimaliste

Elle est Gantoise, elle est N-VA, c’est sa première expérience exécutive, et comme son parti veut la mettre en vedette, elle a pour cela reçu le portefeuille le plus générateur de popularité à droite. Celui qui doit fermer tous les robinets: la migration, parce qu’il faut fermer les frontières, et l’intégration sociale, parce qu’il faut plafonner les allocations. Anneleen Van Bossuyt se prépare à ce vedettariat. Très, très, très prudemment. En migration, son exposé d’orientation politique devait approfondir l’accord de gouvernement, et il a été plus court que le chapitre consacré à cette matière dans l’accord de gouvernement. Peur de déjà se faire chicoter par le Vlaams Belang? Crainte que l’on remarque trop tôt que les économies promises n’arriveront pas de sitôt? Qu’importe. La future vedette flandrienne a encore le temps de peaufiner sa formation, alors elle le prend.

Rob Beenders est équilibriste

Son parti, Vooruit, lui a confié des thématiques de gauche, l’égalité et la lutte contre les discriminations, dans un gouvernement de droite, l’Arizona, qui lui refuse les moyens de les faire vivre comme son parti l’aimerait. L’Arizona a des ambitions mais pas encore trouvé tout le budget pour les réaliser. Rob Beenders, lui, a des idées mais n’aura jamais les capacités pour les imposer. Il essayé de placer l’une d’entre elles, les quotas dans les conseils d’administration des entreprises cotées en Bourse, avant son exposé d’orientation politique, parce que c’est dans une directive européenne à transposer, mais tous les partenaires de la coalition, surtout le MR et la N-VA, le lui ont refusé parce que ce n’est pas dans l’accord de gouvernement. Le Limbourgeois est pris en tenaille. Il est comme un tout petit fil rouge sur un gros gouvernement bleu.

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