Pouvoir d’achat, pensions, budget…: la to-do list explosive d’Alexander De Croo avant ses vacances
Pour relancer un peu une machine accusée d’être à l’arrêt, Alexander De Croo a présenté aux vice-Premiers ministres un programme à faire aboutir avant le 21 juillet. Histoire d’être prêt, à la rentrée, pour vraiment relancer la mécanique gouvernementale.
Peut-on être coincé et continuer à avancer? Peut- on relancer une machine qui n’a jamais démarré? C’est à ces paradoxes cinétiques qu’ Alexander De Croo, Premier ministre et physicien de l’impossible, est aujourd’hui confronté, et c’est pourquoi le 20 mai, en kern, il a présenté aux sept vice-Premiers ministres de sa coalition un «programme du gouvernement fédéral pour les mois à venir».
Cette note de sept pages et autant de chapitres est vouée à redonner à la Vivaldi une vertueuse impulsion, d’abord dans les semaines qui viennent, et ensuite à la rentrée 2022.
Elle n’a pas été validée par les collègues, qui ont fait part de leurs remarques, exigé des amendements (les uns veulent boucler les contrats de gestion du chemin de fer, d’autres un plan de lutte contre la pauvreté, etc.) et réclamé des corrections. C’est, dans le jargon de la Wetstraat, un «non-paper», plutôt coloré d’inspirations libérales: en Flandre, on ne reproche pas seulement d’être immobile à Alexander De Croo, mais aussi de trop concéder à la gauche. «Il ne faut pas en faire un fromage», tempère-t-on dans le quartier, mais la note jette tout de même une ébauche de ce que le Premier ministre souhaite voir aboutir avant la trêve de l’été pour contredire les lancinantes accusations d’immobilisme qui l’affligent et elle expose de quoi les prochains mois politiques seront faits.
Le 23 mai au soir, un kern abordait déjà les questions de la prolongation des deux réacteurs nucléaires et de la hausse du budget de la Défense.
En voici les sept chapitres.
1. «Pouvoir d’achat et compétitivité»
La note prévoit que «le gouvernement est tenu de prendre position» sur trois points. Tout d’abord, «la prolongation ou non des mesures d’aide actuelles concernant la facture énergétique», compte pour le plus important. La baisse de la TVA et l’extension du tarif social sont en effet temporaires, et réputées prendre fin au terme de l’été. C’est-à-dire juste avant que les gens commencent à avoir besoin de se chauffer.
Ensuite, un groupe d’experts dirigé par le gouverneur de la Banque centrale est censé, en juin, remettre des recommandations sur «la compétitivité et le pouvoir d’ achat»: une rencontre avec le kern est programmée le 15 juin, et celui-ci devra choisir de les suivre ou pas. Cela ne figure pas dans le «non-paper» du 20 mai, mais socialistes, écologistes et démocrates-chrétiens voudraient introduire à cet égard une discussion sur la fiscalité, qui serait allégée pour les plus faibles revenus – ce à quoi les libéraux ne sont pas hostiles – et augmentée sur les plus gros patrimoines – ce qui est beaucoup moins partagé par les bleus. Verts et rouges, on le sait, souhaitent également revoir la loi de 1996 sur la compétitivité, que les syndicats estiment trop rigide. Ils peuvent toujours courir. Ils trottineront sans doute bruyamment, mais dans le vide.
Enfin, les partenaires sociaux doivent bientôt formuler une proposition quant à l’intervention dans les frais de transport des travailleurs et «l’atténuation de la hausse des coûts de l’énergie pour les entreprises». Cette proposition devra être mise en œuvre, ou pas, par la Vivaldi.
2. «Marché du travail: pourvoir les postes vacants»
Le «job deal» de l’automne 2021, censé favoriser l’embauche, notamment dans l’e-commerce, n’ayant pas été validé par le banc syndical, il revient à la table du gouvernement, qui devra «approuver au plus vite le deal pour l’emploi». Celui-ci prévoit notamment de faciliter le travail de nuit et de flexibiliser les horaires. Il est déjà plutôt désagréable pour la gauche de la coalition, et en particulier pour le ministre PS de l’Economie et du Travail, Pierre-Yves Dermagne. La note du Premier ministre demande, en plus, «de prendre des mesures supplémentaires en étroite collaboration avec les Régions» afin d’atteindre cet objectif fort incertain des 80% de taux d’emploi, et en particulier pour favoriser la mobilité interrégionale et résorber les pénuries de main-d’œuvre, parmi les plus sévères de toute l’Union européenne.
