Qui veut encore aller aux élections? «C’est plus par devoir que par envie»
La tâche des élus locaux s’avère de plus en plus ingrate. Difficile, dans ces conditions, de susciter l’engouement en prévision des futures élections, qui se dérouleront en 2024. Témoignages.
«Au fond de moi, je sais que je me suis engagé pour l’intérêt général, pour faire avancer les choses, commente Maxime Daye. Mais au quotidien, je constate que beaucoup de personnes pensent que je le fais par intérêt personnel ou pour l’argent, alors que vu le temps que j’y consacre, j’estime être payé dix euros de l’heure. Avec les mêmes responsabilités, dans le privé, je gagnerais bien plus et personne ne me critiquerait parce que je roule avec telle voiture ou que je suis parti en vacances.» Les propos du bourgmestre de Braine-le-Comte, par ailleurs président de l’Union des villes et communes de Wallonie (UVCW), lui appartiennent, mais correspondent, grosso modo, au témoignage de nombreux membres de collèges et de conseillers communaux. Peu réjouissant, à un an des élections du 13 octobre 2024.
A quoi bon se lancer dans la bataille électorale, lorsque de nombreux élus locaux dépeignent eux-mêmes des conditions d’exercice du mandat qui se sont détériorées? A douze mois du prochain scrutin, les groupes politiques galèrent, dans plus d’une commune, pour convaincre suffisamment de citoyens de s’engager.
Vaux-sur-Sûre, en province de Luxembourg, est une des six communes wallonnes dans lesquelles une seule liste s’est présentée aux élections de 2018. «La situation est de plus en plus complexe, reconnaît le bourgmestre, Yves Besseling. C’est le cas chez nous, mais les mêmes échos nous parviennent de plusieurs communes aux alentours. Nous avons 17 conseillers communaux, mais si nous sommes seuls, il faudra en trouver cinq supplémentaires. Je ne peux pas encore vous le certifier, mais il est possible que nous éprouvions quelques difficultés à trouver les deux ou trois derniers, pour compléter la liste.» Une tâche d’autant plus ardue qu’il convient d’assurer une représentation équilibrée des villages de l’entité.
D’autres priorités que les élections et la politique
Les difficultés pesant sur les communes se sont accumulées, ces dernières années. La période de pandémie, évoquée par de nombreux élus, a changé la donne. «Beaucoup se sont retrouvés confinés à la maison et ont pris conscience – je peux les comprendre – qu’il y avait des choses plus importantes dans la vie que le travail ou encore l’implication citoyenne ou associative», observe Yves Besseling, résumant un sentiment partagé.
«C’est la cata», lance pour sa part Maxime Léonet, bourgmestre de Daverdisse qui, avec 1.400 âmes, est la commune la moins peuplée de Wallonie. Là, deux groupes composent le conseil communal. «Je ne suis pas certain qu’en face, ils parviendront à présenter une liste pour les élections. De notre côté, je ne peux pas vous le garantir non plus. Si c’est pour repartir tout seul ou toujours avec les deux ou trois mêmes personnes qui font tout le boulot, ce sera compliqué», confesse-t-il.
Comme dans bien d’autres communes, la politique locale s’apparente plus à de la gestion qu’à une politique politicienne ou attachée aux grands partis. «Ce sont des mandats de proximité, qui exigent aussi beaucoup de polyvalence», précise Maxime Léonet. Trouver des personnes disponibles, motivées et, accessoirement, qui ont les qualités pour intégrer un collège communal et endosser les responsabilités est difficile.
J’ai connu une majorité à sept élus contre six. Honnêtement, ce fut une meilleure législature.
Hubert Jonet
C’est aussi ce que relève Hubert Jonet, bourgmestre de Verlaine, en province de Liège, où un seul groupe siège au conseil communal. «Si vous formez une liste attachée à un parti, vous avez une base, de la matière pour un programme, des idées politiques. Mais dans les plus petites communes, on est plutôt dans la gestion.»
Lui, comme annoncé, ne briguera plus le maïorat l’an prochain. La relève est assurée au sein de son collège. «Mais je me mets à la place des gens. Trouver quatre ou cinq personnes, c’est possible. Mais former une liste de quinze candidats, c’est autre chose. Et vous risquez de ne pas être tout à fait crédible si vous débarquez à dix mois des élections», poursuit-il. Ce n’est pas pour autant qu’il privilégie l’hégémonie d’une seule liste. A l’instar d’autres bourgmestres de communes à liste unique, il préfère nettement une configuration avec majorité et opposition. «Aujourd’hui, c’est quinze à zéro. J’ai connu une majorité à sept élus contre six. Honnêtement, ce fut une meilleure législature. Il fallait connaître son dossier sur le bout des doigts, l’opposition venait en conseil communal avec des questions inattendues, etc.»
