Comment les partis politiques utilisent l’intelligence artificielle (IA) pour se démarquer aux élections (analyse)

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Elle se ramène devant, parfois au-dessus des gens, elle est là de temps en temps. L’intelligence artificielle (IA), nouvel amour éternel des partis politiques francophones?

Jean-Luc Dehaene ressuscité par le CD&V dans une vidéo générée à 100% par l’IA, un chatbot nommé Victor pour répondre aux partisans (ou curieux) du MR… Une chose est sûre : les partis politiques belges mettent le pied de l’IA à l’étrier… parfois avec mauvais goût, parfois sans réel contrôle de l’outil, parfois avec retenue et curiosité. Mais tous l’incluent dans leur réflexion. Alors, que pensent vraiment les partis francophones* de cette nouvelle technologie ? Et comment l’utilisent-ils (ou pas) en interne ? Le Vif a pris la température.

IA: DéFI curieux

Chez DéFI, on nous dit « qu’il est nécessaire de vivre avec son temps, d’utiliser les outils tels l’IA comme un allié pour faciliter notre quotidien et poursuivre l’amélioration de notre qualité de vie. Le tout est d’encadrer son usage. »  A cet égard, « l’AI act de la Commission de l’UE est un pas dans la bonne direction », estime le parti démocrate fédéraliste indépendant.

Nous testons le potentiel de l’IA mais nous ne l’avons pas adopté pleinement dans notre travail quotidien.

Michaël Carletta, porte-parole DéFI

L’utilisent-ils en interne ? « Concrètement, oui, il peut arriver que nous utilisions ChatGPT (par exemple) pour reformuler certaines publications pour notre campagne. Mais ce n’est pas le fonctionnement habituel. C’est plutôt lorsque l’on « sèche » de notre côté », glisse Michaël Carletta, porte-parole.

A ce stade, DéFi utilise donc l’IA à titre expérimental (et par curiosité). « Il s’agit de tester le potentiel de l’IA. Cependant, nous ne l’avons pas adopté pleinement dans notre travail quotidien », résume le porte-parole.

Le PS à tâtons (mais avec un futur programme)

Au Parti socialiste, un projet autour de l’intelligence artificielle a été évoqué en interne, mais il n’a finalement pas été développé. « Elle est utilisée occasionnellement dans le fonctionnement du parti, mais il a été décidé de ne pas mettre en place d’outil pour le citoyen (style chatbot), car les résultats ne sont pas satisfaisants », explique Frédéric Masquelin, porte-parole du PS.  

La création d’image à l’aide de l’IA est parfois utilisée, « mais vraiment à la marge d’autres outils. » Le PS n’exclut donc pas de l’employer, mais toujours sous la surveillance humaine. « Sans cela, il y a un risque d’obtenir des résultats aberrants. On est donc loin de faire gérer le parti par des intelligences artificielles. C’est un outil, mais notre priorité reste l’humain », indique Frédéric Masquelin.

Le PS est par exemple contre les caisses automatiques dans les supermarchés. « Il convient de bien évaluer les conséquences de la mise en place de l’IA. On est aux balbutiements de la technologie, mais on ne peut pas nier qu’elle fera partie des enjeux futurs. Pas de précipitation. » Le parti mise par contre sur des tas d’autres outils (programmes courts, guides, tests électoraux), qui ne sont pas générés par l’IA.

On est loin de faire gérer le parti par des intelligences artificielles.

Frédéric Masquelin, porte-parole PS

Dans son (futur) programme sur l’IA, que nous avons pu consulter, les socialistes soulignent qu’elle représente « une avancée technologique majeure avec le potentiel de transformer de nombreux aspects de nos vies, y compris l’efficacité de nos institutions et de nos entreprises. » (…) « Toutefois, l’IA présente des risques notamment en termes d’emploi (pertes d’emploi en raison du remplacement de l’humain par des systèmes recourant à l’intelligence artificielle), d’économie (pénurie de compétences), d’éthique (protection de la vie privée) et de sécurité (invention de réalités alternatives) », peut-on lire. Le PS insiste sur la nécessité de protéger le statut des travailleurs et les représentants de ceux-ci.

Succinctement, les socialistes proposent six actions pour s’attaquer aux nouveaux enjeux liées à l’IA : développer des programmes de formation et de reconversion (1), améliorer la sensibilisation auprès des citoyens (2), favoriser les investissements dans la recherche et développement en IA (3), accélérer l’adoption de l’intelligence artificielle en Wallonie et renforcer son écosystème (4), soutenir les entreprises des secteurs économiques qui vont être directement concernés par le développement de l’IA (5), et soutenir la mise en place d’un cadre réglementaire global (6).

Ecolo regarde vers la Suisse

Chez les Verts, l’intelligence est utilisée « occasionnellement pour faciliter certaines tâches spécifiques, comme la relecture d’un brouillon de réponse à un e-mail, la rédaction d’une base de question parlementaire ou d’un discours,… ».

« L’IA a certes des avantages mais offre aussi de nouvelles opportunités de désinformation sur les plateformes numériques », note Julie Beliën, porte-parole Ecolo.