3. «Renforcement de la politique de sécurité et de l’architecture de sécurité»
Le Premier, dans ce chapitre très «Law and Order», s’étonne que «la police et la justice expriment un mécontentement à l’égard des moyens dont elles disposent». «Fait surprenant», ajoute-t-il, car les deux institutions ont reçu des moyens supplémentaires. A cet égard, il propose des «gains d’efficacité» comme la réduction du nombre de zones de police ou de centraliser les bâtiments judiciaires – «Notre pays compte deux cents palais de Justice, contre 25 aux Pays-Bas». Il souhaite également augmenter, jusqu’aux 2% du PIB promis dans le cadre de l’Otan, les dépenses militaires de la Belgique. En février, le gouvernement s’engageait à atteindre 1,54% d’ici à 2030. La Belgique, ainsi, rattraperait son retard sur la plupart de ses alliés de l’ Alliance: le budget de ses armées est actuellement à peine de 1,1% de son PIB. L’ agression russe en Ukraine a relancé le sujet, et les libéraux, francophones comme flamands, sont favorables à de plus prenants engagements financiers. Ecolo a déjà signifié son refus dans plusieurs interviews, et les socialistes partagent plutôt la même ligne, quand bien même elle n’engagerait que les législatures suivantes. Le Premier ministre et ministre des Affaires étrangères espère ne pas se faire rudoyer par ses alliés au sommet de l’Otan, prévu fin juin à Madrid.
4. «Sécurité d’approvisionnement et accélération de la transition»
Depuis le 18 mars dernier et la décision du gouvernement de prolonger deux des sept réacteurs nucléaires du pays, les négociations se mènent entre Engie, réticente depuis plusieurs années déjà à cette prolongation, et la délégation gouvernementale, composée d’Alexander De Croo et de Tinne Van der Straeten (Groen), ministre de l’Energie. Le Premier ministre y est engagé personnellement. «Il ne faut pas se mentir, les discussions avec Engie se passent mal», a concédé, le 22 mai, le coprésident d’Ecolo, Jean-Marc Nollet, en débat avec Georges-Louis Bouchez qui, lui, estimait la ministre de l’Energie «en abandon de poste» et rappelait «l’obligation de résultat» de l’accord du 18 mars. Il était, à ce moment, prévu de régler la question en juin. La note du 20 mai prévoit que «la mise en œuvre de ces décisions sera suivie de près dans les mois à venir». «L’ objectif est de finaliser les discussions avec Engie sur les modalités de la prolongation de dix ans de la capacité nucléaire de 2 GW à court terme», conclut Alexander De Croo dans ce chapitre.
5. «Réforme des pensions»
Après le faux départ de la rentrée 2021, la réforme des Pensions de la ministre socialiste Karine Lalieux devrait bientôt aboutir. Le Premier ministre s’y est personnellement investi: avec la socialiste et «à partir de sa proposition initiale», il a rencontré chaque vice-Premier en «trilatérales», afin que chacun des partis de la coalition formalise ses demandes. Le 20 mai, la réforme a déjà fait l’objet d’une présentation. Et, dit la note présentée en kern, «l’objectif est que le conseil des ministres approuve prochainement en première lecture un projet de loi qui met en œuvre la réforme des pensions (salariés, fonctionnaires et indépendants). Ce projet sera ensuite soumis aux partenaires sociaux.»
6. «Agenda international»
Alexander De Croo, qui a momentanément repris le portefeuille des Affaires étrangères de Sophie Wilmès, a également formulé quelques doléances dans ce domaine, traditionnellement consensuel en Belgique (à l’exception, donc, des engagements budgétaires envers l’Otan): la Belgique devra formuler sa réponse aux recommandations de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, «surveiller la mise en œuvre loyale de l’accord sur le Brexit» et «faire face aux conséquences de l’évolution rapide du contexte géopolitique».
7. «Confection du budget 2023»
Les six premiers thèmes de la to do list sont plutôt gérables à court terme. Les discussions sur le prochain budget seront préparées avant la trêve estivale et devraient, à partir de la rentrée, engager plus lointainement le gouvernement fédéral.
On sera alors au mitan de la législature, «et les principaux engagements de l’accord du gouvernement auront été remplis, pensez au statut des artistes, à la hausse des allocations, aux numéros Inami, etc.», nous rappelle un membre du kern, un peu fier, mais modestement.
C’est alors précisément qu’il s’agira de vraiment rendre de l’allant à la Vivaldi. «Il y aura une première discussion sur les éventuelles demandes supplémentaires prioritaires», stipule la note, où «demandes supplémentaires prioritaires» est inscrit en gras. «Comme ce fut le cas pour la confection du budget 2022, les demandes supplémentaires ayant un impact structurel devront être couvertes par des mesures budgétaires compensatoires.» Il ne s’agira pas là de réécrire, comme le proposait récemment le député Kristof Calvo (Groen), tout l’accord de gouvernement. Mais c’est la dernière chance pour les vivaldistes d’imprimer leur marque.
Et donc, c’est alors, sans doute, qu’on pourra parler sérieusement de fiscalité. Tout en gardant en mémoire que la Belgique présente le cinquième plus mauvais solde budgétaire structurel de la zone euro. Et que l’accord de gouvernement proclame «qu’aucune taxe nouvelle ne sera introduite, sauf dans le cadre de discussions budgétaires». On y sera. Il s’agira, pour la gauche et la droite du gouvernement fédéral, d’un énième moment de vérité.
Ce n’est qu’à l’automne, donc, que l’on pourra vraiment mesurer le chemin parcouru par la machine dont on dit qu’elle n’a jamais démarré.
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