Programme et électeurs sont plus à droite: pourquoi la droitisation du MR est un fait démontré scientifiquement
La droitisation du MR n’est pas seulement assumée par le parti. Elle est aussi confirmée par la sociologie électorale et par l’analyse comparée des programmes de partis.
Les réformateurs affirment que le parti est plus à droite qu’avant, qu’il faut l’assumer et qu’il faut en être fier. Mais quand quelqu’un d’autre dit que le parti est plus à droite qu’avant, il faut contredire ce gauchiste et lui taper la honte. Cette rhétorique, si typique du débat public contemporain, ne doit pas voiler la réelle transformation, ces dernières années, du Mouvement réformateur. Du moins pour ce qui est objectivement mesurable. Comme les enquêtes électorales, aussi bien que l’analyse de contenu de ce que recèle le programme. Qui confirment que l’eau mouille. Donc que ce que le président (de la droite caravane bien entendu) dit est aussi vrai lorsque les scientifiques (tous de gauche, évidemment) le constatent.
Les électeurs
La victoire du 9 juin 2024 s’est en effet caractérisée par de grands mouvements électoraux, les électeurs francophones s’étant, dans l’ensemble, montrés deux fois plus volatiles que leurs homologues flamands. Mais le gros du très fructueux recrutement réformateur provient indiscutablement de la droite de l’électorat francophone.
Du reste, le plus large transfert de voix, entre 2019 et 2024, se compose de citoyens passés du MR chez Les Engagés, et vice versa. Selon le sondage «sortie des urnes» du Centre d’étude de la vie politique (Cevipol) de l’ULB, 16,4% de l’électorat libéral de 2019 sont passés au successeur du CDH en 2024, le pourcentage est plus élevé dans l’autre sens, du CDH vers le MR (21%), mais cela concerne, en nombre absolu, moins d’électeurs. En juin dernier, le MR est certes allé chercher une partie de ses nouveaux soutiens dans l’électorat des partis de gauche (8% venant du PS, 6% du PTB et 13% d’Ecolo), mais c’est bien chez les déçus de la droite du CDH qu’il a moissonné, ainsi que dans d’autres contingents assez localisés: ceux qui avaient voté pour la droite de la droite en 2019 (deux tiers de l’électorat des Listes Destexhe et du Parti Populaire), mais aussi ceux qui s’étaient abstenus ou avaient voté blanc, ainsi que chez les primo-votants.
Cette heureuse récolte, de spectre large mais fort orientée sur un des flancs de l’opinion, est confirmée par le panel interuniversitaire NotLikeUs, associant sept universités (UAntwerpen, KU Leuven, UGent, UCLouvain, ULB, VUB, UNamur), qui a mené trois vagues d’enquête électorale, avant et après le scrutin de juin.
Les deux dernières vagues, concentrées sur un échantillon wallon de 1.333 électeurs, permettent de préciser ce que les transferts de voix suggèrent. Surtout lorsqu’on compare les données de cette année à celles des élections précédentes, en 2019. Les chercheurs du consortium NotLikeUs ont mesuré l’autopositionnement des électeurs interrogés sur le clivage gauche-droite en 2019 et en 2024 (voir graphique). D’abord en leur demandant de se classer eux-mêmes, sur une échelle allant de 0 à 10, à gauche ou à droite de manière générale. Ensuite en ventilant cette appartenance sur deux échelles. D’abord ce qu’ils ont appelé «un axe gauche-droite économique», à partir du soutien que l’on donnait ou pas à l’affirmation que «l’Etat devrait intervenir autant que possible dans l’économie». Ensuite ce qu’ils ont appelé «un axe gauche-droite culturel», à partir de l’adhésion à l’affirmation que «les migrants devraient être autorisés à garder leur culture d’origine».
Dans les trois cas, il apparaît que les électeurs du MR assument leur droitisation. Ils s’autopositionnaient en 2019 à 6,7 en moyenne sur l’échelle générale, ils sont passés à 7,2 en 2024. Sur l’axe économique, ils se sont très légèrement droitisés, de 3,6 à 3,7 en moyenne. Sur l’axe culturel, le glissement des électeurs réformateurs est plus net, d’une moyenne de 7,7 en 2019 à 8,1 en 2024. Sur cette dernière dimension, observent Caroline Close (ULB), Ine Goovaerts (UAntwerpen), Anna Kern (UGent) et Lucas Kins (ULB) dans «Politically apart, or closer than ever? Flemish and Walloon voter’s political preferences and left-right self-placement in 2024» seul l’électorat du Vlaams Belang s’autositue plus à droite en Belgique.
«En 2019, le MR était encore relativement proche du centre sur l’axe économique. Ce n’est plus le cas en 2024.»
Le programme
Pour savoir si cette droitisation sociologique s’accompagne d’une évolution idéologique, les travaux de quatre autres chercheurs –Stefaan Walgrave (UAntwerpen), Benoît Rihoux (UCLouvain), Michiel Nuytemans (Tree Company) et Jonas Lefevere (UAntwerpen)– peuvent aider. Dans «Le positionnement idéologique gauche-droite des partis belges: réponses des partis aux propositions du Test électoral/Stemtest de 2019 et 2024», ils ont comparé les réponses des partis aux livraisons 2019 et 2024 du Test électoral/Stemtest, commandé par les grands médias du pays (RTBF et VRT, De Standaard et le groupe IPM; voir graphique).
Ils ont classé 53 propositions de 2019 et 42 de 2024 sur l’axe gauche-droite économique, et 63 propositions de 2019 et 52 de 2024 sur l’autre axe, culturel. Les réponses des partis à cette centaine de questions, agrégées, établissent assez parfaitement d’éventuels mouvements doctrinaux. Et comme pour son électorat, la droitisation au MR est incontestable. Mais elle se marque ici davantage sur la dimension économique, où aucun parti n’a autant bougé en cinq ans, que sur l’axe culturel. «En 2019, le MR était encore relativement proche du centre, mais ce n’est plus le cas en 2024. Le parti se déplace de pas moins de 2,7 points vers la droite sur l’axe économique. C’est le plus grand changement que nous observons tous partis confondus entre 2019 et 2024», pointent les quatre auteurs. «Culturellement, on observe également un glissement vers la droite de la part du MR, mais de manière beaucoup moins prononcée», ajoutent-ils, avant d’avancer une explication: «Une double interprétation peut-être proposée: d’une part, la disparition du PP a pu conduire le MR à couvrir davantage son flanc droit; d’autre part, la stratégie de positionnement du parti par Georges-Louis Bouchez, en contraste/opposition avec les autres partis francophones, positionnés pour la plupart clairement à gauche.» Soit la manière politologique de confirmer qu’il y avait «50 nuances de gauche, et nous».
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