Selon les écologistes, l’intelligence artificielle « est aussi souvent utilisée par le côté (extrême) droit de l’échiquier politique à des fins de désinformation. Il s’agit-là du danger principal identifié par les experts de l’information : une ère de post-vérité. » Par ailleurs, Julie Beliën indique qu’un code IA adapté pour les élections belges est une bonne idée mais présente, en pratique et à ce stade, peu de chances de prémunir contre les « attaques à l’IA », « raison pour laquelle Ecolo n’a pas l’intention d’utiliser structurellement l’IA dans la campagne. »

Ecolo n’a pas l’intention d’utiliser structurellement l’IA dans la campagne électrorale.

Julie Beliën, porte-parole Ecolo

Cependant, le parti dirigé par Rajae Maouane et Jean-Marc Nollet dit travailler sur le sujet de manière approfondie. « L’impact de l’IA sur la démocratie et le monde politique n’est pas négligeable. Si l’on peut citer l’efficacité des nouveaux outils à disposition du grand public, citons aussi l’appropriation de ces logiciels d’IA par certains politiciens peu scrupuleux à des fins communicationnelles. La réglementation belge existante est insuffisante contre ce type de fake news. »

Ecolo cite comme exemple le code IA proposé par les Verts suisses pour ouvrir le débat vers une potentielle réglementation future en Belgique. « La charte suisse contient deux principes : (1) Nous déclarons l’IA comme source si elle est utilisée lors de la création d’éléments audios et/ou visuels d’une campagne. (2) Nous n’utilisons aucun contenu audio et/ou visuel généré par l’IA pour des campagnes dénigrantes. » Si l’idée se concrétise en Belgique, Ecolo y proposerait un troisième point : « (3) Nous ne relayons pas via nos moyens de communication politique officiels des contenus tiers générés par une IA sans le mentionner explicitement. »

Les Engagés : une utilisation de l’IA franche mais contrôlée

Chez Les Engagés, l’IA est considérée « comme un outil complémentaire au travail premier de réflexion politique »,

Les centristes ont assuré plusieurs séances de formation à l’IA pour leurs collaborateurs. « Afin de faciliter le travail d’analyse de fond, de comparaison, ou pour sélectionner, classer ou encore comparer nos propositions de programme », avance Audrey Jacquiez, porte-parole. Par exemple, l’IA peut être utilisée pour analyser des données démographiques ou les opinions des électeurs, pour cibler les campagnes de manière plus précise, ou encore pour automatiser certains processus de gestion interne. En revanche, poursuit-elle, l’IA ne parvient pas à prioritiser nos mesures en fonction de notre sensibilité. Nous avons constaté et analysé ses limites. »

Pour Les Engagés, utiliser l’IA comme source de production de propositions politiques est inenvisageable.

Audrey Jacquiez, porte-parole Les Engagés

Le Mouvement présidé par Maxime Prévot estime crucial que son utilisation soit transparente, éthique et respectueuse de la vie privée. « Le danger d’une utilisation non-contrôlée de l’IA est de s’éloigner encore plus de la réalité et donc de creuser un fossé entre les propositions et la réalité des citoyens », ajoute Audrey Jacquiez.

Pour Les Engagés, « utiliser l’IA comme source de production de propositions politiques est donc inenvisageable. »

MR : Victor IA, de l’interne avant tout

Chez les libéraux, l’IA fait partie intégrante du parti puisque le MR a récemment développé son propre outil. En interne, d’abord, le système, intimement lié au centre d’études Jean Gol, permet à l’ensemble des collaborateurs d’obtenir des réponses sur toute information qui concerne le parti. « L’outil offre une grande possibilité d’archivage», commente Qassem Fosseprez, porte-parole.

Dans la même optique, le dénommé Victor(IA) a été mis à disposition du public. Il se présente sous la forme d’un chatbot qui doit répondre à toute question concernant le Mouvement Réformateur. Très vite, quelques couacs de fonctionnement ont été épinglés sur les réseaux sociaux. Pas de quoi décourager les libéraux dans leur démarche. « Victor est alimenté par notre programme, il ne peut donc fournir que des informations rationnelles et objectives. L’IA ne peut pas aller chercher de l’information externe à celle du parti. On se concentre donc sur de la comparaison interne et de la pédagogie », explique Qassem Fosseprez.

Victor IA ne peut pas aller chercher de l’information externe à celle du parti. On se concentre donc sur de la comparaison interne et de la pédagogie.

Qassem Fosseprez, porte-parole MR

Pour le MR, l’IA peut « donner une image plus dynamique de la communication politique et contribuer à l’éducation civique ». Les libéraux assurent vouloir limiter son utilisation au texte. « On ne s’inscrit pas du tout dans une logique de création de contenus audiovisuels ».  

Sans surprise, le parti de droite est fondamentalement convaincu des bienfaits de l’IA. « Nous croyons au progrès et à la technologie. En tant que parti libéral, on ne perçoit pas l’apport de l’intelligence artificielle comme un danger, relève Qassem Fosseprez. Par contre, la mise en place d’un cadre est important : on ne peut pas tout faire de n’importe quelle manière. D’où le besoin de légiférer sur la question. Par rapport aux Etats-Unis et la Chine, on sait que l’Europe peut parfois prendre le train en retard sur ces thématiques. »

*Contacté à plusieurs reprises, le PTB n’a pas répondu à nos questions.

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