Avec une seule formation aux affaires, l’organisation de la politique communale se décline autrement. Sans surprise, les bourgmestres concernés assurent que la démocratie locale est respectée. «On rencontre les personnes impliquées dans un projet, on discute, on cherche le consensus», explique Hubert Jonet. «L’objectif ne consiste certainement pas à passer en force, abonde Yves Besseling. Mais il est vrai que les discussions se déroulent en réunions de groupe, quelques jours avant le conseil.» Le débat public, en salle du conseil, est moins vivace qu’ailleurs.
Lynchage sur les réseaux
Cela ne signifie aucunement que le débat a disparu, parce qu’il existe un lieu, aussi virtuel fût-il, qui sert de caisse de résonance à bien des frustrations: les réseaux sociaux. Il s’avère compliqué de trouver un bourgmestre qui ne mentionne pas cette évolution comme une entrave à la sérénité. «Une personne vous interpelle à huit heures du matin sur Messenger. Elle voit que vous avez lu son message. Si elle n’a pas de réponse dans l’heure, elle le fera savoir sur les réseaux sociaux et vous passerez pour un bourgmestre qui n’écoute pas ses concitoyens. C’est ce que j’appelle le phénomène du “tout, tout de suite”», illustre Maxime Daye.
Cette réalité n’est pas neuve mais prend désormais une nouvelle dimension: quelques citoyens mécontents ont la capacité de faire beaucoup de bruit pour décrédibiliser les élus locaux, sans doute bien plus que la majorité silencieuse. Il n’est pas rare que le mécontentement porte, de surcroît, sur des compétences qui ne relèvent pas de l’autorité communale.
A l’inverse, les matières gérées par les communes, à bien des égards, sont plus concrètes qu’à d’autres niveaux, donc plus susceptibles de faire l’objet de frustrations. Promettre un redressement du taux d’emploi ou des moyens dans la justice est une chose, s’engager dans la réfection d’une voirie ou la construction d’un hall omnisports en est une autre, plus tangible.
Dans un contexte de ressentiment, je dis qu’il faut faire attention à ne pas rendre la vie trop compliquée à l’institution la moins mal aimée.
Olivier Deleuze
Des choix doivent être posés. «Or, quand vous êtes élu, vous devez arbitrer. Ce n’est pas simple de boucler un budget. Certaines personnes s’engagent en politique et vont aux élections avec le but de défendre un projet particulier, leur quartier, leur village, leur comité» et des espoirs déçus en bout de course, déplore Maxime Léonet. «Les gens n’ont pas toujours le sens de l’intérêt général. Au final, on entend surtout ceux qui se plaignent ou les quelques-uns qui ont été recalés aux dernières élections mais qui trouvent un moyen de revenir par la fenêtre. Heureusement, tout le monde n’est pas comme cela.»
Plusieurs mandataires s’interrogent aussi sur la place à accorder à la participation citoyenne. Les commissions consultatives et autres initiatives participatives ont pour vertu de vivifier la démocratie locale, mais peuvent aussi présenter des limites en matière de représentativité, de sens de l’intérêt général ou de responsabilité par rapport à la prise de décision. Ces projets, même avec les meilleures intentions du monde, peuvent laisser percoler l’idée selon laquelle le personnel politique n’est pas à la hauteur.
Maïorat apprécié, mais peu convoité
Pour autant, sur le terrain, reconnaissent-ils, les mandataires bénéficient toujours d’une certaine confiance. «Par contre, ce que je ne ressens plus, c’est cette flamme pour essayer de prendre ma place, reconnaît un bourgmestre. Même au sein de mon collège, des gens acceptent volontiers leur échevinat, mais ne veulent pas devenir bourgmestre. Je céderais bien ma place, mais ce ne sera possible. Je vais rempiler plus par devoir envers les citoyens et le parti que par réelle envie de poursuivre six ans.»
Ce que je ne ressens plus, c’est cette flamme pour essayer de prendre ma place.
Ce déficit d’engagement se fait logiquement moins ressentir dans les grandes villes. En Région de Bruxelles-Capitale, par exemple, lors des élections communales de 2018, Woluwe-Saint-Pierre était la commune dans laquelle le moins de listes se présentaient. Elles étaient tout de même cinq, toutes complètes.
«Dans nos communes, je ne pense pas qu’il y aura un problème pour remplir les listes», reconnaît l’écologiste Olivier Deleuze, bourgmestre de Watermael-Boitsfort et président de Brulocalis, l’association des villes et communes de Bruxelles. Cela n’empêche pas le niveau communal de faire face à de grandes difficultés de gestion, de finances, de report de charges à la suite de décisions régionales ou fédérales. «Or, la commune est le niveau de pouvoir le moins impopulaire. Dans un contexte de ressentiment, je dis qu’il faut faire attention à ne pas rendre la vie trop compliquée à l’institution la moins mal aimée. C’est dangereux et ce n’est pas bon pour la cohésion sociale», prévient-il, en guise d’avertissement pour la préservation de la démocratie locale.
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